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Compétence criminelle. - Délit commis à l'étranger par un étranger au préjudice d'un national.

Aff. du vol de Riga par substitution de cuivre à l'or vendu.

Des marchands d'or de Paris ont été, depuis trois ans, victimes d'un vol accompli dans des circonstances originales. Un de ces industriels recevait de Russie une lettre lui proposant un achat d'or effectué dans les conditions les plus avantageuses. La lettre était signée Weiss ou d'un autre nom. Rendez-vous était pris pour traiter et le marchand d'or parisien se rendait à Riga. Là, il se trouvait en présence d'un individu étranger, celui qui lui avait proposé l'affaire; il apprenait qu'il s'agissait d'or extrait des mines de Sibérie et volé par les ouvriers occupés aux mines; cet or était vendu à moitié prix. Bien que l'origine de l'or ne fût pas honnête, l'industriel faisait aussitôt l'affaire. Sous ses yeux, l'or était placé dans des caisses qui étaient expédiées à Paris.

Or, quand on déballait ces caisses ici, on ne trouvait dedans que du cuivre. Cependant on y avait bien placé de l'or; mais, par une substitution adroite, le cuivre remplaçait, au moment de l'embarquement ou au cours du voyage, le précieux métal. On ne sait encore comment la substitution était opérée; mais ce qui est certain, c'est que plusieurs marchands d'or ont ainsi perdu des sommes dont la plus élevée est 100.000 francs. Le parquet de Paris s'est borné, pour le moment, à informer M. de Mohrenheim, ambassadeur de Russie, qui a avisé à son tour son gouvernement (mars 1892).

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Le parquet de Paris est-il absolument désarmé pour la répression de ce délit, ou s'est-il abstenu seulement parce que la non-présence du délinquant en territoire français lui enlevait provisoirement la base légale d'une poursuite? La réponse implique la question de savoir si l'état actuel de notre droit positif permet la répression en France du délit commis à l'étranger par un étranger envers un national.

Nous estimons que nos Codes criminels, en arrière sur ce point comme sur beaucoup d'autres de divers Codes récemment promulgués en Europe, ne permettent pas la punition en France de tels faits, alors même que leur auteur pénètrerait volontairement sur le territoire français ou y serait amené par voie d'extradition.

L'art. 5 du Code d'instr. crim. (loi du 27 juin 1866) ne réprime que les crimes et délits commis à l'étranger par nos nationaux, envers un compatriote ou un étranger mais la condition est que l'agent de l'infraction soit Français.

Si cet agent est étranger, l'art. 7 C. instr. crim. ne prévoit son châtiment en France (s'il y est arrêté ou extradé) que dans le cas limité d'un crime attentatoire à la sureté de l'Etat.

La théorie française est que l'Etat, à raison du lien d'indigénat, conserve sur ses nationaux, même hors du territoire, une autorité qui permet de leur demander compte de leur conduite, mais qu'il est sans pouvoirs à l'égard des étrangers, à l'étranger, alors même que leurs actes auraient lésé des nationaux.

Il est permis de trouver cette théorie incomplète, car le lien de nationalité n'entraîne pas pour l'Etat que des droits; il lui impose aussi des devoirs. Si ce lien est tellement « personnel que même à l'étranger le national ne puisse s'en affranchir, par une juste réciprocité, il implique pour l'Etat le devoir de protection à l'égard de son national, quelle que soit la nationalité de l'offenseur.

Le Code pénal italien de 1890 a parfaitement envisagé les deux faces de la question'; aussi l'art. 6 dispose-t-il fort judicieusement, comme suit : « L'étranger qui en dehors des cas indiqués dans l'art. 4 (crimes attentatoires à la sûreté de l'Etat) commet sur le territoire étranger au préjudice de l'Etat ou d'un citoyen, un délit pour lequel la loi italienne édicte une peine restrictive de la liberté non inférieure au minimum d'une année est puni d'après la même loi (loi italienne), s'il se trouve sur le territoire du royaume; mais la peine est diminuée d'un tiers et l'ergastulum est remplacé par la réclusion qui ne peut être moindre de 20 années. Il ne sera procédé qu'à la requête du ministre de la justice ou sur la plainte de la partie lésée. »>

L'article 7 le complète ainsi : « Il ne sera procédé dans les cas spécifies aux art. 5 et 6 1° s'il s'agit d'un délit pour lequel d'après les dispos. du § 1 de l'art. 9, l'extradition n'est pas admise; 2o si l'inculpé, déjà jugé à l'étranger, a été défininitivement renvoyé de la plainte, ou si, condamné, il a subi la peine ou si la condamnation est prescrite. »>

1. Cf. l'étude intéressante de Fusinato, sur les délits commis à l'étranger, notamment dans le droit pénal italien, suprà, p. 56.

Si les marchands d'or volés étaient Italiens, le ministre de grâce et de justice d'Italie obtiendrait utilement de la Russie l'extradition des voleurs, qui pourraient être punis par les tribunaux répressifs italiens.

Dans l'état actuel de la loi pénale française, nous croyons que la rencontre des voleurs de Riga en territoire français, ou leur remise aux autorités françaises par le gouvernement russe, serait sans efficacité, car nos tribunaux resteraient désarmés pour la répression. Notre Code d'instruction criminelle, remanié cependant en 1866, ne leur donne pas compétence à l'égard du délit, ou même du crime commis à l'étranger par un étranger envers un national; c'est une lacune regrettable, et qui n'a pas sa justification scientifique.

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Les musulmans de Bombay ont adressé une pétition au gouverneur anglais pour lui signaler qu'une troupe théâtrale parsis avait l'intention de représenter sur un théâtre local une pièce intitulée « le calife Haroun-al Raschid » dont ce successeur du Prophète était le héros. La veille de la représentation, la nouvelle de cet évènement causa une grande excitation dans les quartiers musulmans de Bombay. La police suspendit la représentation jusqu'à décision définitive du gouvernement.

Les pétitionnaires ont représenté aux autorités anglaises que le personnage du calife était vénéré par les musulmans Sunni et qu'un tel spectacle offenserait gravement leur sentiment religieux. Ils ne se plaignent pas que la pièce contienne des passages inconvenants, mais ils protestent contre le seul fait que leurs chefs intellectuels soient livrés à l'amusement des foules (mars 1892).

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Peut-être est-il permis de trouver les musulmans bien susceptibles, alors qu'au même moment en Occident, à Paris, ville habitée en majorité par des catholiques, on représentait, le 12 mars 1892, au théâtre moderne dirigé par M. Chelles, un drame sacré en cinq tableaux et en vers par M. Ch. Grand

mougin, intitulé « le Christ », et où le Dieu des chrétiens était incarné dans M. Delaunay. fils, pendant que la Vierge, sa mère, lui donnait la réplique, sous les traits de Mule Orcelle.

Il n'est venu à la pensée d'aucune autorité catholique de blâmer la censure d'avoir laissé passer cette pièce. Cependant l'auteur, tout en traitant la figure du Christ avec respect, ne lui a pas donné l'attitude hiératique consacrée par la tradition.

Nous avons eu l'occasion, au sujet de la défense de représenter le « Mahomet » de M. de Bornier, à la Comédie française, à Paris, faite par notre gouvernement pour donner satisfaction aux protestations musulmanes, de rappeler les précédents de la question et de noter le point de droit. Nous prions de bien vouloir s'y reporter (Clunet 1891, p. 127).

QUESTIONS & SOLUTIONS PRATIQUES

70.

Mariage.

orthodoxe.

Sujet ottoman et sujette russe de religion Mariage à la légation russe à Bruxelles devant un

pope russe. Question de validité. - Nationalité de la femme. Régime matrimonial des époux.

Un sujet ottoman, de race grecque et de religion orthodoxe, épouse une sujette russe et à la légation russe en Belgique ; il n'est dressé aucun contrat de mariage et les époux vont s'établir en Turquie.

Cette union, ainsi célébrée, soulève diverses questions de droit international :

I. Ce mariage est-il valable, et, à le supposer tel,

II. La femme est-elle devenue Ottomane?

III. Dans la même hypothèse, à quel régime matrimonial sont soumis les biens des époux?

I. Doit-on considérer comme valable un tel mariage? Pour résoudre cette première difficulté, il est bon de distinguer si, dans l'espèce, l'agent diplomatique russe a, ou non, joué un certain rôle dans la célébration du mariage; dans l'une et l'autre hypothèse, il se peut que le sort réservé au mariage doive être le même, mais comme, en tous cas, les raisons de décider ne sont

pas identiques, il est nécessaire de nous attacher successivement à l'une et à l'autre alternative.

a. Le mariage a été célébré à la légation russe par un pope russe sans l'intervention de l'agent diplomatique russe. Les deux intéressés appartiennent à la même religion et, en Russie comme en Turquie, le mariage n'est pas encore sécularisé; en Russie, lorsque les fiancés suivent la religion orthodoxe, le droit de les unir est consacré au profit exclusif des popes (Lehr, d'un projet de règlement international en matière de mariage, Clunet 1884, p. 53; Laurent, t. 4, no 190; Weiss, p. 464; Lehr, droit civil russe, t. 1er, no 11; Beach-Lawrence, t. 3, p. 320. Comp. Trib. Seine 14 mars 1879, Clunet 1879, p. 547; Gonse, Bull. lég. comp. 1875, p. 80; Loi du 19 avril 1874 établissant des registres publics destinés à l'inscription des mariages, naissances et décès des dissidents (Rasskollniks, Ann. lég. Etr. 1875, p. 656).

En Turquie, les infidèles sont autorisés à se marier devant les prêtres de la religion qu'ils professent. Cour de chancellerie (Angleterre) 4 décembre 1874, Clunet, 1875, p. 27; Trib. consulaire de France à Constantinople, 1er juin 1877, ibid., 1878, p. 273; Aix, 22 février 1883, ibid., 1883, p. 170. Trib. consul. de France à Constantinople, 12 septembre 1890, ibid., 1890, p. 914, les observations de M. Pallamary, ibid., 1891, p. 283; Trib. de l'empire (Allemagne), 26 février 1891, ibid., 1892, p. 240; Salem, du mariage des étrangers en Turquie, ibid., 1889, p. 23 et suiv., p. 381 et suiv.; Weiss, p. 466; Nicolopoulo, note sur les privilèges de l'église orthodoxe en Turquie, Bull. lég. comp. 1892, p. 226. V. Sawas-Pacha, Etude sur la théorie du droit musulman, p. 3 et suiv.

En présence d'un tel état des faits et des législations, le mariage, célébré à Bruxelles dans les conditions que l'on sait, doit être considéré comme valable dans le pays d'origine de chacun des deux époux, s'ils sont tous deux de la même religion. (Olivi, du mariage en droit international privé, Rev. dr. intern. 1883, p. 232; Savigny, t. 8, § 381; contrà, Laurent, t. 4, no 237; F. de Martens, professeur à l'université de Saint-Pétersbourg, traité de droit international (Trad. Léo), t. 2, p. 83 et p. 431 (qui peut-être n'étudie la question qu'au point de vue du pays où le prêtre étranger célèbre le mariage).

Mais en est-il de même en Belgique ? Evidemment non; la fiction d'extraterritorialité, si larges et si énergiques qu'on en suppose les effets, ne peut étendre son influence aux prêtres qui

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