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tous les ouvrages qui intéressent l'existence des hommes, la sûreté et la prospérité des états. Mais si les forêts sont indispensables par rapport à leurs produits, elles le sont encore par l'heureuse influence qu'elles ont sur l'athmosphère et sur l'état du sol dans chaque contrée. Ces grandes masses de végétaux attirent et divisent les orages, les distribuent en pluies fécondantes, donnent naissance aux sources et aux rivières, absorbent les gaz délétères, et rendent à l'air que nous respirons, sa fraîcheur et sa pureté; elles couvrent et décorent la cîme des montagnes, soutiennent et affermissent le sol sur la pente rapide des côteaux, et enrichissent les plaines de leurs débris; tempèrent la violence et les effets des vents glacés du nord, et nous garantissent en partie, de l'air brûlant du midi; elles sont d'ailleurs le plus bel ornement de la terre, et, sous quelques points de vue qu'on les considère

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elles

se lient nécessairement à l'harmonie des lois de la nature, et à l'existence des hommes et des animaux. En effet, sans elles pourroit-on concevoir le maintien de l'ordre physique du monde, et, à plus forte raison, aucune idée de prospérité publique ? non sans doute, si la terre étoit subitement dépouillée de bois, toutes les privations, tous les maux, seroient la suite d'une pareille catastrophe; les arts et toutes les ressources de la vie s'éteindroient privés des matières premières; les substances qui servent à la nourriture de l'homme, désormais sans préparation, irriteroient ses besoins sans les satisfaire; les froids rigoureux tourmenteroient sa débile existence, car le foible secours des combustibles minéraux seroit bientôt épuisé; le tarissement des eaux suivroit la disparition des forêts, et, au lieu de l'agréable fraîcheur, de l'air pur et vivifiant qu'elles répandoient autour de nous, la sécheresse, la stérilité et la corruption por¬

teroient sur tous les êtres vivans, la langueur et le dépérissement.

Qu'on ne soit donc point étonné, si, dans tous les temps, les forêts ont fixé l'attention des gouver nemens, et si on a attaché tant d'importance à leur conservation. Les Romains avoient établi des magistrats pour la conservation des forêts, et cette commission fut souvent déférée aux consuls nouvellement créés. Bibulus et Jules - César eurent le gouverne ment général des forêts; ce que l'on désignoit par les termes de provinciam ad sylvas ac colles. Leur administration pouvoit donc s'allier à la dignité consulaire, et le vœu de Virgile étoit déjà rempli, lorsqu'il dit: Si canimus sylvas, sylvæ sint consule digna!

La sollicitude des gouvernemens s'est accrue à mesure que les ressources en bois ont diminué, et l'on remarque que les règlemens sur cette partie devinrent, de siècle en siècle, plus sévères, et plus propres à arrêter la destruction des bois.

Les contrées que nous habitons avoient été couvertes d'immenses forêts, mais l'augmentation de la population et les progrès des arts industriels nécessitèrent des abattis et des défrichemens considérables; on resserra le domai.. ne forestier dans des espaces plus bornés, et dans les cantons les moins propres à la culture des plantes nourricières, pour livrer à celles-ci une étendue, d'autant plus considérable alors, que l'art agricole, encore dans son enfance, n'avoit point appris à nos pères, à tirer de la terre tout le parti que nous avons obtenu depuis. On sentit bientôt la nécessité de modérer les défrichemens, et de veiller à la conservation des forêts. Ce fut l'objet de plusieurs règlemens qui, par la progres ⚫ion de leur sévérité, marquent, ainsi qu'on vient de le dire, les progrès de la diminution du bois.

Les lois Ripuaires défendirent rigoureusement les vols de bois dans les forêts royales et communales.

La loi Salique réitéra ces défenses, statua des peines contre ceux qui porteroient du feu dans les forêts, ou qui y causeroient des dommages; établit l'usage de marquer les arbres à abattre, et fixa à un an le délai pour les enlever, sous peine de confiscation; prescrivit des punitions contre ceux qui les écorceroient sur pied, et défendit sévèrement l'abattage des arbres fruitiers.

Les lois des Lombards ordonnèrent que celui qui abattroit un arbre de réserve, ou qui en enlèveroit seulement la marque, eût le poing coupé ou perdît la vie.

Telles furent les premières lois, encore barbares il est vrai, qui renfermèrent quelques dispositions sur les forêts.

Dans la suite des temps, les rois, les princes, les comtes établirent, sous différens noms, des officiers spéciaux pour la conservation de leurs bois.

Mais on remarque que nos premiers souverains, même depuis Charlemagne, eurent moins en vue la conservation du bois que celle de la chasse, dont ils furent très-jaloux; cet objet de consommation étoit encore trop commun et de trop peu de valeur, pour qu'ils dussent en craindre la disette. C'étoit sur leurs domaines particuliers, villa regia ou foreste dominicum, qu'ils portoient la plus grande attention. La régie de ces domaines fut l'objet de plusieurs capitulaires de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire. Ces princes la confièrent à des officiers sous le nom de juges. Ils leur recommandoient particulièrement la conservation de leurs foresta; mot générique qui comprenoit alors les étangs pour le poisson, en même temps que les bois pour les pâturages, ad pastiones. Ces juges ou économes s'appeloient aussi forestarii, terme corres

pondant à la double signification de forestæ. Des officiers supérieurs, résidans à la cour, étoient envoyés dans les provinces, sous le titre de missi, députés, pour inspecter, par eux-mêmes, l'état des domaines royaux et même des biens de l'Eglise. Ils en informoient les comtes qui résidoient dans les provinces, pour que ceux-ci veillassent à y maintenir le bon ordre et à y réformer les abus.

Cette première administration s'aggrandit par la suite, et on établit, dans differens districts, des lieutenans des juges, sous le nom de vicarii, auxquels suc cédèrent d'autres officiers, sous le titre de balivi, baillifs (1). Ces derniers furent, à leur tour, remplacés par les maîtres des eaux et forêts, après toutefois avoir exercé concurremment avec eux, ainsi qu'on le voit par des actes de 1283.

Un officier supérieur étoit placé près de la personne du Roi, avec le titre de forestier, et, peut-être, comme le dit l'auteur du recueil des lois forestières, avec celui de protoferestarius. Il avoit l'inspection générale sur les forêts, et il paroît qu'il eut encore sous ses ordres des officiers inférieurs qu'on appeloit justiciarii forestarum. Cependant, on ne trouve point dans ces temps reculés, de lois spéciales sur la police générale des eaux et forêts, sans doute parce que le bois étoit toujours abondant. Les défenses, même concernant le pâturage dans les métairies roya les, n'étoient fondées que sur des raisons d'économie, ne minuerint pastiones regiæ, et non sur le dommage qui en pouvoit résulter pour le bois. Ce ne fut guère que vers le treizième siècle que l'on

(1) Baillif, c'est-à-dire, garde ou protecteur; mot dont les réserves sur taillis tirèrent leur dénomination, parce que les baillifs, dans les provinces, en eurent long-temps la garde.

s'occupa sérieusement de la conservation des forêts. L'ordonnance de Philippe-le-Long, l'une des premières qui contiennent un système suivi d'admi→ nistration, est de l'année 1318. Philippe de Valois rendit, en 1333, une nouvelle ordonnance sur les eaux, rivières et étangs, et une autre, en 1349, sur l'inaliénabilité du domaine. Enfin, il fut établi, vers l'an 1360, un grand-maître général réformateur pour tout le royaume; et c'est particulièrement de cette époque que date l'administration qui s'est conservée jusqu'à nos jours, en recevant, de chaque souverain, quelque amélioration. Charles V, dont le règne fut d'ailleurs si rempli, s'occupa aussi d'améliorer le ré gime forestier, et augmenta la marine militaire de la France. Ses sucesseurs, Charles VI, Louis XII, François I, Charles IX et les autres rois, y compris Henri IV, rendirent, pendant les trois siècles que dura la suite de leurs règnes, des lois conservatrices de cette partie du domaine, que François I appela la chose la plus utile et la plus requise du royaume.

Mais il étoit réservé à Louis XIV d'apporter un grand perfectionnement dans la police forestière. Son digne ministre appela son attention sur cet objet par une prédiction qui atteste l'état de dégradation où se trouvoient les forêts, nonobstant toutes les mesures qui avoient été prises. On fit rassembler les diverses ordonnances rendues jusqu'alors, on les conféra avec les renseignemens fournis par les commissaires départis dans les provinces pour la réformation des forêts; les jurisconsultes et les praticiens les plus instruits dans la matière, furent chargés de rédiger un nouveau règlement. Le grand Colbert présida à cette rédaction, qui dura dix ans, et c'est de ce travail mûri par le temps et la réflexion, que résulta le chefd'œuvre de la législation forestière, l'ordonnance de

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