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n'était donné à aucune sagesse humaine de prévoir, Louis ne pouvait écouter et suivre que la voix du devoir et les inspirations de sa conscience. Sa loi était l'Evangile, ses modèles les premiers chrétiens. Il en avait la foi, les principes, les vertus.

Ce retour aux usages primitifs l'avait naturellement séduit. Elevé au sacerdoce par la main de la Providence, il avait cette simplicité de cœur, ces illusions généreuses et naïves qui le flattaient des plus pures espérances. Par la réforme des abus, il voyait la religion épurée de tout mélange, purgée de tout contact avec les intérêts étrangers à sa mission spirituelle, et renfermée dans le cercle de ses attributions saintes, recueillir pour prix des bienfaits et des consolations qu'elle répand sur la terre, la reconnaissance et les bénédictions des peuples, la protection et le respect des gouvernements, et reconquérir à la fois ces lumières et ces mœurs qui ont fait sa force et sa gloire dans les premiers âges.

Non moins ami de son pays qu'il était attaché à sa foi, Louis ne séparait pas le Christianisme de l'humanité. S'il gémissait en secret des scandales qui déshonoraient une partie du clergé, des privilèges qui tenaient l'autre dans une oppression humiliante, il n'était pas moins douloureusement affligé comme homme, des malheurs de ce peuple auquel il appartenait par sa naissance, au milieu duquel il vivait, qu'il aimait, dont il était aimé,

dont son cœur sentait les maux, dont sa charité mesurait tous les jours la misère.

Il avait entendu les murmures qui s'élevaient naguère contre tous les oppresseurs ; il savait combien de reconnaissance avait déjà recueillie l'assemblée nationale en affranchissant le peuple des campagnes de l'esclavage de la féodalité, en le délivrant de la dîme qui donnait au clergé le tiers du revenu net des productions de la terre dans la moitié du royaume, le quart ou le cinquième dans une autre moitié, enfin de cet impôt de la Gabelle qui, en mettant un prix excessif à la plus vile des denrées, occasionnait tous les ans une multitude de supplices. Il voyait avec bonheur la terre, la culture, les récoltes et les hommes libres; l'égale répartition de l'impôt, la division de la propriété, l'égalité devant la loi, l'accès de tous les emplois ouvert à tous les Français, la loi substituée à l'arbitraire, la volonté de la nation au pouvoir absolu. Enfin une constitution était à ses yeux le gage d'une régénération nécessaire, une source d'indépendance, de prospérité, de grandeur nationale.

Aussi toutes les tentatives pour l'entraîner dans la résistance qui s'organisait alors contre l'assemblée constituante furent vaines. Il refusa constamment de s'associer aux manoeuvres tramées pour suspendre, pour arrêter ou faire avorter les réformes les plus indispensables et les plus salu

taires. Il résista aux suggestions de toute nature, aux sollicitations, aux menaces. Il n'ignorait pas qu'il y a des haines implacables qui ne pardonnent jamais à l'indépendance de l'esprit, à la droiture du cœur, à la fermeté du caractère. Il ne l'ignorait pas; mais rien ne put le faire devier de la ligne que sa conscience lui avait tracée. Entre les abus et la réforme, entre la résistance et la soumission, entre la ligue et le souverain, il n'hésita point. Il fit sans regret à l'intérêt général tous les sacrifices personnels. Attaché de cœur et par devoir aux lois de la patrie, profondément convaincu, comme tous les hommes éclairés et sincères, qu'elles n'étaient nullement contraires au dogme, à l'autorité divine de l'Eglise, à la primauté légitime du Saint-Siège; trop ferme pour feindre, trop courageux pour craindre; animé de la foi la plus vive, du patriotisme le plus pur, Louis jura, dans sa petite église de Carlypa, d'être pasteur dévoué jusqu'à la mort, français jusqu'à son dernier jour! Ce serment, le seul qu'il ait fait, M. Belmas l'a tenu comme prêtre, comme citoyen. C'est là sa gloire. Cette page de sa vie, ni sa bouche, ni sa main, ni son cœur, ne l'ont reniée. Comme lui nous l'avons conservée intacte. Loin de l'abréger ou de la voiler, nous l'avons étalée tout entière à tous les yeux. La sincérité de Louis nous en faisait un devoir aussi bien que la nôtre. Que Dieu et son Eglise nous jugent. Non, M. Belmas n'a point cru faillir, non, il n'a point

failli. Il n'a point failli, et, si tous les membres du clergé eussent possédé ses lumières, ses vertus, sa courageuse fermeté, l'Eglise, nationale, populaire, respectée, eut traversé sans regret comme sans faiblesse, sans larmes et sans désastre, une révolution nécessaire que Dieu avait marquée dans ses impénétrables décrets.

Mais la résistance aux réformes légales fut obstinée. Consciencieuse chez les uns, aveugle ou intéressée chez les autres, elle était calculée et politique chez les promoteurs et les chefs. En suscitant des embarras à l'assemblée constituante, ils n'avaient d'autre but que de faire regretter le pouvoir absolu. Cette désobéissance aux lois de l'Etat devint la source des plus grands maux 3.

Quand la sagesse de l'assemblée nationale ne présida plus aux destinées de la France, des mesures de rigueur furent décrétées, et la réforme des abus ne tarda pas à dégénérer en révolution religieuse. Toutes les passions s'exaltèrent quand cette résistance intérieure parut concertée et combinée avec la guerre que la noblesse française, les princes du sang et les Rois étrangers organisaient sur la frontière. Enfin les dernières illusions tombèrent lorsque Louis XVI, cédant à des instigations funestes, voulut fuir ses étals, et par cette tentative malheureuse laissa croire qu'il n'avait

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2 Note 23. 3 Note 24.

d'autre intention que de se mettre à la tête des ennemis de la liberté et de la France. Dès lors, prêtres, nobles, Roi, tout fut enveloppé dans la même réprobation. Des personnes la haine passa aux choses. L'on vit bientôt la royauté abolie, la religion proscrite, le trône et les autels renversés, l'échafaud seul debout; la tête du Roi jetée, comme autrefois celle d'Asdrubal, devant les bataillons étrangers qui envahissaient la France; la plus sanglante dictature, soumettant tout à son terrible niveau, jusqu'au moment où, ses pieds glissant dans le sang, elle tomba, et fut brisée elle-même comme un de ces fléaux dont se sert quelquefois la vengeance céleste.

Après ces tyrans sanguinaires qui outragèrent la liberté par des proscriptions; après ceux qui du milieu des rangs ennemis menaçaient, dans leurs proclamations, de clouer la constitution française sur la tête de chaque Français; s'il est d'autres coupables qui ont provoqué ces déplorables excès, que leur nom ne paraisse pas sous notre plume. Mais il nous est permis du moins de rappeler à qui serait tenté de l'oublier, que cette partie du clergé qui, comme M. Belmas, obéit aux lois de son pays par conviction et par devoir, n'a fourni aucun motif aux rigueurs qui furent alors déployées, ni laissé aucun prétexte aux ennemis du culte catholique. Cette soumission consciencieuse aux lois a même porté des fruits salutaires. Elle a montré aux peuples que cette religion chrétienne,

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