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(Mercredi 21 janvier 188.)

N°. 360.)

Essai sur l'indifférence en matière de religion; avéd cette épigraphe : Impius, cùm in profundum venerit, contemnit (1).

« Le siècle le plus malade n'est pas celui qui se passionne pour l'erreur, mais le siècle qui néglige, qui dédaigne la vérité. Il y a encore de la force, et par conséquent de l'espoir, là où l'on aperçoit de violetts transports; mais lorsque tout mouvement est éteint, lorsqué le poulx a cessé de battre, que le froid a gagné le cœur, et que l'haleine du moribond ne ternit plus le miroir qu'une curiosité inquiète approche de sa bouche, qu'attendre alors qu'une prochaine et inévitable dissolution? En vain l'on essayeroit de se le dissimuler; la société, en Europe, s'avance rapidement vers ce terme fatal. Les bruits formidables qui grondent dans son sein, les seconsses qui l'ébranlent, les bouleversemens inouis qui, dans l'espace de quelques années, en ont tant de fois changé la face, ne sont pas le plus effrayant symptôme qu'elle offre à l'observateur. Ces terribles convulsions peuvent n'être pas sans remède; mais cette indifférence. léthargique où nous la voyons tomber, ce profond assoupissement, ce sommeil de fer, cette stupeur more telle, qui l'en tirera? qui soufflera sur ces ossemens aridés pour les ranimer ? Le bien, le mal, l'arbre qui donne la vie et celui qui produit la mort, nourris par le même sol, croissent au milieu des peuples qui, sans lever la tête, passent, étendent la main, et saisissent leurs fruits au hasard. Religion, morale, honneur, de

(1) I gros vol. in-8°.; prix, 6 fr. 50 c. et 8 fr. 50 c. franc de port. A Paris, chez Tournachon Molin et Seguin, libraires; et chez Adr. Le Clere, au bureau du Journal.

Tome XIV. L'Ami de la Religion et du Roi. X

voirs, les principes les plus sacrés comme les plus nobles sentimens, ne sont plus qu'une espèce de rêve, une illusion fugitive, de brillans et légers fantômes qui se jouent un moment dans le lointain de la pensée, pour disparoître bientôt sans retour. Les ames énervées fuient la réflexion, frémissent comme un oeil malade, et se contractent au premier rayon de lumière qui vient les frapper, et s'oubliant elles-mêmes, cherchent au sein d'une molle incurie je ne sais quel repos agité par les songes volages du plaisir. Non, jamais rien de semblable ne s'étoit vu, n'auroit même pu s'imaginer. Il a fallu de longs et persévérans efforts, une lutte infatigable de l'homme contre sa conscience et sa raison, pour parvenir enfin à cette brutale insouciance. Arrêtez un moment vos regards sur ce roi de la création : quel avilissement incompréhensible! Son esprit affaissé n'est à l'aise que dans les ténèbres. Ignorer est sa joie, sa paix, sa félicité; il a perdu jusqu'au désir de connoître ce qui l'intéresse le plus. Contemplant avec un égal dégoût la vérité et l'erreur, il affecte de croire qu'on ne sauroit les discerner, afin de les confondre dans un commun mépris; dernier excès de dépravation intellectuelle où il lui soit donné d'arriver: Cùm in profundum venerit, contemnit ».

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C'est ainsi que l'auteur de l'Essai commence son Introduction, et déjà ce début n'annonce pas sans doute un écrivain vulgaire. Ces hautes pensées, ces vives images, ces vues profondes ne peuvent appartenir qu'à un esprit supérieur, dont les regards pénétrans embrassent un vaste espace, et découvrent toute l'étendue de la plaie qui nous dévore. Nous entendons tous les jours des littérateurs bien légers, et des publicistes bien frivoles nous vanter les progrès des lumières, s'extasier sur les découvertes du siècle et sur la marche de l'esprit humain, et prouver dans des vers mus

qués, ou dans une prose ronflante, que nous n'avons rien à envier à nos pères, et que nous sommes beaucoup plus heureux, beaucoup plus habiles, et même beaucoup plus vertueux. Comme les Juifs, nous voulons avoir des prophètes complaisans qui nous amusent par des prédictions flatteuses, loquimini nobis. placentia; et nous sommes assez malheureux pour en trouver. L'auteur de l'Essai ne sera pas rangé parmi ces panégyristes aveugles et serviles. Il possède à la fois, et ce coup d'œil sûr qui pénètre tous les dangers de notre situation morale, et ce courage qui ne nous les dissimule point, et le talent qui les peint à grands traits et qui en indique le remède. Profoudément ému des maux de la religion, épouvanté de celle froideur mortelle, de cette apathie désolante, de cet assoupissement extrême où nous sommes plongés, il s'arme de toute la force du raisonnement, et de toutes les ressources de l'éloquence pour confondre nos vains prétextes, et triompher de notre molle insouciance. La fécondité de ses vues, la vérité de ses reproches, l'énergie de son style, tout est propre à ébranler les plus indifférens, et à toucher les plus froids.

Cette Introduction seule, à laquelle nous nous arrêtons aujourd'hui, suffiroit pour motiver ce jugement. Nous avons vu avec quelle richesse d'expressions elle s'ouvre; l'auteur soutient saus effort ce brillant début, et unissant toujours la vigueur des pensées à l'éclat du style, il explique rapidement le mystère que présente l'homme moral, et les nombreuses contradictions de ses penchans. Ce n'est que dans la religion que nous trouvons la solution de ce problême qui avoit embarrassé les philosophes païens, et le péché originel seul nous fournit la clef de ces contra-.

riétés humiliantes. L'auteur prend le crayon de Pascal pour nous peindre l'homme sous ses aspects divers, tantôi bon et pur, tel qu'il sortit des mains du créateur; tutôt dégradé, et portant sur son front comme le premier criminel, le signe de sa chute; ici, cherchant la vérité avec ardur, et pratiquant la vertu avec délices; là, jouet de l'erreur et des passions, et tombant dans de déplorables excès; mélange inoni de grandeur et d'abjection, de force et de foiblesse, de sentimens généreux et d'inclinations dépravées; tenant à la Divinité par son origine, par cette haute ressemblance dont parle l'Ecriture, et par une espérance pleine d'immortalité, et de l'autre côté, attaché à la terre, esclave de son corps, et dupe des illusions de l'esprit de ténèbres et de mensonge. Voilà l'homme; et ee qui est vrai de l'individu, l'est aussi à bien des égards des peuples et des nations. Les sociétés, comme Thomme, se perdent lorsque les s'éloignent de la vertu, et qu'elles négligent la vérité, et les nations païennes en offrent un exemple trop sensible.

Nous aurions voulu pouvoir suivre l'auteur de l'Es sai dans ses développemens pleins de morceaux dư plus grand effet, et qui sont surtont frappans parce qu'ils sont vrais. Mais ne pouvant tout citer dans cette Introduction, où les plus hautes considérations, et les tableaux les plus animés se succèdent d'une manière aussi rapide qu'heureuse, nous nous étions arrêtés à la naissance du christianisme. L'étendue de ce morceauauroit rendu plus sensible le talent de l'anteur, et nous sommes bien persuadés qu'il ne seroit venu en pensée à personne de nous reprocher la longueur d'une citation qui auroit paru encore courte au goût et à la sagacité de nos lecteurs; mais le défaut d'espace nous

a contraints de faire encore ce sacrifice; il nous a interdit également de rapporter d'autres passages sur les combats livrés à l'Eglise, sur tout ce qu'elle a eu à souffrir au dehors et au dedans, sur la guerre des erreurs, et sur celle des sens. Enfin, la philosophie, lasse de combattre, a cessé ses efforts; elle n'examine plus rien, elle méprise, elle sourit de pitié, elle s'endort dans l'indifférence. Voyous comment l'auteur dépeint les suites de cet état :

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«De cette fatale disposition, devenue presque universelle, est résulté, sous le nom de tolérance, un nouveau genre de persécution et d'épreuves, la dernière sans doute que le christianisme doit subir. En vain une philosophic hypocrite fait retentir au loin les mots séduisans de modération, d'indulgence, de mutuel sup port et de paix, le niel perfide de ses paroles déguise l'amertume des sentimens que son coeur nourrit. Sa haine invétérée contre tout principe religieux, quoi qu'elle fasse, perce à travers ces feintes démonstrations de bienveillance générale et de douceur. Etrange modération en effet, et plus étrange tolérance! On a bien entendu dire que la sagesse quelquefois conseilloit de tolérer temporairement certaines erreurs; mais tolérer la vérité, qu'est-ce autre chose qu'une prétention insoJente et sacrilege, une séditieuse protestation contre la souveraineté qui lui appartient dans le monde moral, un implicite où l'on est de la détruire? Qui jamais ouï parler, avant ce siècle des lumières, de tolérer l'immortalité de l'ame, la vie future, le châtiment du crime et les récompenses de la vertu, de tolérer Dieu! Aussi, à quoi se réduit en réalité cette tolérance? Contemplez l'état de la religion: on ne la prosorit plus, mais on l'asservit; on n'égorge plus ses ministres, mais on les dégrade, pour mieux enchaîner le ministère. L'avilissement est l'arme avec laquelle on

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