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(Samedi 3 janvier 1818.)"

(No. 355).

De la réunion des luthériens et des calvinistes.

PREMIER

ARTICLE.

Les journaux retentissent depuis quelque temps de détails sur la réunion des deux grandes branches du protestantisme. D'après ce qu'ils en racontent, il sembleroit que ce n'est pas seulement un projet ; mais que la chose est faite, que l'union est consommée, et que les deux communions n'en font plus qu'une. Est-on réellement parvenu à ce résultat, et quelle marche a-t-on prise pour l'atteindre ? c'est ce qu'il n'est pas hors de propos d'examiner, afin de savoir à quoi s'en tenir sur un fait qui tient de si près à la religion, et qui se lie même aux intérêts de la société et à l'histoire de la politique.

Il y a long-temps qu'on parle d'union parmi les protestans. Ils se furent à peine séparés de l'Eglise, qu'ils sentirent combien ieurs divisions pouvoient leur être nuisi bles. On demandoit pourquoi ces gens, qui se prétendoient suscités pour réformer l'Eglise, étoient si peu d'accord entr'eux, et comment, après avoir annoncé que l'Ecriture devoit être la seule règle de notre foi, après avoir si souvent dit qu'elle étoit claire, précise et intelligible à tous, il se trouvoit que chacun lui donnoit une interprétation différente. La grande autorité de l'église romaine étoit sur tout incommode pour ces sociétés nouvelles et circouscrites, et on leur objectoit avec raison qu'elles étoient bornées à quelques pays, et qu'elles n'avoient point cet éclat, cette universalité et cet accord qui frappent dans l'église catholique. Plusieurs des premiers protestans tâchèrent donc de répondre à ce reproche en opérant une réu nion des diverses branches de la réforme. Dès 1525, les ministres de Strasbourg essayèrent de rapprocher les

Tome XIV. L'Ami de la Religion et du Rot. Q

luthériens et les zuingliens; mais Luther n'y voulut point entendre, et déclara qu'il continueroit d'écrire contre les sacramentaires. En 1529, le landgrave de Hesse convoqua, à Marsbourg, les chefs des deux partis. Luther y reçut assez mal les avances de Zuingle, et l'accord qui fut conclu, et qui portoit qu'ils n'écriroient plus les uns contre les autres, ne tiut pas long-temps contre la jalousie et l'aigreur réciproques. Luther traita même nettement ses adversaires d'hérétiques et d'artisans de mensonges. Bucer, qui avoit assisté à la conférence, fut un de ceux qui se donnèrent le plus de mouvemens pour l'union. Il dressa une confession de foi dite des quatre villes, où il prétendoit satisfaire les luthériens à force de dissimulation et d'équivoques. Celle-là rejetée, il en minuta une autre; et, en 1536, il y eut, à Wittemberg, un accord où les sacramentaires parurent reconnoître la présence réelle, tandis que, de son côté, Luther, pour céder quelque chose, déclara que l'union du corps et du sang de notre Seigneur avec les apparences n'existoit qu'au - moment de la manducation.

Pour mieux cimenter cet accord, on fit la cène en 'commun, et l'on présenta ce qui venoit de se passer comme une rénnion de tout le corps protestant. Cepen dant quand il fallut faire recevoir cet accord dans les différentes églises, on trouva bien du mécompte. Les Suisses, gens simples et qui s'attachoient aux mots, ne pouvoient se contenter des déguisemens et des ambiguités -de Bucer. Ceux de Zurich surtout résistèrent à ses subtilités, et l'accord s'en alla en fumée. Luther étoit d'ail -leurs de plus en plus mécontent des sacramentaires, et dans ses derniers écrits il les traitoit sans aucun ménágement. Il y avoit quinze ans qu'ils disputoient sur l'article de la cène, sans pouvoir jamais être d'accord, lorsque Calvin décida, dans son Traité de la Cène, qu'ils ne s'étoient point entendus, et donna le tort aux deux partis. Selon lui, Luther en disoit trop, et Zuingle pas assez; il chercha un tempérament entre eux deux, ot

admit une certaine présence, une participation réelle de la propre substance du corps de Jésus-Christ. Il se servoit ainsi d'expressions pompeuses; mais quand on le pressoit, il avoit des explications pour les éluder, et il se trouvoit qu'après avoir beaucoup promis, il ne don noit réellement rien. Il parloit comme Luther, et au fond il pensoit comme Zuingle. En vain tint-on de nouvelles conférences pour l'union à Ratisbonne et à Worms. Non-seulement on ne put s'accorder, mais des divisions éclatèrent parmi les luthériens même. On ne s'entendit pas mieux à Francfort, ou du moins l'union ne fut pas plus stable qu'elle n'avoit été franche et sincère. On s'efforça de convenir de quelque chose à Naumbourg, en 1761; les princes se trouvèrent aussi divisés que les docteurs, et on se borna à des expressions générales qui ne définissoient rien. Il en fut de même à Erfurt, à Maulbrunn, à Magdebourg, à Montbéliard, et partout où les deux partis s'abouchèrent. Chacun persistoit dans ses sentimens, et la seule différence entre les calvinistes et les luthériens, c'est que les premiers dissimuloient mieux, tandis que les seconds étoient plus intraitables. En 1578, les calvinistes de France, assemblés à Sainte-Foi, donnèrent pouvoir à quatre ministres et au vicomte de Turenne de convenir d'une confession de foi commune aveo les protestans d'Allemagne; sur quoi Bossuet disoit : Voilà donc la foi des églises réformées de France entre les mains de quatre ministres et de M. de Turenne, avec pouvoir de régler ce qu'il leur plairoit; et ceux qui ne veulent pas qu'on puisse s'en rapporter à toute l'Eglise dans les moindres points de la foi, s'en rapportent à leurs députés! Mais c'est que la politique avoit plus de part que la religion à ce projet, et on vouloit gagner les protestans d'Allemagne, et obtenir d'eux des secours pour nourrir la guerre civile en France. Ce fut également la politique qui dicta, en 1631, le décret de Charenton, par lequel on recevoit les luthériens à la cène. Gustave, dit Bossuet, foudroyoit en Allemagne, et à

ce coup on crut dans toute la réforme que Rome même alloit devenir sujette au lutheranisme. Il étoit donc à propos de se faire des amis dans ce parti. Toutefois les calvinistes en farent encore pour leurs avances. En cette occasion, comme dans presque toutes les autres, les luthérieus ne voulurent jainais se relâcher sur la présence réelle; ils avoient appris à se défier des formules équivoques des réformés.

Du temps de Bossuet, il fut encore question de réunion entre les luthériens et les calvinistes. Jurieu en conçut le projet avec le docteur Scultet. Le premier rédigea sur ce sujet une Consultation amiable, laquelle n'est pourtant pas fort amicale. Vous nous accusez, dit-il au docteur Scullet, de faire Dieu auteur du péché. C'est Luther qu'il en faut accuser, et non pas nous, et là-dessus il lui produit les passages où Luther décide que la prescience de Dien rend le libre arbitre impossible; que Judas, par cette raison, ne pouvoit éviter de trahir son maître; que tout ce qui se fait en l'homme de bien et de mal se fait par une inévitable nécessité; que c'est Dieu qui opère en l'homme foul ce bien et tout ce mal qui s'y fait, et qu'il fait l'homme damnable par nécessité; que l'adultère de David n'est pas moins l'ouvrage de Dieu que la vocation de saint Paul; enfin, qu'il n'est pas plus indigne de Dieu de damner des innocens, que de pardonner, comme il fait, des coupables. Le docteur calviniste revient plusieurs fois à la charge contre Luther, et lui reproche sa doctrine sur la grâce, sur les bonnes œuvres, sur l'ubiquité; et après de terribles récriminations, il propose naïvement aux luthériens de se tolérer mutuellement, malgré les erreurs grossières dont ils se convainquent les uns les autres. Si notre particularisme est une erreur, dit-il, nous vous offrons la tolérance pour des erreurs beaucoup plus étranges; « c'est-à-dire, continue Bossuet, nous vous passons tous les prodiges de votre doctrine, nous vous passons celle monstrueuse ubiquité, nous vous passons votre demi-pélagianisme qui niet le commencement du

salut de l'homme purement entre ses mains; nous vous passons ce dogme affreux qui nie que les bonnes œuvres et l'habitude de la charité, non plus que son exercice, soient nécessaires au salut, ni å la vie, ni à la mort; nous vous tolérons, nous vous recevons à la sainte table, nous vous reconnoissons pour enfans de Dieu malgré ces erreurs; passez-nous donc aussi, et passez au synode de Dordrecht, et ses décrets absolus avec sa grâce irrésistible, et sa certitude du salut avec son inadmissibilité de la justice, et tous nos autres dogmes particuliers, quelque horreur que vous en ayez. Voilà le marché qu'on propose, voilà ce que l'on négocie à la face de tout le monde chrétien, une paix entre des églises què se disent non-seulement chrétiennes, mais encore réformées; non pas en convenant de la doctrine qu'elles croient expressément révélée de Dieu, mais en se pardonnant mutuellement les plus grossières erreurs. Quel sera l'événement de ce traité? Je veux bien ne pas le prévoir, mais je dirai hardiment que les calvinistes n'y gagneront rien que d'ajouter à leurs erreurs celles des luthériens; et quant aux lúthériens, ils auront sacrifié aux sácrámén-, taires ce que Luther a le plus défendu contre eux jusqu'à la mort, c'est-à-dire, la réalité ». 15 K

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Bossuet examine ensuite le moyen que propose Jurieu pour parvenir à ce merveilleux accord, et ce moyen, mérite d'autant mieux d'être exposé ici, que c'est à peu près le même auquel on a recours aujourd'hui, Ce pieux ouvrage, dit le ministre, no se peut faire sans le secours des princes de l'un et de l'autre parti, parce que toute la réforme s'est faite par leur autorité. Ainsi, on doit assembler, pour réussir, non des ecclésiastiques loujours trop attachés à leurs sentimens, mais des politiques qui apparemment feront meilleur marché de leur religion...... Les théologiens parleront comme des avocats, les politiques écouteront, et seront les juges sous l'autorité du prince. «Voilà donc manifestement, reprend Bossuet, les princes devenus souverains arbitres

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