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CHAPITRE I.

ÉTABLISSEMENT DES CONSULATS À L'ÉTRANGER DEPUIS LA DERNIÈRE MOITIÉ DU XVI SIÈCLE JUSQU'À

NOS JOURS.

Le Livre précédent a eu pour objet de nous faire voir comment l'Institution des Consuls à l'étranger, née dans le Levant, s'est développée et consolidée de plus en plus pendant le moyen âge, sous les auspices de quelques Villes maritimes qui, à cette époque, exploitaient exclusivement le commerce de la Méditerranée et de la Baltique.

A mesure que d'autres Nations encore se livrèrent à ces entreprises maritimes, et que leurs relations commerciales se multiplièrent et acquirent plus d'importance, il était naturel que, mettant à profit l'exemple des Peuples qui les avaient devancées dans la vaste carrière du commerce et de la navigation, elles adoptassent une Institution si féconde en résultats d'une incontestable utilité. Aussi voyons-nous, dès la fin du XVIe et dans le commencement du XVIIe siècle, toutes les Nations commerçantes de l'Europe établir successivement les unes chez les autres des Consuls et, pour la plupart, appuyer cette Institution sur des stipulations spéciales et précises.

Mais aussi, à mesure que l'Institution des Consuls de commerce se naturalisa sur le sol chrétien, elle dut nécessairement subir les modifications réclamées par la différence caractéristique entre l'état slationnaire des Peuples musulmans et la civilisation progressive des Nations chrétiennes. C'est ainsi que, à proportion que dans les Pays d'Europe les moeurs s'adoucirent, que les Institutions judiciaires se perfectionnèrent, et que les relations politiques et commerciales entre les divers États furent réglées par des stipulations précises, que des Ministres à résidence fixe 1) étaient char

1) Comparez T. II. du Manuel, Partie I. Liv. II. Chap. I. Sect. III. Art. V. Espagne. I. Aragon. R. p. 335. note 1.

gés de faire exéculer et respecter, la sphère des Pouvoirs consulaires fut rétrécie de plus en plus, au point que la Condition entière des Consuls changea de caractère.

La Jurisdiction civile et criminelle, attribuée aux Consulats du Levant par une dérogation à la règle générale 1), ayant été reconnue appartenir en Europe aux Autorités territoriales, on ne laissa aux Consuls, dans la plupart des États, que la Jurisdiction volontaire) et contentieuse 3), et dans d'autres, toute espèce même de Jurisdiction leur fut refusée. Les Consuls perdirent ainsi la plus importante de leurs Attributions, et avec elle la haute considération attachée à l'exercice de leurs Fonctions.

De plus, l'établissement des Légations perpétuelles ou permanentes les fit descendre de la position éminente de Juges, Chefs et Protecteurs de leurs Nationaux, de Représentants de leur Gouvernement, qui pendant longtems avaient exclusivement joui de la protection spéciale du Droit des gens, au rôle inférieur d'Agents subordonnés, et les priva des priviléges qui décorent les Ministres publics.

Il n'en fut pas de même dans les Pays musulmans, où les Consuls conservèrent la plénitude des Droits et des Prérogatives attachés pendant le moyen âge à leurs Fonctions.

Les Consuls du Levant forment ainsi une catégorie à part, entièrement différente de celle des Consuls dans les Pays chrétiens.

En examinant ci-après les stipulations spéciales qui ont successivement fixé les Droits et les Prérogatives, les Devoirs et les Attributions des Consuls de commerce, nous y puiserons les matériaux pour la construction d'une Théorie du Consulat, basée sur les dispositions du Droit des gens conventionnel.

1) Comparez T. II. du Manuel, Partie I. ris 1811. 2e édition, T. I-VII. in 8°.) p. VII. Liv. II. Chap. I. Sect. I. p. 4. note 2.

2) Les Consuls remplissent les Fonctions de Notaires en rédigeant pour leurs Nationaux les actes civils attribués à ces Officiers, et c'est ce qu'on appelle la Jurisdiction volontaire. (Flassan, Histoire générale et raisonnée de la Diplomatie française (Pa

P. 35.)

3) Les Consuls agissent comme Juges de paix, tâchant de concilier leurs Nationaux, et prononçant même des Jugements en première instance. C'est ce qui constitue la Jurisdiction contentieuse. (Flassan, ubi supra.)

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Nous avons dit plus haut 2) que la France avait accrédité en 1564, un Consul à Alger, et que le Consulat établi dans cette place était devenu la propriété des Religieux de la Trinité de Marseille.

La Porte avait pris l'engagement formel de mettre le pavillon français à l'abri de toute insulte ou agression de la part des Corsaires de Barbarie 3); mais les Régences barbares

1) Nous continuons à placer, comme nous l'avons fait dans les Livres I. et II., la France en tête des autres Puissances, suivie des Etats d'Italie, de l'Espagne, du Portugal, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède (et de la Norvège), de la Russie (et de la Pologne), de la Prusse, de l'Autriche, de la Turquie et des EtatsUnis de l'Amérique du Nord. Nous ne nous occupons point de ceux des États d'Italie qui n'ont point d'importance maritime. Quant aux Traités conclus par les diverses Puissances nous avons adopté l'ordre alphabétique de préférence à l'ordre chronologique, pour faciliter les recherches.

2) Voyez Part. 1. Liv. II. Chap. II. Sect. I. France. p. 413. et dans les Addenda 573. P. Taddition à la p. 219.

3) Art. XIV. des Capitulations renouvelées en 1604, entre le Roi Henri IV et le Sultan Achmed I.

Et d'autant que les Corsaires de Barbarie allant par les Ports et Havres de la France, y sont reçus, secourus et aidés à ,, leur besoin, de poudre, plomb et autres ,, choses nécessaires à leur navigation, et „, néanmoins trouvant des vaisseaux français ,,à leur avantage, ils ne laissent pas de les ,,piller et sacager, en faisant les personnes esclaves, contre Notre vouloir et celui du ,, défunt Empereur Mehemmet Notre Père, ,,lequel, pour faire cesser leurs violences et ,, déprédations, aurait diverses fois envoyé ,, ses puissants Ordres et Commandements, ,,et enjoint par iceux de mettre en liberté ,, les Français détenus esclaves, et leur restituer leurs facultés, sans que pour cela, ,,ils ayent discontinué leurs actes d'hostilité. ,,Nous, pour y remédier, commandons par ,,cette Capitulation impériale, que les Fran

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çais pris contre la foi publique, soyent re

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,, mis en liberté, et leurs facultés restituées. ,,Déclarons qu'en cas que les dits Corsaires ,, continuent leurs brigandages, à la première ,, plainte qui nous en sera faite par l'Empe,,reur de France, les Vice-Rois et Gouver ,,neurs des Pays de l'obéissance desquels se,,ront les voleurs et Corsaires, seront tenus des dommages et pertes qu'auront faites les Français, et seront privés de leurs Char,,ges; et promettons de donner croyance et ,, ajouter foi aux lettres qui nous en seront ,, envoyées du dit Empereur de France. Aussi consentons-nous et avons agréable, si les Corsaires d'Alger et Tunis n'observent ce ,, qui est porté par cette Notre Capitulation, " que l'Empereur de France leur fasse cou,, rir sus, les chatie et les prive de ses Ports; et protestons de n'abandonner pour cela ,,l'amitié qui est entre Nos Majestés impé,,riales. Approuvons et confirmons les Com,, mandements qui ont été donnés de Notre , défunt Père pour ce sujet."

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Art. XII. des Capitulations renouvelées en 1673, entre le Roi Louis XIV et le Sultan Mahomed IV.

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,, Les Corsaires de Barbarie allant par les Ports et Havres de la France, y seront ,, regus, secourus, même de poudre, plomb, voiles et autres choses nécessaires. Néan,, moins, si sans avoir égard à Nos promesses, rencontrant les vaisseaux français en mer à leur avantage, ils les prennent et ,, font esclaves les marchands et les mari,,niers qui se trouvent sur iceux, contre Notre ,, vouloir, et celui de feu l'Empereur Notre ,,Père: lequel pour faire cesser leur violence, les a souventes fois menacés, sans que pour cela ils ayent discontinué leurs actes d'hos,,tilité; s'il y a des esclaves pris de cette ,, sorte, Nous ordonnons qu'ils soyent en li,,berté, et que leurs facultés leur soyent ren

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ques n'en poursuivant pas moins leurs pirateries dans la Méditerranée 1), la France, pour protéger sa navigation et assurer le commerce important en bled qu'elle faisait avec le Nord de l'Afrique, so vit obligée de conclure des Traités particuliers avec les États d'Alger, de Tunis et de Tripoli, ainsi qu'avec l'Empire de Maroc 2).

Ces Traités étant tous motivés par la nécessité de protéger les négociants et les navigateurs contre la rapacité et l'insolence, la brutalité et le fanatisme des Musulmans, ils portent naturellement, ainsi que ceux avec le Gouvernement turc, un caractère entièrement différent des Traités conclus entre les Puissances chrétiennes et civilisées. Le Roi de France ne traitait point formellement avec les États barbaresques, mais autorisait à traiter avec eux une personne qui parlait presque en son nom: le Roi semblant trouver au-dessous de sa dignité de se mettre en ligne avec eux 3). C'est ainsi que le premier Traité avec Alger a été conclu et signé par-devant, très-haut, très-puissant et très-juste Prince, Monseigneur Charles de Lorraine, Duc de Guise, Prince de Joinville, Pair de France, Gouverneur et Lieutenantgénéral pour le Roi en Provence, Amiral des mers du Levant, et Capitaine-général de ses armées, tant de Terre que de mer.

21 Mars.

Le Traité entre Mr. de Guise, au nom de Louis XIII, 1619, Roi de France, et les Députés du Pacha et de la Milice d'Alger, fait à Marseille, le 21 Mars 1619, assure au Consul des Français,,le Respect et Honneur qui est

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,,Quoique les 'Corsaires d'Alger soyent traités favorablement lorsqu'ils abordent dans les Ports de France, où on leur donne ,,de la poudre, du plomb, des voiles et au

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tres agrés, néanmoins ils ne laissent pas de ,, faire esclaves les Français qu'ils rencon,, trent, et de piller le bien des marchands, ,, ce qui leur ayant été plusieurs fois dé,, fendu sous le règne de Notre aïeul, de glo,, rieuse mémoire, ils ne se seraient point ,, amendés; bien loin de donner Mon consen,,tement impérial à une pareille conduite, ,,Nous voulons que s'il se trouve quelque ,,Français fait esclave de cette façon, il soit mis en liberté, et que ses effets lui soyent

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entièrement restitués; et si dans la suite ,, ces Corsaires persistent dans leur désobéis,,sance, sur les informations par lettres qui ,,Nous en seront données par Sa Majesté, le „Begler-Beg qui se trouvera en place, sera ,, dépossédé, et l'on fera dédommager les ,, Français des agrés qui auront été dépré,, dés. Et comme, jusqu'à présent, ils ne se ,, sont pas beaucoup souciés des défenses ré,, itérées qui leur ont été faites à ce sujet, ,,au cas que dorénavant ils n'agissent pas conformément à Mon Ordre impérial, l'Em"pereur de France ne les souffrira point sous ,,ses forteresses, leur refusera l'entrée de ,,ses Ports, et les moyens qu'il prendra pour ,, réprimer leurs brigandages ne donneront ,, aucune atteinte à Notre Traité, conformément au Commandement impérial émané du ,, tems de Nos ancêtres, dont Nous confirmons ici la teneur, promettant encore d'agréer les plaintes de même que les bons témoig ,, nages de Sa Majesté sur cette matière." 1) Comparez T. II, du Manuel, Partie I. Liv. II. Chap. I. Sect. III. Art. V. Espagne. I. Aragon, K. p. 271. note 2.

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2) Martens, Cours diplomatique ou Tableau des Relations extérieures des Puissances de l'Europe, tant entre elles qu'avec d'autres États dans les diverses parties du globe (T. I–III. Berlin 1801. in 8o.), 'T, III. Liv. I. Chap, XVI. Des Relations entre la France et l'Afrique septentrionale, §, 132 -137. p. 137-143.

3) Flassan, 1. c. T. IV. Table chronologique, p. 498. note 1.

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