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succédé des principes certains. C'est surtout dans les travaux relatifs à l'archéologie monumentale qu'il nous paraît impardonnable de méconnaître les règles que la science moderne a créées, pour demander à des textes que l'on torture ou que l'on interprète plus ou moins ingénieusement, des preuves qu'ils ne sauraient offrir d'une manière aussi sûre que les monuments eux-mêmes. C'est donc avec une certaine surprise que nous avons lu, dans le tome XV des Mémoires de la Société royale des Antiquaires de France, une savante dissertation de M. Aubenas sur les arcs-de-triomphe du département de Vaucluse; dissertation dans laquelle il n'est tenu aucun compte des dispositions architectoniques des monuments; mais où l'auteur donnant carrière à son imagination, fait dire aux textes ce qui lui semble donner du poids à l'opinion qu'il veut faire prévaloir.

On a tant écrit sur l'arc d'Orange depuis Maffei jusqu'à M. Aubenas, que nous devions hésiter à relever les erreurs dans lesquelles est tombé, suivant nous, le savant historien; mais sa manière de procéder portant atteinte aux principes fondamentaux de la science archéologique, il nous a paru utile d'en montrer les inconvénients. M. Aubenas, en ne demandant qu'aux textes seuls les témoignages dont il a besoin, et en négligeant complètement les preuves, suivant nous plus certaines, que lui offre le monument, semble dire que celles-ci n'ont qu'une valeur secondaire, tandis

que nous soutenons, nous, qu'à défaut de textes précis et authentiques, les caractères d'un monument, ses dispositions architectoniques, sont les seuls guides de l'archéologue. On l'a souvent fait observer, les textes disent tout ce que l'on veut leur faire dire; il n'est pas d'opinions erronées, de paradoxes monstrueux, qui ne trouvent un texte pour s'appuyer. Les monuments, au contraire, sont les feuillets d'un livre dans lequel le savant et l'artiste peuvent puiser des arguments d'un grand poids, et il serait très-regrettable que, pour expliquer des textes plus ou moins obscurs, on passât sous silence des preuves matérielles, et, conséquemment, d'une grande évidence.

On voit sur quels principes nous entendons asseoir notre opinion. On a, jusqu'à ce jour, beaucoup trop invoqué les textes, il est temps d'interroger enfin les monuments. Nous serons donc ici très sobres de citations historiques et d'inductions hazardées; nous chercherons dans le monument seul les arguments de cette discussion; et nous laisserons aux docteurs ès-sciences archéologiques le soin de décider, si nous nous sommes fourvoyés en procédant ainsi.

Il conviendrait de reproduire avant d'aller plus loin, une description exacte du monument; mais comme elle a été faite très-souvent et que des gravures très-fidèles existent dans tous les recueils, nous pouvons nous dispenser de ce soin. Nous nous bornerons à consulter celle que nous avons

trouvée sur les lieux et qui est empruntée à la brochure du savant M. Artaud, membre de l'Institut. Nous pourrions dire, au reste, que nous avons encore le monument sous les yeux, puisque nous l'avons levé nous même, sur toutes les faces, avec l'appareil de M. Daguerre.

Comme c'est principalement l'opinion de M. Aubenas que nous attaquons, résumons en peu de mots le système dont il est l'auteur. L'énoncé de ses principales propositions servira de jalons à la discussion.

La contrée où l'on voit aujourd'hui les arcs-detriomphe d'Orange, de Cavaillon et de Carpentras était occupée par les Cavares et les Tricastins dont le territoire longeait le Rhône; par les Fulgences, les Méminiens et les Voconces qui s'appuyaient sur la Durance et la Drôme; par les Saliens, au sud de la Durance. Ces derniers inquiétant la colonie phocéenne de Marseille, Rome, son alliée, envoya le consul Sextius pour châtier ces barbares. Le roi Teutomalion, s'étant réfugié chez les Allobroges qui prirent parti pour lui, les Romains défirent successivement les Gaulois sur le territoire des Cavares et sur l'Isère.

Ces premières victoires des Romains dans la Gaule ont occupé presque tous les historiens. César en dit quelques mots; Cicéron, plaidant pour Fontéius, y fait allusion; Strabon, Tite-Live, Valère - Maxime et Florus sont beaucoup plus explicites. Ce dernier surtout fournit des détails si

précis, qu'il est impossible de douter qu'il n'en ait eu une parfaite connaissance. « Les premiers, » dit-il, qui, au-delà des Alpes, éprouvèrent le » pouvoir de nos armes furent les Saliens : » Marseille, notre fidèle et intime alliée s'était » plainte à nous de leurs incursions. Ensuite est » venu le tour des Allobroges et des Arvernes; >> Ils avaient donné de semblables sujets de » plaintes aux Æduens, qui sollicitèrent notre puis»sance et notre secours. Nos victoires ont eu » pour témoins le Var, l'Isère, le fleuve Vinda» lique et le Rhône, le plus rapide des fleuves. » Ce qui causa la plus grande terreur des bar>> bares, ce furent nos éléphants dont l'aspect » gigantesque avait quelque chose qui ressemblait » à la force sauvage de ces nations. Rien ne » parut plus remarquable dans le triomphe que >> le roi lui-même, Bétuitus, revêtu de son » armure de diverses couleurs, et monté sur un >> char d'argent, tel qu'il allait au combat. On » peut juger de la joie que firent naître l'une et >> l'autre victoire de Eneus Domitus et de Fabius. » Maximus, par les soins qu'ils eurent d'élever, » sur les lieux mêmes où ils avaient combattu, des tours » en pierre, ornées des armes des ennemis, qu'ils » fixèrent dessus en forme de trophée; lorsque cette >> coutume était complètement inusitée; car » jamais le peuple romain n'avait fait honte de > leurs défaites aux ennemis vaincus. >>

Avec Eutrope et Paul Orose, qui écrivirent

postérieurement sur ces deux victoires, il n'existe pas d'autres textes sur les événements dont il s'agit. Sous l'Empire, les populations se montrèrent si soumises, que l'on n'aperçoit plus la trace d'aucune révolte; conséquemment, il n'y a plus ni victoires, ni triomphes. Or, tous les historiens cités plus haut ne parlent que de deux victoires dont ils font honneur à Fabius et à Domitus; il n'est question d'autre triomphe local que de celui dont ils ont été l'objet; d'autres monuments commémoratifs que ceux qu'ils désignent.

Vindalium, cité par les historiens comme le point sur lequel eut lieu le combat livré aux Gaulois par Domitus, était situé sur la Sorgue, à peu près à égale distance d'Orange et de Carpentras. Puisqu'il est dit que les vainqueurs élevèrent leurs trophées sur les lieux mêmes où ils avaient combattu, his locis quibus dimicaverant, ce serait donc à Vindalium et non à Orange ou à Carpentras qu'il faudrait chercher le monument; mais M. Aubenas ne peut admettre une aussi étroite interprétation. Une bataille ne se livre pas sur un terrain de quelques mètres carrés, l'ardeur des combattants les entraîne souvent assez loin des lieux où l'action s'est engagée, et ce n'est certes pas se montrer trop facile dans l'interprétation des textes, que de dire que les monuments d'Orange et de Carpentras, qui forment avec l'embouchure de la Sorgue les trois points d'un

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