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plique non-seulement à tous les états mahométans, mais encore à la Chine et au Japon. On reconnaît qu'on doit observer les mêmes principes à l'égard de toutes les nations, qu'elles adorent Dieu à la manière des chrétiens ou des bouddhistes, d'après les préceptes de Mahomet ou ceux de Confucius. On a enfin admis le principe que « la religion n'entraîne ni ne limite l'obligation de respecter le droit. »

Limites du droit international.

Le droit international moderne reconnaît avant tout aux différents états le droit d'exister les uns à côté des autres. Il a pour but d'assurer cette existence, non de la mettre en danger; il veut protéger la liberté des nations et non les opprimer. Mais en même temps il crée des devoirs à ces états, car il les réunit comme membres de l'humanité, et par suite exige d'eux le respect des droits humanitaires. Si l'on voulait considérer la souveraineté des états comme illimitée, chacun d'eux croirait pouvoir faire à l'égard des autres ce qui lui plaît, et le principe même du droit international serait nié par là. Inversement si l'on voulait mettre en pratique l'idée de la solidarité absolue des états et de l'unité de l'espèce humaine, on mettrait en danger l'indépendance, l'individualité et la liberté des différents états; on les ferait descendre au niveau de simples provinces du grand état universel.

Il est donc nécessaire que tout en se développant, le droit international respecte les limites que lui trace le droit public. Le droit international devra s'occuper surtout des rapports entre les états, et se garder bien de s'immiscer dans leurs affaires intérieures. Même quand il s'agit de droits généraux de l'humanité, il leur laisse ordinairement le soin de protéger les droits individuels; il n'intervient point dans l'exercice de la jurisprudence criminelle des divers états, quand bien même des droits humanitaires peuvent ici être en cause.

Il n'est pas impossible que le droit international devienne moins timide à l'avenir, et qu'on se croie autorisé à intervenir lorsqu'un état ne respecte pas suffisamment les lois de l'humanité; il en serait alors à peu près comme dans les états fédératifs où le pouvoir central garantit aux citoyens certains droits,

et intervient lorsqu'un état ou canton ne les respecte pas. Jusqu'à présent, les essais de garantir au nom du droit international, certains droits individuels communs à toute l'humanité ont été rares, et on ne les a tentés que faiblement. Encore aujourd'hui, la crainte d'empiéter sur la souveraineté des divers états empêche toujours d'agir énergiquement dans cette direction.

Mesures prises contre l'esclavage.

Les mesures internationales prises contre la traite des noirs nous fournissent précisément un exemple d'intervention en faveur des droits individuels.

La plupart des peuples de l'antiquité avaient toléré l'esclavage. Les jurisconsultes romains, sentant bien que le droit naturel entraine pour conséquence logique la liberté et non pas l'esclavage, cherchaient à justifier ce dernier en se basant sur l'usage admis par tous les peuples. Le christianisme aussi, tout en réveillant entre le maître et l'esclave l'esprit d'amour fraternel, laissa subsister en droit l'esclavage sans chercher à le combattre.

Pendant le moyen âge, l'esclavage antique se transforma en servage dans l'Europe germanisée. Le servage se conserva jusque vers la fin du XVIIIe siècle; il subsista même, sous la forme de domesticité héréditaire des paysans, jusqu'au XIXe siècle dans quelques pays allemands. Dans l'Europe orientale, le servage s'était accru énormément pendant les derniers siècles. Dans les, colonies européennes de l'Amérique enfin, l'esclavage le plus dur avait pris naissance. L'esclavage antique s'y était transformé en domination absolue des propriétaires blancs sur les travailleurs noirs transplantés d'Afrique en Amérique.

A ces diverses époques le droit international ne s'est jamais occupé de l'esclavage. La libre Angleterre protégeait encore au xvitre siècle l'exportation des nègres africains. Encore en l'an 1713, les hommes d'état anglais n'ont pas rougi de réserver en faveur de leur pays, à la paix d'Utrecht entre l'Angleterre et l'Espagne, le droit exclusif d'introduire pendant un certain nombre d'années quelques milliers de nègres dans les colonies espagnoles. Ils considéraient le commerce humain comme une spéculation avantageuse, et pour laquelle l'Angleterre devait se faire accorder des priviléges.

Depuis un siècle environ nous constatons un revirement complet dans la manière de voir du monde civilisé. La philosophie et la littérature ont répandu des principes plus humains dans le monde entier. A partir de ce moment commence une lutte déclarée contre l'esclavage, et la législation finit par enregistrer et assurer le triomphe de la liberté. Le servage, la domesticité héréditaire sont abolis dans l'Europe occidentale, soit avant, soit après la déclaration des droits de l'homme proclamée en France lors de la grande révolution de 1789.

De ce moment aussi le droit international commence à s'occuper de la question. C'est maintenant l'Angleterre qui marche en avant dans la lutte contre la traite des nègres. Le congrès de Vienne, dans une déclaration solennelle en date du 8 février 1815, blâme le commerce des nègres, « ce fléau qui a si longtemps désolé » l'Afrique, dégradé l'Europe, et affligé l'humanité. » Déjà aupararavant, les États-Unis de l'Amérique du Nord, avaient défendu la traite des nègres. En condamnant et flétrissant ainsi la traite, on constatait que le droit s'était développé dans le sens de l'humanité et de la liberté, qu'il y avait progrès sur l'antiquité et le moyen âge.

Cependant, s'agissant de faire prévaloir pratiquement ce principe, on se trouva, comme toujours lorsqu'on applique le droit international, en présence d'une grande difficulté. Il fallait faire prévaloir une idée reconnue juste, sans porter atteinte à la souveraineté des états. Les états de l'Europe consentirent un instant, sur les sollicitations infatigables de la diplomatie anglaise, à concéder à des navires de guerre spécialement désignés, le droit de visiter dans certaines mers, les navires suspects d'être des négriers. C'était en temps de paix une espèce de police maritime internationale. C'est sur ces bases et dans ce but que l'on conclut en Europe le traité du 20 décembre 1841. Mais les États-Unis ne voulurent point admettre ce droit de visite; ils craignaient d'augmenter par là la prépondérance de la marine de guerre anglaise sur leur marine de commerce, et en général de porter atteinte au commerce maritime en temps de paix. La France aussi retira sa reconnaissance du droit de visite, et passa du côté des États-Unis, qui avaient préféré équiper, en commun avec l'Angleterre, des croiseurs chargés de poursuivre sur la côte africaine, les navires négriers proprements dits, en se gardant bien de porter d'une façon

quelconque atteinte aux droits des navires marchands étrangers. Sur la proposition des États-Unis, une nouvelle convention fut conclue avec l'Angleterre le 9 août 1842. Des avertissements furent adressés en commun aux états possédant encore des marchés publics d'esclaves, pour les prier de faire cesser cet abus. Cette mesure destinée à faire disparaître du monde la tache de l'esclavage, n'est pas restée sans effets; elle a en particulier engagé la Porte Ottomane à faire droit aux représentations pressantes de la diplomatie.

L'abolition récente du servage par un manifeste de l'empereur Alexandre II en date du 19 février 1861, a tranché enfin en faveur de la liberté individuelle, cette question pour l'Europe et une grande partie de l'Asie. La victoire de la liberté sur l'esclavage dans l'Amérique du Nord, est encore plus importante. Depuis que la répudiation de l'esclavage est devenue (1865) une des lois fondamentales des États-Unis, la partie est gagnée, et le maintien de l'esclavage sur un point quelconque du monde, est rendu impossible.

Il s'écoulera donc peu de temps, jusqu'au moment où l'humanité entière posera, protégera et garantira par la voie du droit international, le principe suivant: « Il n'y a pas de propriété de l'homme sur l'homme. L'esclavage est en contradiction avec « les droits que confère la nature humaine, et avec les principes « reconnus par l'humanité entière. »

Liberté religieuse.

Le droit international protége relativement peu la liberté religieuse contre les persécutions dont une confession privilégiée par l'état, pourrait se rendre coupable. On peut cependant constater quelques traces de la protection internationale de la liberté religieuse. On laisse avec raison aux différents états le soin de protéger la liberté de conscience et celle des cultes, et l'on craint, dans les cas douteux ou peu importants, de porter atteinte à l'indépendance des états; mais en cas de lésion grave, le monde civilisé ne reste plus muet; il manifeste ses opinions, donne des conseils, avertit, blâme; enfin si le manque de tolérance devient un oubli trop grossier des devoirs qu'impose le nom d'hommes, on verra les états qui s'y sentent plus particulièrement appelés,

recourir aux armes pour défendre leurs coreligionnaires, ou plutôt pour faire respecter les droits de l'humanité en général. Les puissances européennes sont à maintes reprises, intervenues en Turquie en faveur des Rajas. L'émotion causée dans l'Europe catholique elle-même par l'enlèvement du jeune juif Mortara, prouve qu'actuellement les hommes ne sentent plus leur conscience se révolter seulement quand leur propre religion est lésée, mais aussi lorsque c'est au profit de leur propre religion qu'il est porté atteinte aux droits sacrés de la famille.

Légations et consulats.

Nous rencontrons moins de difficultés, si nous passons aux relations pacifiques des états entre eux et à la réglementation de ces dernières. Les peuples, à l'exception de quelques tribus sauvages, ont correspondu entre eux de tout temps par le moyen de personnes chargées de les représenter. La religion, et plus tard un droit reconnu, firent, dès les temps les plus anciens, envisager les envoyés comme inviolables. L'établissement de légations permanentes dans les différentes capitales est par contre moderne, et cet usage n'est devenu général en Europe que depuis Richelieu et Louis XIV. Les relations personnelles des envoyés diplomatiques devinrent l'image vivante des relations permanentes des états entre eux. Les représentants des différents états dans la même ville commencèrent à former une espèce de corporation internationale. Le corps diplomatique devint, dans chaque capitale, une espèce de personnification du droit international, ce qui eût souvent des effets très-heureux. Malgré les intentions égoïstes qui provoquèrent la création de postes diplomatiques permanents, ces derniers ont évidemment contribué beaucoup à accroître l'influence du droit international. Lorsqu'un état voudrait manquer gravement à ses devoirs vis-à-vis des autres, il se trouverait immédiatement en présence du corps diplomatique, et comme aucun état n'est assez puissant pour fermer l'oreille à la voix du monde civilisé, il ne pourrait sans autres passer outre sur les représentations du droit international. A mesure que les postes diplomatiques permanents s'étendent sur toute la terre, les liens entre les états se renforcent, et l'organisation du monde, comme aussi les garanties internationales, grandissent et se développent.

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