remplie, elle ne mit entre le travail et le salaire, entre le mérite et la récompense, que l'intervalle d'une courte agonie. Ce moment suprême ne fut ni brusque ni subit. La mort se laissa pour ainsi dire apercevoir de loin, et ne s'avança qu'à pas lents. Lorsque le vénérable prélat sentit cette main glacée se placer sur son cœur pour en arrêter les battements, il réclama les prières des fidèles de son diocèse, et demanda lui-même les secours de la religion.

Le 16 juillet 1844, cinq jours avant sa mort, eut lieu cette cérémonie touchante. Les chanoines portant des flambeaux, suivis du clergé de Cambrai et de plusieurs prêtres des communes voisines, des fonctionnaires et des élèves des deux séminaires, se rendirent processionnellement à l'évêché, et entrèrent dans la chambre du prélat qui les attendait entouré de ses parents à genoux et en pleurs au chevet de son lit, et des serviteurs de sa maison, mêlant aussi à quelque distance, leurs prières et leurs larmes. Le vénérable malade reçut l'Extrême-Onction et le Saint-Viatique des mains de son premier vicaire-général, son confesseur et son ami, dont la voix était à chaque instant étouffée par les sanglots.

Ce dernier devoir rempli, le prélat mourant prit la parole et dit : « Messieurs, je vais bientôt » paraître devant mon Dieu; mais avant de lui >> rendre compte, j'ai besoin de vous prier de me » pardonner les torts que j'ai pu avoir envers

>> vous; je fais humblement satisfaction à tous ceux, >> absents ou présents, que j'ai eu le malheur » d'offenser en quelque manière que ce soit. Si » j'ai fait de la peine à quelques uns de vous, >> soit par ma trop grande vivacité, soit par >> quelque parole dure, je vous en demande » pardon.

>> Durant ma longue administration, je suis » sans doute souvent resté au-dessous de ce que » mes diocésains et vous étiez en droit d'attendre » de moi. J'ai souvent regretté que Dieu ne m'eût >> pas donné tous les moyens de remplir une » tâche aussi lourde que sainte. Je le remercie » d'avoir permis que quelques œuvres profitables >> au bien de son Eglise aient pu s'accomplir sous >> mon épiscopat. Vous m'avez aidé, Messieurs, » elles étaient impossibles sans vous, vous avez » donc la plus grande part du mérite et Dieu vous » en récompensera.

» Au moment de paraître devant mon souve» rain juge, j'ai besoin des prières de tous, » je vous les demande à tous. Priez, Messieurs, »notre divin Rédempteur et sa sainte Mère, de » m'accorder la faveur de jouir bientôt du bonheur » des élus. Priez pour votre évêque, il vous le > rendra au centuple.

» Je pardonne de toute mon âme à toutes les » personnes qui m'ont fait ou voulu faire de la » peine. Qu'elles soient bien persuadées que je >> leur sais bon gré de m'avoir éprouvé par

» quelques contrariétés. Comme mes autres amis, » je les porte toutes dans mon cœur. »

Après quelques sages recommandations sur l'administration du diocèse, pendant la vacance du siège, le prélat dont la voix s'affaiblissait, s'arrêta quelques instants. Puis, d'une voix émue, et de grosses larmes dans les yeux, il ajouta : << Messieurs, quand mes yeux seront fermés à la >> lumière, écrivez au gouvernement. Priez-le de >> permettre que mes restes mortels reposent dans » le caveau de la cathédrale, de sorte que je » puisse toujours être au milieu de vous, comme » vous serez toujours près de moi. La vue de ma » tombe vous fera souvenir de prier pour moi, » pour votre vieil évêque qui vous a tous aimés, » qui vous aime encore tous, et qui espère vous >> revoir tous près de notre divin Sauveur. Je lui » demande avec ferveur d'accepter avec bonté » mes souffrances, qui ne sont rien au prix de » celles qu'il a endurées, d'accepter le sacrifice » de ma vie, et de me recevoir dans sa miséri» corde. Adieu, Messieurs, je me recommande » encore à vos prières. »

Le vénérable malade se tut. Il était épuisé. Ses forces physiques l'abandonnèrent avant que son esprit, son cœur et sa charité lui fissent défaut. Ces derniers jours avaient comblé la mesure des bonnes œuvres. Le fruit était mûr; la main qui planta l'arbre du bien sur la terre, le cueillit pour l'éternité.