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si grand nombre de collaborateurs? Ces sociétés d'esprit en commandite ne peuvent rien produire de bon ni de durable.

C'est dans le roman surtout que l'imagination s'est livrée aux plus condamnables désordres. Sans vouloir nous armer d'une sévérité morose, sans vouloir comprimer l'essor étincelant de la fantaisie et lui couper les ailes, n'oublions jamais que l'art a des règles qui, pour n'être pas écrites dans un code promulgué par les trois pouvoirs de l'Etat, n'en existent pas moins. Ces règles ne proscrivent pas la peinture des mœurs et des passions; elles permettent au moraliste d'étudier la société jusque dans ses dernières régions; mais elles exigent en même temps qu'il soit guidé par une austère pudeur dans ses investigations périlleuses. Les Mystères de Paris marqueront-ils enfin sur les rivages de l'Océan littéraire des Colonnes d'Hercule qu'aucun navigateur n'osera dépasser?

Vous connaissez, Messieurs, la cause de ces pernicieux écarts. De nouveaux prétoriens ont suivi l'exemple de ces cohortes mercenaires qui, après la mort de Pertinax, mirent l'empire à l'encan, et le vendirent.

C'est ce trafic sacrilége, qui a tué la foi littéraire, qui a fait éclore l'indifférence, qui la fomente et qui la développe. Nous appelons de tous nos vœux le moment où nos écrivains, égarés si longtemps par une hallucination trompeuse, s'arrêteront sur cette pente fatale qui mène à la

décadence. Que l'amour du gain soit banni d'abord de la république des lettres. Le désintéressement est la première vertu de l'écrivain, et la plus essentielle. Nous en trouvons la preuve à chaque pas dans les trois derniers siècles qui nous ont légué ces monuments impérissables qui font notre admiration et qui feront celle de la postérité la plus reculée.

Il y a cent ans environ, au plus fort des persécutions exercées contre l'Encyclopédie, Frédéric II offrit à l'un des principaux auteurs de cette gigantesque entreprise, la présidence de l'académie de Berlin, et le traitement considérable attaché à ces importantes fonctions. Celui qui reçut cette proposition magnifique était pauvre; il refusa pourtant, et préféra poursuivre l'accomplissement de son œuvre au milieu de ses ennemis qui pouvaient lui faire expier pendant plusieurs années, dans les cachots de la Bastille, sa courageuse indépendance.

Plus tard, ce même homme reçut de l'impératrice Catherine une lettre, qui rappelait celle du roi de Macédoine à Aristote dans une circonstance semblable, et qui le priait avec instance de se charger de l'éducation du prince son fils, avec une pension annuelle de 100,000 livres. Le philosophe refusa encore; il demeura fidèle à ses chères études qui l'absorbaient tout entier; et, dédaignant les cours, il aima mieux, au péril de sa liberté et de sa vie, rester dans sa mine dont il exploitait les filons splendides, et du

fond de laquelle il envoyait à la terre des trésors Ce philosophe, Messieurs, s'ap

de science.
pelait d'Alembert.

Quand une fois ce détachement des grandeurs, cette pure abnégation, cette indifférence absolue pour les satisfactions du luxe règneront parmi nos écrivains, et qu'ils auront cessé de sacrifier aux faux dieux, ils sentiront en eux-mêmes des ressources qu'ils ignorent encore, et qui sont maintenant enchaînées par d'indignes entraves. Un nouvel horizon s'ouvrira devant eux, horizon immense, rempli de perspectives imprévues et lumineuses. A la place du peu qu'ils perdront en jouissances grossières, ils recevront l'investiture de cette mission si austère et si belle, qui a pour objet de rendre à la fois les hommes plus éclairés, plus sages et meilleurs. Ils retrouveront le prestige qu'ils ont perdu par le contact énervant de la réalité; ils deviendront dignes de résoudre ces graves problèmes à la solution desquels l'humanité travaille depuis si long-temps, et pour lesquels elle a tant souffert.

Alors l'indifférence littéraire cessera; les lettres reprendront parmi nous la place qu'elles ont autrefois occupée, et qu'elles n'auraient jamais dû perdre dans le pays qui a vu naître Corneille, Molière, Racine, Voltaire et Chateaubriand : elles recommenceront à répandre sur nos têtes et dans nos cœurs, ces merveilleux effets que la Grèce antique leur avait reconnus en les confondant avec

la sagesse; de même que le nom de Vertu leur fut décerné, à l'époque de la Renaissance, dans le siècle des Médicis.

Nous verrons alors, Messieurs, les arts de l'esprit et de la main réunir leurs communs efforts pour nous assurer la conquête de l'avenir. Il sera permis enfin à notre ambition légitime d'aspirer à des destinées plus glorieuses que celles d'aucune des nations dont l'existence a précédé la nôtre, car chacune d'elles était dévorée par une plaie qui étendait ses ravages, pendant qu'une de ses faces seulement était saine et resplendissante. Plus heureux que ces nations, nous n'avons à redouter ni les révoltes des esclaves, ni les invasions des barbares, ni les querelles sanglantes des fanatiques, ni les dissensions des seigneurs féodaux, ni l'oppression du despotisme; et nous pouvons espérer de voir la grandeur de la France s'établir d'une manière à la fois solide, complète et durable sur la civilisation, l'industrie, la religion, la liberté et l'intelligence!

CONSEILS

Aux jeunes gens qui aspirent à une grande réputation
littéraire ou artistique.

EPITRE PAR M. COLONJON.

I.

D

EPUIS plus de deux mois, j'ai voulu, mais en vain,
Du domaine de l'art, reprendre le chemin,

Toujours quelque embarras, quelque importun visage,
A de ma volonté paralysé l'usage.

Je ne plaisante pas, c'est bien sincèrement

Que je me plains d'avoir plus d'un désagrément.

Ainsi, quoique ma porte à tout venant ne s'ouvre ;
Qu'un mot d'ordre formel aussi ferme qu'au Louvre,

Au bavard, au flaneur en défende l'accès;

Quoique je sois exempt de dettes, de procès ;

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