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prend au même titre l'individu né en France d'un père qui lui-même y est né et l'individu né en France d'une mère qui elle-même y est née, celle-ci eût-elle perdu la qualité de Française; en d'autres termes, pour qu'un individu né en France d'un étranger soit définitivement et irrévocablement Français dès sa naissance, il faudrait, mais il suffirait que l'un de ses auteurs, d'ailleurs étranger ou ex-Français, fût lui-même né en France, sans qu'il y eût lieu d'établir à cet égard aucune distinction entre le père et la mère. Cette doctrine est fondée, d'après ces décisions judiciaires, sur une seule considération : c'est que les expressions d'un étranger, employées par les lois des 7 février 1851, 16 décembre 1874 et 26 juin 1889, « s'appliquent à la mère aussi bien qu'au père et que, pour que le bénéfice de la disposition précitée puisse être invoqué par l'enfant né en France, il suffit que l'un ou l'autre de ses parents y soit également né. »

La Cour de cassation elle-même, dans son arrêt du 7 décembre 1891, n'a pas donné d'arguments bien nouveaux :

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« La Cour : Sur le moyen unique du pourvoi, tiré de la fausse application de l'art. 1 de la loi du 7 février 1851, en ce que c'est à tort que l'arrêt attaqué a considéré l'expression « d'un étranger », qui se trouve dans cet article, comme pouvant s'appliquer soit au père, soit à la mère de l'enfant qui réclame la qualité de Français; Att. qu'il résulte des dispositions de l'art. 1 de la loi du 7 février 1851, combiné avec la loi du 16 décembre 1874. qu'il faut tenir comme Français tout individu né en France d'un étranger qui lui-même y est né; que rien dans ce texte n'indique qu'il soit nécessaire que les père et mère de cet individu soient l'un et l'autre nés en France ou que ce soit le père plutôt que la mère qui remplisse cette condition; que, dès lors, on ne saurait refuser à l'individu né en France d'une mère qui y est née égale ment le droit de réclamer la qualité de Français 1; Att. qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que Hess est né en France où sa mère est née également; que, loin de répudier la qualité de Français à sa majorité, il a, dans tous ses actes et

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1. Il est à peine besoin de faire remarquer combien ces expressions sont impropres. La loi parle du droit de réclamer la qualité de Français pour certains étrangers auxquels elle entend faire une situation favorable; il s'agit ici d'un individu auquel elle impose la qualité de Français dès sa naissance, et qui n'a pas dès lors à la réclamer.

notamment en accomplissant son service militaire, manifesté la volonté constante de conserver la nationalité qu'on lui conteste aujourd'hui ; ; que, dans ces circonstances, l'arrêt attaqué n'a fait qu'une juste application des dispositions des lois susvisées; Par ces motifs,

Rejette, etc. »

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Ces considérations brèves, quelque nettes qu'elles soient d'ailleurs, paraîtront peut-être insuffisantes pour justifier à elles seules l'adoption d'une théorie dont les conséquences pratiques sont de la plus haute gravité. La jurisprudence n'avait pas eu encore l'occasion de la consacrer; l'administration avait formellement refusé de l'appliquer; et, si elle est enseignée par des auteurs considérables, cette théorie ne laisse pas que de présenter encore certaines difficultés. Il est regrettable que notre première juridiction d'appel, se bornant à entériner la décision des premiers juges, n'ait pas cru devoir motiver plus complètement sa décision; il est surtout regrettable que ces difficultés n'aient pas été soumises, après l'examen de la Chambre des requêtes, à l'appréciation de la Chambre civile qui eût sans doute complété une démonstration peut-être trop sommaire.

Nous essaierons, en ce qui nous concerne, d'examiner de plus près le bien fondé de cette doctrine et nous distinguerons, pour la clarté du raisonnement aussi bien que pour la précision des conséquences pratiques, deux hypothèses, suivant que la mère de l'individu né en France est une étrangère ou suivant qu'elle est une ex-Française; nous rechercherons ensuite si la situation reste identique pour les enfants naturels et pour les enfants légitimes; nous indiquerons aussi quelles sont les conséquences pratiques de cette doctrine et nous nous demanderons enfin s'il n'existe point de disposition légale qui permette à certains étrangers, du moins dans certaines hypothèses, d'échapper à l'application quelquefois rigoureuse de l'art. 8, § 3 du Code civil.

IV

La nationalité a dans notre droit moderne deux fondements: l'origine ou jus sanguinis, la naissance sur le territoire ou jus soli. Quand la loi s'attache à l'origine pour déterminer la nationalité, il est à la fois logique et nécessaire

qu'elle accorde la prééminence à la nationalité du père. Celuici est le chef de la famille; il est naturellement désigné pour conférer à l'enfant sa nationalité, fût-elle différente de celle qui appartient à la mère. Au surplus, cette règle qui résulte implicitement de l'ancienne rédaction de l'art 10 ̊C. civ. et de la rédaction nouvelle de l'art. 8, § 1 n'est point contestée; elle est l'application pure et simple de l'adage romain : liberi patrem sequuntur'.

Lorsqu'au contraire les dispositions de la loi fixent la nationalité des individus par application du jus soli, la différence de nationalité des auteurs communs devient indifférente; c'est à un fait matériel que le législateur attache exclusivement la vertu de conférer la nationalité et, en présence de cet unique élément attributif, la naissance sur le territoire, il n'y a plus lieu de prendre en considération la nationalité des parents. C'est ainsi qu'à la première génération, la naissance sur le sol français entre seule en ligne de compte pour conférer la qualité de Français, soit ipso facto à l'étranger domicilié en France à sa majorité (art. 8, § 4 C. civ.), soit par l'effet d'une déclaration s'il réside à cette époque en pays étranger (art. 9 C. civ.); la nationalité des parents, quelle qu'elle soit, demeure complètement inopérante. A la seconde génération, il en est incontestablement de même; ici, ce n'est plus à un fait unique que le législateur s'est attaché, mais à un fait double, pour lui donner, il est vrai, une efficacité plus grande; ici encore, la nationalité des parents ne peut exercer une influence quelconque à aucun point de vue, soit que les parents aient la même nationalité, soit qu'ils aient une nationalité différente.

Tel était le caractère de la disposition de la loi du 7 février 1851, tel est encore le caractère de la disposition de l'art. 8, § 3 du Code civil application pure et simple du jus soli, elle reconnaît au fait d'une double naissance sur notre territoire la vertu de conférer la nationalité française d'une manière irrévocable à la seconde génération; peu importe, à cet égard, que ce soit le père ou la mère dont la naissance a eu lieu en France, il suffit que deux générations soient nées sur notre sol; le vœu de la loi est dès lors satisfait la

1. Conf. Cogordan, 2° édit, p. 29; Vincent, Nationalité, no 7; L. Le Sueur et Eug. Dreyfus, p. 12 et suiv.

seconde génération est française, et définitivement française. L'idée de nationalité, par suite l'idée d'une prééminence quelconque du père sur la mère, doit donc, si l'on se place sur le terrain de la logique pure, être complètement écartée dans l'interprétation de nos textes. A un autre point de vue, en examinant le fondement de cette disposition, on est conduit à la même solution; ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, la loi a entendu attribuer la nationalité française à des individus déjà Français de fait, et la naissance sur le sol français d'une seconde génération a paru constituer l'indice d'une francisation suffisante. Or, il semble difficile d'établir, en se plaçant à ce nouveau point de vue, une distinction, que nos textes ne font pas, entre les individus nés d'un père étranger né lui-même en France, la mère étant née à l'étranger, et ceux qui sont nés sur notre territoire d'une mère étrangère qui y est également née, le père étant né hors de France. Il est certain que les textes sont applicables lorsque le père seulement est né en France; peu importe alors le lieu de naissance de la mère; la francisation paraît, dans ce cas, bien suffisamment acquise. Peut-on dire qu'elle soit moindre, peut-on dire que les mœurs, les habitudes de la famille soient moins françaises lorsque c'est la mère qui, à l'exclusion du père, est née sur territoire français ?

La naissance de la mère en France peut être un fait accidentel, dira-t-on; mais il en peut également être de même en ce qui concerne le fait de la naissance du père; quelques cas exceptionnels n'ont pas paru au législateur de nature à infirmer la présomption qu'il posait en 1851 et qu'il a maintenue en 1889.

Il ne faut point d'ailleurs méconnaître que l'attribution de la qualité de Français peut avoir, dans notre hypothèse, l'inconvénient très grave d'attribuer une nationalité différente aux membres d'une même famille, aux parents et aux enfants. Mais cette objection est une de celles qui ne peuvent toucher dans l'état actuel du droit international, spécialement dans l'état actuel des législations des différents pays sur la nationalité. Pour parler uniquement de notre législation, on sait que les auteurs de la loi du 26 juin 1889 ont écarté délibérément, dans l'élaboration du régime nouveau, toute considération tirée des législations étrangères et des conflits de lois; il suffirait de rappeler à ce sujet que tandis qu'ils conféraient

à la naturalisation des étrangers la vertu d'entraîner la naturalisation de leurs enfants mineurs, sans se préoccuper le moins du monde de savoir si les législations étrangères autorisaient cette dénationalisation, ils décidaient en revanche, sinon expressément, du moins assez clairement pour qu'aucun doute sérieux ne puisse être élevé sur ce point, que la naturalisation des Français à l'étranger n'entraînerait jamais la dénationalisation de leurs enfants mineurs; ils ne se sont point arrêtés devant cette considération que certaines législations étrangères pourraient bien conférer à la naturalisation des étrangers des effets analogues à ceux qu'ils y avaient eux-mêmes attachés 1.

Les conflits de lois en matière de nationalité sont donc inévitables; ils le sont surtout quand il s'agit de l'application d'une disposition d'ordre social comme celle de notre art. 8, § 3; c'est aux conventions internationales qu'il appartient de les régler au mieux des intérêts respectifs des contractants. Les gouvernements s'en sont d'ailleurs préoccupés; les Chambres françaises viennent de voter (Chambre des députés, 28 décembre 1891) et de rendre ainsi définitif un projet portant approbation d'une convention conclue entre la France et la Belgique sur l'application de nos lois relatives à la nationalité et au service militaire. Aux termes de cette convention, déjà acceptée par le parlement belge, la Belgique consent à considérer comme dénationalisés et devenus Français les individus nés en France de Belges qui eux-mêmes y sont nés; il ne paraît pas douteux que cette reconnaissance doive s'étendre aux individus nés en France de femmes belges qui elles-mêmes y sont nées 2.

Une dernière considération, strictement juridique, milite encore en faveur de la doctrine consacrée par la jurisprudence. Si l'on applique à la matière les règles couramment admises pour l'interprétation des lois, il est nécessaire de décider que les expressions « d'un étranger qui lui-même y est né », employées par l'art. 8, § 3 C. civ., comprennent à la fois l'étranger et l'étrangère : genus masculinum complectitur et feminum. C'est ainsi, par exemple, que lorsque l'art. 8, § 1 dispose que « tout Français jouira des droits civils >> tout le monde admet que, dans les termes où il est conçu, cet

1. L. Le Sueur et Eug. Dreyfus, Nationalité, p. 199 et suiv. 2. V. le texte infrà, aux Documents.

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