Page images
PDF
EPUB

1669. C'est aussi de cette époque que l'art du forestier s'aggrandit, en embrassant plus d'objets, et qu'il fixa l'attention des naturalistes. Cependant, comme rien de ce qui sort de la main des hommes, n'est par fait, ce règlement ne satisfit pas tout le monde et donna lieu à de nombreuses discussions. Des physiciens d'un grand mérite le trouvèrent défectueux, dans ses dispositions sur les aménagemens et sur les exploitations. Ils lui reprochèrent d'avoir consacré un mode nuisible à la renaissance et à l'accroissement du bois, en ordonnant de réserver des baliveaux dans les taillis. Leur critique fut appuyée de raisonnemens et d'expériences qui firent douter en effet qu'on eût choisi le meilleur mode d'exploitation des taillis. Les noms de Duhamel, de Réaumur et de Buffon, placés les premiers sur la liste des adversaires du système des futaies sur taillis, étoient faits pour inspirer de la confiance dans leur opinion, et imposer aux défenseurs de l'ordonnance. Néanmoins, cette opinion fut combattue par plusieurs auteurs, au nombre desquels on compte Pannelier D'annel, Tellès d'Acosta, de Perthuis et Clausse. La question, après avoir été long-temps et vivement débattue par les deux partis, resta indécise; comme il arrive toujours lorsqu'une question est trop générale. Les uns vouloient proscrire partout les futaies des taillis; les autres en vouloient réserver dans tous, les taillis. M. Dralet, dans son judicieux ouvrage sur l'aménagement des forêts, a distingué les cas où l'exécution de l'ordonnance pouvoit être utile, et ceux où il seroit dangereux de l'appliquer. Les règles à suivre, à cet égard, paroissent, en effet, déterminées d'après les localités, et il semble qu'il n'y a pas plus de raison pour ordonner des réserves dans tous les bois, qu'il n'y en auroit de fixer au même âge, dans toutes les forêts, l'exploitation, soit des futaies, N.° 24.

12

soit des taillis. Au reste, je n'ai point l'intention de ramener la discussion sur ce point d'économie forestière, et encore moins, la prétention de vouloir résoudre le problème. Je me bornerai à proposer deux questions, qui consistent à savoir: 10. si les arbres réservés dans les taillis, considérés comme étalons ou porte-graines sont utiles pour la reproduction naturelle des plants de bonne essence; 20. si ces mêmes arbres, qui jouissent de la plénitude des bienfaits atmosphériques, et qui ont toute liberté pour étaler leurs branches, offrent un bois plus dénse, plus solide et une configuration plus avantageuse, pour les constructions navales, que les futaies en massif. La résolution affirmative de ces questions ne peut être douteuse; elle est fondée sur l'expérience, et elle existe, même dans les écrits des adversaires des futaies sur taillis, et notamment dans ceux de M. Duhamel. M. de Burgsdorf blâme aussi l'usage d'élever ensemble ces deux classes de bois, parce qu'il vise plus à la quantité des produits qu'à ménager des ressources pour la marine; cependant, il ne proscrit pas absolument la réserve des arbres sur les taillis, il pense qu'on en peut conserver quelques-uns pour faciliter les repeuplemens naturels. Mais on doit observer ici que le mode d'exploitation par éclaircissement, que l'on a adopté en Allemagne, pour les futaies pleines, est très-propre à former de beaux arbres, pour les constructions civiles, les seules, pour ainsi dire, dont le pays ait besoin; puisqu'il n'y a presque point de marine, et que, dès-lors, les Allemands n'ont pas les mêmes motifs que nous, pour faire des réserves dans les taillis.

Si donc, les auteurs forestiers de cette nation ont blâmé leurs règlemens, en ce qu'ils prescrivoient le même mode que notre ordonnance, c'est que les inconvéniens de ce mode ne sont pas rachetés, chez eux,

par les ressources qu'il offre ailleurs pour la marine: Quant à nous, il nous faut des bois courbes, et ce n'est guère que dans les futaies sur taillis, dans les bordures, et parmi les arbres épars qu'on en trouve. Je m'attacherai par la suite à le démontrer, et si je propose quelques moyens auxiliaires, ils seront toujours fondés sur les lois de la physique végétale, et sur l'obsevation que les arbres prennent diverses configurations, suivant l'état libre ou gêné dans lequel ils végétent.

Mais je dois rappeler ici les tentatives qui ont été faites pour obtenir des bois de marine, par des moyens artificiels: plusieurs auteurs françois, allemands et anglois ont proposé d'imprimer aux jeunes arbres les courbures nécessaires, par des poids attachés à leur cîme, par des cordages, des échafaudages multipliés, des amputations de la tête et des branches, des transplantations successives, etc. etc. Mais ces attirails de machines et d'apprêts étoient trop dispendieux et d'un succès trop incertain pour qu'on dût s'y arrêter. Aussi, la raison et l'expérience en ont-elles fait justice. Cependant, je ferai connoître dans un ouvrage dont je m'occupe, une méthode inventée par un auteur allemand qui a concouru pour un prix proposé par l'amirauté de Danemarck, sur la question de savoir si l'art ne pourroit former des bois propres à la ma→ rine. Cette méthode consiste à planter de jeunes chênes en les inclinant dans la proportion de la courbure qu'on veut obtenir. Je ferai connoître aussi un procédé proposé par un auteur anglois, pour former des courbes dans les forêts même, en attachant deux à deux, et par leurs cîmes, de jeunes brins de chêne et, en leur faisant subir ensuite quelques légères opérations, pour achever de diriger leurs tiges dans le sens qu'on désire. Ces deux méthodes m'ont paru

[ocr errors]

les moins coûteuses et les plus praticables, parmi toutes celles qui ont été proposées.

Si je me suis un peu étendu sur ce qui concerne les bois de marine, c'est que cette notice est destinée à servir d'introduction à un recueil d'observations relatives à cet objet important. Mais, je dois terminer le tableau historique des forêts par l'exposé rapide des derniers changemens survenus dans leur administration et dans leur régime intérieur.

La jurisdiction des eaux et forêts qui, par l'édit de 1543, avoit été attribuée aux officiers des maîtrises concurremment avec les juges ordinaires, leur fut exclusivement dévolue par le titre de l'ordonnance de 1669. Ils l'exercèrent jusqu'en 1790, où la loi du 12 septembre de la même année la réunit aux tribunaux. A cette époque, les grueries, maîtrises et siéges de réformation furent privés de la juridiction contentieuse; mais la surveillance des forêts et toutes les fonctions administratives qui y ont rapport, furent conservées aux officiers qui composoient ces maîtrises, à l'exception des lieutenans particuliers, et ils ont continué de les exercer dans les limites de leur ancien ressort, jusqu'à ce que les nouveaux agens, créés par la loi du 16 nivôse an 9, aient pu être mis en activité. Depuis cette époque, l'administration actuelle a éprouvé quelques modifications qui ont accru sa force et ses moyens de surveillance.

Tout le monde se rappelle l'état vraiment déplorable où se trouvoient les forêts de beaucoup de départemens; abandonnées, pendant les premières années de la révolution, au pillage, au parcours immmodéré des bestiaux, à de nombreuses usurpations de la part des riverains, et fatiguées par des coupes exces sives; elles n'offroient que trop souvent les traces d'une effrayante dégradation. Il falloit arrêter les pro

grès du ravage, en réparer les effets, autant que cela étoit au pouvoir des hommes, et s'occuper enfin des travaux qui, bien avant la révolution, étoient devenus indispensables. Ce fut l'objet d'une surveillance plus active, d'une répression plus prompte et plus sévère dans les délits, d'un système d'exploitation plus sage et mieux combine, et d'entreprises considérables divisées sur un grand nombre de points et proportionnées aux consommations locales.

Déjà les succès de ces mesures salutaires ont rame◄ né l'ordre dans les forêts, assuré leur conservation, garanti une succession non interrompue de coupes régulières, et procuré le repeuplement de vides et de clairières d'une grande étendue. Plus de soixante mille hectares de ces terreins remis en bois ; une centaine de pépinières établies; plus de vingt-cinq millions de plants de haute tige employés à garnir les routes et fossés traversant les forêts; environ trois millions de mètres de fossés de défense et d'assainissement, construits à neuf ou réparés; quinze mille hectares de bois recépés; au moins trois cent vingt mille hectares soumis à un aménagement régulier; plus de deux millions sept cent mille mètres de chemins faits à neuf ou réparés; près de deux millions de mètres de chemins de vidange élagués ; environ quarante-cinq mille hectares de bois recouvrés; tels sont les travaux effectués sur la masse génerale des forêts. impériales composées d'environ 2,322, 000 hectares. On doit ces améliorations aux mesures réparatrices adoptées par le gouvernement et aux efforts constans qui en ont procuré l'exécution. Ces améliorations importantes, qui doivent être suivies de travaux plus importans encore, seront des monumens qui attesteront à la postérité reconnoissante, les bienfaits du GENIE qui sauva la France, et posa les fondemens de sa prospérité.

« PreviousContinue »