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La loi déclare, il est vrai, que les choses fongibles peuvent appartenir à l'un pour la propriété et à l'autre pour l'usufruit (587); mais alors ce n'est plus là qu'un usufruit imparfait aussi, dans la doctrine, désigne-t-on ce droit sous le nom de quasi-usufruit.

Quant aux servitudes proprement dites, considérées séparément de ce fonds, elles ne constituent pas des biens, puisqu'elles n'existent qu'en faveur du fonds dominant, pour en faciliter l'exploitation; dès lors, on ne peut les grever d'usufruit.

Rien ne s'opposerait, du reste, à ce que l'on constituât une servitude pour la durée d'un droit d'usufruit établi sur le fonds dominant.

SECTION Ire.

DES DROITS DE L'USUFRUITIER.

On peut considérer les droits de l'usufruitier sous deux principaux rapports relativement aux fruits, relativement aux actions qui peuvent lui compéter.

L'usufruitier a une action personnelle contre le constituant ou contre son héritier, pour obtenir sa mise en possession. — Investi d'un droit réel (jus in re), il a de plus une action en revendication contre les fiers détenteurs soit de l'immeuble, soit des meubles soumis à l'usufruit, lorsqu'ils ont été perdus ou volés; seulement, dans ce dernier cas, l'exercice de l'action est restreint à 3 années (2279).

Une fois mis en possession, l'usufruitier possède pro suo, comme propriétaire; on doit lui reconnaître, en conséquence (quand il s'agit d'un immeuble, bien entendu), l'exercice des actions possessoires, c'est-à-dire, l'action en complainte, pour se faire maintenir en possession, s'il est troublé, et l'action en réintégrande, pour recouvrer cette possession, si un tiers s'en est emparé (23 Pr.).— Lorsque l'auteur du trouble prétend à quelque droit qui touche à la propriété du fonds, l'usufruitier doit dénoncer le fait au propriétaire: tel serait le cas où la contestation s'élèverait à l'occasion d'un partage (1).

Tous les fruits appartiennent à l'usufruitier.

On nomme fruits, les produits qui naissent et renaissent de la chose, ou les émoluments qu'elle procure périodiquement, suivant sa destination.

Nous disons suivant sa destination, car on ne peut considérer comme fruits indistinctement tous les produits de la chose: ainsi, les arbres de haute futaie ou les pierres extraites d'une carrière ne deviennent fruits qu'autant que le propriétaire a organisé la coupe ou l'extraction.

L'usufruitier acquiert les fruits à partir du jour de l'ouverture de son droit, c'est-à dire, dans les constitutions d'usufruit par acte entre-vifs (à titre gratuit ou à titre onéreux), du jour du contrat. Dans les dispositions testamentaires, sa jouissance commence, savoir: si l'usufruit (1) Proudhon, nos 1242 et suiv.;

Bordeaux, 23 juin 1856, Pal., 1837, 1, 96.

est à titre particulier, du jour de la demande en délivrance (V. p. 746) (1); s'il est constitué à titre universel, du jour du décès, pourvu que l'usufruitier légataire ait formé sa demande dans l'année après l'expiration de ce délai, il n'a plus droit aux fruits qu'à partir de la demande (arg. des art. 1005, 1014, 1015).

La règle suivant laquelle l'usufruitier peut prétendre aux fruits à partir du jour où son droit est ouvert reçoit une application pleine et entière lorsqu'il s'agit de fruits civils, car ces fruits s'acquièrent jour par jour (586); quant aux fruits naturels ou industriels, il faut de plus qu'ils aient été perçus (c'est-à-dire, réellement détachés du sol), à leur maturité, avant l'extinction de l'usufruit; ceux qui sont encore pendants par branches ou par racines au moment où le droit cesse appartiennent au propriétaire, puisqu'ils font corps avec le fonds (585).

Il peut donc arriver que l'usufruitier, de même que le propriétaire, profite des fruits provenant des semences et du travail de l'autre. — La loi fait l'application de ces principes aux différentes sortes de biens sur lesquels le droit est établi (588, 591).

Il est de la nature de l'usufruit que la substance soit conservée; cependant, nous avons déjà dit que l'on peut constituer ce droit sur des choses qui se consomment par l'usage, à charge toutefois par l'usufruitier d'en rendre l'équivalent à la fin de l'usufruit (587).

L'usufruit de certains biens est soumis à des règles spéciales (588, 594, 598, 615 et 616).

L'étendue et les limites du droit de l'usufruitier sont déterminées dans les art. 582, 592, 599.

Abstraction faite des modifications qui peuvent résulter des termes de son titre, l'usufruitier jouit comme le propriétaire lui-même; par conséquent, il profite de tous les avantages attachés à la possession, il peut même céder son droit (595).

Nous verrons successivement:

1o En combien de classes les fruits sont divisés (582-584);

2o Comment les fruits s'acquièrent (585, 591, 595, 598);

3o Quelles sont les choses sur lesquelles s'étend accessoirement l'usufruit (592, 594, 596 et 597);

4o Quelles sont les obligations du nu propriétaire (art. 599).

Distinction des fruits.

582 L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits (2), soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit.

(1) Gren., Don., p. 303; Dur., no 520; Zach., § 227; Proudhon, nos 393 et suiv.

(2) Inexactitude: 1o l'usufruitier ne jouit pas des fruits, mais de la chose: il acquiert la propriété des fruits; 2o l'usufruitier ne proûte que des fruits ordinaires, c'est-à-dire, des produits périodiques de la chose, sulvant sa destination.

=

L'usufruitier n'a pas seulement, comme le dit improprement notre article, le droit de jouir des fruits, mais encore celui de les recueillir à son profit.

Le mot fruit ne s'entend ici que des produits périodiques de la chose, suivant sa destination.

583-Les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croit des animaux sont aussi de fruits naturels.

Les fruits industriels d'un fonds sont ceux qu'on obtient par la culture.

=

On distingue deux sortes de fruits: les fruits naturels et les fruits civils.

On nomme fruits naturels les produits de la terre.

Les fruits civils sont ceux que l'on perçoit à l'occasion d'une chose, sans qu'ils naissent directement de cette chose, les revenus en un mot: tels sont les loyers des maisons, les intérêts des capitaux, etc.

Les fruits naturels se divisent en fruits purement naturels et en fruits industriels.

Les fruits purement naturels sont ceux que la terre produit sans être sollicitée par la culture: tels sont les foins, les bois et les glands.

On range dans cette classe, le produit et le croît des animaux : le produit, c'est-à-dire, la laine, le fumier, le lait, etc.; le croil, c'est-à-dire leurs petits. Le croit profite par conséquent à l'usufruitier.

Les fruits industriels sont ceux que la terre produit à l'aide du travail de l'homme; tels sont les légumes, les moissons, etc.

La division des fruits en naturels et industriels est purement théorique; elle n'a point d'intérêt pour l'usufruitier; mais la distinction établie entre ces sortes de fruits et les fruits civils est d'une haute impor tance.

584 Les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles (1), les arrérages des rentes.

Les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils (2).

= En vue de tout comprendre dans une même division, le législateur

=

(1) C'est-à-dire qui peuvent être exigées, par opposition au capital des rentes.

(2) Cette disposition (voy. aussi 586), spéciale pour les baux à ferme, nous révèle une innova tion; autrefois, le prix des baux à ferme n'était pas rangé parmi les fruits civils; on examinait lequel de l'usufruitier ou du nu propriétaire aurait eu droit aux fruits naturels de la ferme, s'il n'y avait pas eu de bail: si l'usufruitier était mort avant que la récolte fût faite, le prix du bail était considéré comme la représentation des fruits naturels, et attribué au nu propriétaire ; — s'il était mort depuis la récolte, il était réputé avoir vendu les fruits récoltés moyennant un prix égal au prix du bail; en ce cas, les fruits lui étaient acquis. Le Code rejette cette distinction : dans l'un et l'autre cas, il considère le prix du bail comme fruit civil; il écarte ainsi une foule de procès qui s'élevatent lorsqu'il s'agissait de déterminer la part qui, dans le prix général des fermages, était représentative des récoltes faites et des récoltes à faire. (Pothier, Douaire, no 203.)

met les fermages au nombre des fruits civils, bien que le prix annuel ne soit que la représentation des fruits naturels que le fermier est autorisé à recueillir: mais il a considéré que l'usufruitier a fait subir aux fruits, en affermant l'immeuble, le sort des fruits civils ordinaires ; car l'usufruitier n'a d'autre droit, que celui d'exiger des locataires ou des fermiers le prix des loyers ou des fermages.

Remarquez cette expression: le prix des baux à ferme. On distingue, en effet, deux sortes de preneurs : les fermiers et les colons partiaires. Le fermier paye son prix soit en argent, soit en une quantité fixe de grains ou de denrées; il doit ce prix, que l'année soit bonne ou mauvaise. Le colon partiaire doit une portion aliquote de fruits, à prendre en nature sur le fonds; par exemple, la moitié, le tiers, le quart de la récolte les fruits conservent leur caractère; ils ne sont point aliénés moyennant un prix annuel; il y a seulement lieu à un partage entre le bailleur et le preneur ; l'un et l'autre participent aux bénéfices et aux pertes.

585

Comment s'acquièrent les fruits?

Les fruits naturels et industriels, pendants par branches ou par racines au moment où l'usufruit est ouvert, appartiennent à l'usufruitier (1).

Ceux qui sont dans le même état au moment où finit l'usufruit appartiennent au propriétaire, sans récompense de part ni d'autre des labours et des semences, mais aussi sans préjudice de la portion des fruits qui pourrait être acquise au colon partiaire, s'il en existait un au commencement ou à la 'cessation de l'usufruit (2).

Les fruits naturels ou industriels ne s'acquièrent que par la perception; ils sont réputés perçus dès qu'ils ont cessé, par une cause quelconque, d'adhérer au sol, fût-ce par l'effet d'un coup de vent. — On n'exige pas chez nous, comme à Rome (Instit., 2 36, de rer. div.), que l'usufruitier ait récolté les fruits par lui-même ou par les siens.

Les fruits non encore perçus font partie de l'immeuble (520); par conséquent, ils suivent cet immeuble entre les mains de ceux qui ont droit d'en jouir.

La loi fait ici l'application de ces principes: elle déclare que l'usufruitier devient propriétaire de tous les fruits qui sont pendants au moment où l'usufruit est ouvert, et qu'il profite de tous ceux que la chose produira; par suite, le propriétaire et l'usufruitier doivent se tenir compte, réciproquement, des fruits que l'un a perçus depuis l'ouverture de l'u

(1) Mauvaise rédaction: l'usufruitier n'a que le droit d'acquérir un jour les fruits. (2) Cette disposition est critiquée par Dur., no 527.

sufruit, et l'autre depuis que son droit a pris fin: on ne peut, en effet, les assimiler à des tiers possesseurs de bonne foi, puisqu'ils sont toujours censés connaître l'étendue de leurs droits respectifs.

Si une partie seulement de la récolte est coupée à l'époque où s'ouvre l'usufruit, ou au moment où ce droit cesse, la portion encore sur pied appartient, dans le premier cas, à l'usufruitier, et, dans le deuxième, au propriétaire (arg. de l'art. 520).

En décidant que les fruits naturels ou industriels s'acquièrent par la perception, la loi suppose qu'ils ont été détachés du sol depuis leur maturité ou conformément à l'usage: si des coupes anticipées avaient eu lieu, des dommages-intérêts seraient dus, suivant les cas, soit au propriétaire, soit à l'usufruitier (1).

L'hypothèse suivante peut se présenter d'une part, l'usufruitier a fait des coupes anticipées; d'autre part, il a laissé sur pied des fruits qu'il aurait pu recueillir: établira-t-on en ce cas une compensation? L'indemnité, disent quelques auteurs, suppose nécessairement un dommage causé; or, le dommage, dans l'espèce, n'existe pas: si l'usufruitier a pris trop d'un côté, de l'autre il a laissé sur pied les fruits qu'il était autorisé à recueillir. (Dur., no 548.)

Cette décision nous paraît inadmissible; l'article 584 repousse toute distinction; la règle est absolue; les fruits qui adhèrent au sol: suivent l'immeuble; par conséquent, dans l'espèce, ils sont déférés au propriétaire; tant pis pour l'usufruitier s'il n'a pas usé de son droit; cette né. gligence ne saurait pallier sa faute. On ne comprendrait pas qu'il pût compenser l'indemnité qu'il doit pour abus de jouissance, avec des fruits qui, aux termes de la loi, ne lui ont jamais appartenu. (D., Usuf., p. 800.) Notre article, s'écartant des règles de notre ancienne jurisprudence sur l'usufruit, refuse à l'usufruitier et au propriétaire le droit de réclamer l'un contre l'autre aucune indemnité pour frais de labours et semences; une compensation de chances s'établit donc entre eux. — On évite, par ce moyen, les embarras d'une expertise qu'il aurait fallu faire, tant au commencement qu'à la fin de l'usufruit, et surtout des contestations.

Nous parlons seulement des rapports établis entre le propriétaire et l'usufruitier; il va de soi que la réciprocité de chances établie entre eux ne peut préjudicier aux tiers qui ont fait sur le fonds des travaux de culture nul doute que ces tiers conserveraient la faculté d'agir contre celui entre les mains de qui passerait l'immeuble, pour obtenir le payement de ce qui leur serait dû; car nul ne doit s'enrichir aux dépens

(1) Dur., t. 4, no 531; Zach., p. 26; Proudhon. Voy. cep. Delv., sur l'article 585.-Nous ne parlons pas ici des fruits destinés à un usage auquel ils ne seraient plus propres si l'on attendait l'époque de leur maturité : il existe, en effet, pour plusieurs sortes de fruits, une maturité relative qui dépend du but que s'est proposé le cultivateur: ainsi, les prairies artificielles, les plantes potagères et les céréales mêmes en certains cas, sont coupées en vert; les oranges, les citrons et les olives sont toujours cueillis avant leur maturité, autrement on ne pourrait les conserver. (Rennos, 26 janvier 1818, Dev. Pal.) Évidemment le possesseur du fonds a le droit de percevoir ces fruits sans indemnité pour son successeur, pourvu qu'il se conforme à l'usage; mais ce cas est excoptionnel.

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