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Multipliant sa vie, heureuse de pouvoir

La prodiguer ainsi pour un peu de pain noir;

Je l'entends, pour flatter ma frivole exigence,
De ses récits naïfs amuser mon enfance,

Récits, où le bon Dieu, quand ils sont désirés,
Ramène à leurs parents les enfans égarés...

Je suis perdu comme eux, mais nul ne me désire...

Que de poésie dans cette tirade! comme tout est à sa place et se comprend bien ! C'est là une petite élégie qui va droit au cœur.

En résumé, Messieurs, tout en soulignant certaines images un peu tourmentées, certains vers peu harmonieux, quelques longueurs dans le dialogue, votre commission, se plaît néanmoins à reconnaître chez l'auteur de la pièce n° 1 des pensées élevées, certaines aspirations sociales, certaines tendances philosophiques, qui révèlent un homme studieux, un esprit éclairé, un poète qui fait honneur à la poésie. Que l'auteur reçoive donc cette année nos paroles d'encouragement; nous nous réjouirons de les lui avoir adressées si elles peuvent nous valoir au prochain concours une pièce à couronner.

III.

Nous avons commencé notre examen par la pièce la plus faible pour le terminer par la pièce n° 3, qui nous a paru la meilleure du concours. Cette pièce est intitulée : la verte Erin, ode à la

mémoire d'O'Connell. Le plan adopté par l'auteur est extrêmement simple, il s'agit de l'Irlande et de la servitude qui pèse sur ce malheureux pays. Le travail du poète est divisé en strophes, chaque strophe se terminant par un vers de huit syllabes. Cette pièce, à l'examiner de bien près, n'est peut-être pas sans défaut. Mais ne disons-nous pas l'hermine blanche, bien qu'elle soit tâchée de noir?

L'ode du poète est surtout remarquable par la richesse des images et l'éclat de la pensée. L'auteur parle noblement de la patrie d'O'Connell qui surgit un jour aux limites du monde, riche de son soleil et de ses sillons; de cette fille de l'Océan qui fut belle autrefois comme sa sœur des Gaules et paya de son sang son amour pour la liberté.

L'histoire ne confirme que trop les paroles du poète; l'Irlande qui succombe sous la fatigue et la misère, n'est-elle pas depuis cinq siècles le piédestal qui a porté la fortune britannique, piédestal vivant qui par toutes les veines ouvertes a saigné sous le poids de la statue ?

La foi des O'Connell retrempe ton courage!

s'écrie le poète en glorifiant la mémoire de l'homme illustre qui voulait pour son pays la liberté de l'autel, du travail et des lois. Ce sont là de belles et patriotiques paroles, pleines de regrets pour une phalange de martyrs, pleines d'admiration pour un peuple de héros !

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RAPPORT SUR LE CONCOURS DE POÉSIE.

Heureux les poètes qui savent exalter dans leurs vers Dieu, la patrie, la liberté ! Heureux ceux qui savent comme l'auteur de l'ode sur l'Irlande, penser et croire. C'est de foi et de convictions, a dit un célèbre écrivain, que sont faites, en morale les idées saintes, en poésie, les idées sublimes ! Nous ne saurions achever plus dignement ce compte-rendu qu'en vous lisant la pièce n° 3. Votre commission vous propose de décerner à l'auteur de cette œuvre remarquable la lyre d'argent.

Que ne possédez-vous, comme les fées du moyen-âge, une baguette magique? que n'avezvous, comme les Ecossais, le don de seconde vue? Vous pourriez prédire au poète sa destinée littéraire. Il est vrai, Messieurs, qu'au lieu de monter sur le trépied pour y rendre des oracles, vous vous contentez de signer aujourd'hui le brevet poétique d'un soldat de l'intelligence, laissant au temps la faculté d'accorder ou de refuser à votre lauréat le brevet qui donne la gloire et l'immortalité.

LA VERTE ÉRIN '.

ODE A LA MÉMOIRE D'O'CONNELL.

Par M. Eugène L'EBRALY.

Rachel plorans filios suos.

U'IL est aride et froid l'air de la servitude!
Cette oasis changée en morne solitude,

Cette Délos en deuil, est-ce toi, verte Erin,
Fille de l'Océan, qui, sur ton lit d'arène,
Avec amour jeta, comme aux pieds d'une reine,
Tous les trésors de son écrin ?

Tes fils pressent en vain ta mamelle épuisée :
Leurs larmes, leurs sueurs, cette sainte rosée,
En vain coulent à flots sous un ciel sans rayons.
La bache a dépeuplé tes bois aux larges dômes,

1 Erinn (Emeraude) ancien nom de l'Irlande.

Et le vent de la mort couche les moissons d'hommes,

Au lieu d'épis, dans tes sillons.

L'Autan impétueux qui gémit sur les grèves,
Disperse ta couronne avec les plus doux rêves :
Le Cygne, au cou de neige, a fui tes lacs déserts.
Seul, ainsi que le roi d'un funèbre domaine,
Attiré par l'encens d'une hécatombe humaine,
Le Vautour plane dans les airs.

Toi, si belle autrefois, comme ta sœur des Gaules!
Car la pourpre a couvert tes royales épaules,
Que n'a fait qu'effleurer le joug du sombre Odin;
Car vous avez, puisant la vie aux mêmes veines,
Porté le bracelet du Gall ceint de verveines
Et l'écharpe du Paladin.

Pour la foi des aïeux, et pour son culte antique,
Le plus pur de ton sang a rougi l'Atlantique.

Où dorment les martyrs de ta fidélité ?

Où dorment ces grands cœurs, pour souffrir en silence Que tu meures d'un mal qu'aurait guéri leur lance?.. N'as-tu pas soif de liberté ?

La douce liberté, qu'Albion t'a ravie,
N'est-ce pas ton amour, ton bonheur et ta vie,

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