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profiter à l'ordre général; qui rendent odieux le chef qui les emploie; jettent la discorde parmi les égaux et la division dans ces grandes familles qu'on nomme communautés; sèment les soupçons dans tous les esprits, la défiance dans tous les cœurs, et détruisent tous les liens qui devraient unir une jeunesse vivant sous les mêmes lois et tendant au même but ! Quand cette surveillance occulte et souvent réciproque est érigée en système, ses plus beaux résultats sont l'isolement et la crainte servile. Louis ne l'ignorait pas. Une telle fin et de tels moyens répugnaient à la noblesse de son caractère, aux lumières de sa raison, à la sincérité de sa foi. Il rendait hommage à la règle par sa vigilance; il en commandait le respect par son exemple; elle seule, sous sa direction, était maîtresse; mais elle n'était que le moyen de son administration. La charité chrétienne en était l'ame et le but. Il aimait ceux qui lui étaient soumis comme ses frères, comme ses enfants; et ceux-ci, se sentant, non sous l'empire d'un maître, mais sous la douce loi d'amour, premier précepte de l'Evangile, vivaient entre eux dans l'estime, la confiance et le plus cordial abandon, respectaient leur supérieur comme un guide sage et bienveillant, et avaient pour lui une tendresse toute filiale.

Les personnes d'esprit, a dit un moraliste célèbre, ont en elles le germe de toutes les connaissances. On peut ajouter les hommes d'une

haute intelligence ont de l'aptitude pour toutes les fonctions; il leur suffit, pour réussir, de vouloir et de s'appliquer. Les circonstances développent leurs talents. Louis en est la preuve. En même temps qu'il révélait dans la direction du séminaire de Carcassonne cette capacité administrative qui fera la principale gloire de son épiscopat, il enseignait la théologie avec succès et distinction, joignant à la sagesse et à la bonté du supérieur, des qualités plus rares qu'on ne se l'imagine communément, celles du professeur.

La dignité de son caractère assurait l'ordre parmi les disciples; l'exactitude du maître commandait le travail; une lucidité remarquable d'exposition excitait et soutenait l'attention sans la fatiguer; une parole facile et spirituelle, en charmant l'oreilles et l'esprit, semait de fleurs le chemin aride de la science.

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Ce que l'école appelle argumentation ne dégénérait jamais dans son cours en dispute ardente et passionnée. Les objections préparées et réfléchies étaient examinées par le professeur et classées selon leur importance et l'ordre qu'il voulait donner à la discussion. Chacun exposait son sentiment avec liberté et le défendait avec modération et convenance. Le professeur, juge du débat, rattachant ensuite chaque opinion divergente à son principe, et la suivant dans ses conséquences, agrandissait le champ de la discussion, Bientôt, grâce à la profondeur de ses

connaissances, à l'enchaînement et au poids de ses autorités, à la sûreté de ses jugements, la lumière affluait de tous côtés, et, chaque question apparaissant dans son véritable jour, les doutes s'éclaircissaient d'eux-mêmes, l'erreur se dissipait sans effort, et la vérité, dont le professeur se faisait l'organe, brillait à tous les yeux du plus pur éclat.

On sortait de ses leçons bien moins contraint que convaincu. Ses doctrines il ne les imposait pas, il les démontrait. Ses principes il les considérait comme un bien commun à toute l'Eglise, comme un dépôt sacré qu'il devait transmettre intact à ses disciples. Il regardait comme un devoir non moins essentiel de leur apprendre à s'éclairer eux-mêmes, à faire usage de leur raison, à remonter jusqu'aux sources de la vérité qui est une et appartient à tous. Cette méthode est large. Pour la pratiquer, il faut beaucoup d'érudition et de travail; mais aussi que les fruits en sont précieux! Elle n'arrête pas l'esprit dans son essor; elle ne lui mesure ni la lumière ni l'espace; elle ne l'enferme pas dans l'enceinte étroite de l'école; elle le transporte au dehors; il se sent libre, il respire pour ainsi dire le grand air; il marche à la clarté du jour, il fournit de ses propres forces la carrière que la Providence a ouverte devant lui, et arrive enfin, d'un pas ferme et sûr, à la pureté et à l'unité de la foi!

Un enseignement si solide, donnant l'exclusion

à l'esprit de secte, aux subtilités de l'école, aux distinctions, aux arguties des Casuistes, était éminemment propre à faire des hommes véritablement éclairés, des hommes d'une science non apprise mais raisonnée, non empruntée mais acquise, en un mot des théologiens capables euxmêmes d'en former d'autres. De son côté le jeune professeur retira le plus grand fruit de son travail. Les Conciles, les pères de l'Eglise, l'Ecriture sainte, l'Histoire ecclésiastique, tout fut revu avec ce soin qu'on apporte à ce qu'on doit enseigner. Les plus hautes questions théologiques lui étaient devenues familières. Pour l'exposition ou la solution de chacune d'elles, il s'était entouré d'une foule d'autorités imposantes, puisées toutes aux sources mêmes de la plus pure orthodoxie. Sa mémoire prodigieuse le dispensait d'écrire beaucoup de choses. Ses connaissances étaient si nettement classées dans son esprit, qu'il savait toujours où trouver les textes, au besoin. Ce travail de recherches et de classification qu'il dût faire comme professeur, il le continua pendant toute sa vie. Sa tête était si richement et si sûrement meublée, que dans les derniers temps, lorsque sa vue commençait à s'affaiblir, il indiquait à ceux qui écrivaient sous sa dictée, le rayon de sa bibliothèque où se trouvaient les ouvrages à consulter, le volume, souvent même la page contenant les citations à faire, les autorités à produire. Des témoins compétents et dignes de foi

nous ont assuré qu'il possédait le texte entier de la Vulgate aussi bien, mieux peut-être que le plus habile jurisconsulte ne connaît les articles du code.

A l'époque où Louis étudia et professa la théologie, les libertés de l'Eglise gallicane étaient enseignées dans toutes les écoles de France. Ces libertés dont les particularités sont trop nombreuses pour trouver place ici, sont appuyées sur deux maximes fort connexes que la France a toujours tenues pour certaines.

La première est que la puissance donnée par J.-C. à son Eglise ne s'étend ni directement, ni indirectement sur les choses temporelles.

La seconde, que la plénitude de la puissance qu'a le Pape, comme chef de l'Eglise, doit être exercée conformément aux canons reçus par toute l'Eglise, et que lui-même est soumis au jugement du concile universel, dans les cas marqués par le concile de Constance.

Ces maximes, ont été déclarées solennellement par le clergé de France, assemblé à Paris en 1682, comme étant l'ancienne doctrine de l'Eglise gallicane.

L'assemblée de 1682 est l'époque la plus mémorable de l'histoire de cette Eglise, c'est celle où, selon l'illustre biographe de Bossuet, elle a jeté son plus grand éclat; les principes qu'elle a consacrés ont mis le sceau à cette longue suite de services que l'Eglise de France a rendus à la France.

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