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>> Je dois au bien commun de mon royaume, » je dois à moi-même de faire cesser ces funestes. » divisions. »

Une déclaration impérative annule ensuite la constitution des communes en assemblée nationale, conserve la distinction des trois ordres et, c'était le grand objet de la séance royale, le Roi ordonne aux députés de se séparer tout de suite, et de se rendre le lendemain matin dans les chambres affectées à chaque ordre.

Il sort. Les députés des communes restent immobiles sur leurs sièges. Chacun connaît la véhémente apostrophe de Mirabeau au maître des cérémonies; l'abbé Syeyès se résumant froidement au milieu de l'indignation générale : « Messieurs dit-il, vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier, délibérons. »

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L'assemblée décrète sur-le-champ le maintien de ses précédents arrêtés et l'inviolabilité de ses membres.

En ce moment décisif, la majorité du clergé ne se montre ni moins ferme ni moins résolue. Fidèles à la cause nationale, cent soixante-cinq députés ecclésiastiques se réunissent définitivement aux députés du tiers. Quarante membres de la noblesse en font autant.

Quatre jours après la séance royale, la noblesse et la minorité du clergé se rendent, sur l'invitation du Roi, dans la salle de l'assemblée nationale. En dépit des conseils de l'abbé Maury et

des terreurs inspirées par l'archevêque de Paris, la fusion des ordres est consommée ..

Ces événements occupaient toute la France. Le bruit s'en propageait avec une étonnante rapidité de Versailles à Paris, de Paris dans les provinces, des villes dans les campagnes. Ils avaient du retentissement jusque dans la retraite de Louis à Carlypa. Epurés, pour ainsi dire, par la distance et la solitude, ils y étaient jugés avec ce discernement et cette impartialité que donnent la rectitude de l'esprit, la droiture du cœur et le désintéressement.

La sagesse du curé était d'accord avec le bon sens des paroissiens. Le village entier ne voyait que par les yeux de Louis, n'agissait que par ses avis. Heureux fruit de l'affection que le pasteur avait su inspirer à son troupeau! Heureux accord dans des temps de crise sociale !

Un dimanche après vêpres, Louis quitte Carlypa pour se rendre à Castelnaudary. Tout à coup le bruit se répand dans le village que des brigands dévastent les communes voisines, coupent les vignes et les oliviers, incendient les moissons; qu'ils approchent, qu'on va les voir paraître. Surpris, effrayés, les habitants s'arment à la hâte, s'assemblent, et, par cet instinct qui nous porte, dans un danger pressant, à courir chez nos amis, c'est au presbytère qu'ils se rendent. His de

I Note 9.

mandent le bon curé; ils désirent avoir ses conseils. Louis est absent. On court à l'église espérant l'y trouver encore. Vain espoir ! Les craintes redoublent, l'effroi est à son comble. Menacés de l'approche des brigands, privés de leur curé, ces bonnes gens sé croient abandonnés. La foule rassemblée dans l'église reste muette, consternée.

Cependant Louis sur sa route entendant aussi parler de dévastations, d'incendies, de brigands qui approchaient, s'était hâté de revenir sur ses pas. A peine a-t-il paru, on court au-devant de lui, on l'entoure, on se presse, on lui demande ce qu'il a entendu, ce qu'il a vu, ce qu'il faut faire; s'ils seront assez forts pour préserver leur village et leurs champs de la dévastation?

La présence de Louis avait déjà diminué les craintes; ses paroles rendirent l'assurance aux esprits troublés. C'était un beau spectacle de voir ce prêtre jeune encore, mais plein d'expérience, et de maturité, calmer par sa seule autorité personnelle cette foule d'hommes qui l'entourent armés de faulx, de fourches, de hâches, de fusils, de sabres rouillés, qui l'écoutent chapeau bas, dans une sorte de recueillement, et disposés d'avance à suivre ses conseils comme ceux d'un chef, d'un père, d'un ami!

: L'erreur ne tarda pas à être reconnue. Louis devint encore plus cher à ses paroissiens. Ils sentaient plus que jamais le prix de ses lumières et la valeur de ses conseils. En dissipant leurs

craintes Louis semblait avoir conjuré le danger. Aussi, lorsque quelques jours plus tard, des rumeurs plus alarmantes encore vinrent désoler les provinces; quand d'un bout de la France à l'autre retentit ce cri sinistre : Guerre aux châteaux! Grâce à l'heureuse intervention de Louis, grâce à ses sages avis, à la confiance qu'il inspirait, à l'affection qu'on lui portait, aucun désordre n'eut lieu dans sa commune. La guerre ne fut point faite au château parce que la parole de Louis faisait régner la paix dans la chaumière !

Cependant l'assemblée nationale s'était mise à l'œuvre. Sa prudence et sa fermeté triomphaient des obstacles sans nombre et sans, cesse renaissants dont les ennemis de la liberté semaient sa marche. D'une main elle soutenait l'édifice féodal qui menaçait de ne laisser que des ruines, en s'écroulant tout d'un coup; de l'autre, elle posait les fondements de la société nouvelle. Il n'entre pas dans notre sujet de la suivre dans ses importantes réformes et ses glorieux travaux; mais, il faut le proclamer hautement à l'honneur de ses lumières et de son patriotisme, dans ce qu'elle détruisit aussi bien que dans ce qu'elle créa, elle fut toujours guidée par des principes aussi féconds que chers à la France: l'indépendance et la grandeur nationales. Elle ne supprima que pour conserver; elle ne réforma que pour unir. La suppression des provinces fit de trente états un seul empire; l'abolition des privilèges fit de tous

les français égaux devant la loi, une seule nation; l'Eglise elle-même, sauf le dogme, entra dans l'unité nationale. Organisation puissante qui fera peut-être un jour de la France la première et la plus libre nation de l'Univers. Tel fut du moins le noble but de nos pères !

Mais en même temps qu'ils acquéraient ce titre immortel à la reconnaissance de leurs descendants, il fallait, tâche difficile, régler, pour ainsi dire, les comptes de l'ancien régime. Frédéric-le-Grand prédisait, trente ans auparavant, que les biens du clergé serviraient un jour à payer les dettes du Roi de France; mais aucun Roi n'aurait eu assez de puissance pour exécuter cette mesure de salut! Et pourtant ce n'était pas une iniquité. Ce n'était que le retour à l'Etat des biens donnés par l'Etat ou avec sa permission, à la décharge de l'Etat, et qui n'étaient pas plus la propriété de l'Eglise ou du clergé, que le domaine de la Couronne n'est la propriété personnelle du Roi. Le droit d'avoir recours sur les biens de l'Eglise dans les nécessités urgentes du royaume, est incontestable; le clergé l'avait reconnu lui-même aux états de Blois.

Plusieurs orateurs du haut clergé et surtout l'abbé Maury, en firent aussi la reconnaissance à la tribune nationale. Ils ne niaient que l'opportunité de la mesure. Mais jamais l'usage d'un droit ne fut pour une assemblée politique d'une plus impérieuse nécessité. Les coffres de l'Etat étaient vides, les ressources engagées pour l'avenir; les

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