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PREMIÈRE DIVISION

DROITS RÉELS ET DROITS PERSONNELS OU CRÉANCES

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De la sécurité différente donnée au sujet actif d'un droit suivant qu'il est réel ou personnel.

Le droit réel est la faculté qu'a une personne de s'attribuer, par préférence et exclusivement à tous autres, la totalité ou partie de l'utilité d'une chose en quelque main qu'elle se trouve.

Avoir un droit réel sur une utilité, c'est pouvoir percevoir cette utilité sans partage avec personne, quel que soit l'adversaire que l'on ait.

Voici un hectare de terre il me donne une somme d'utilité quelconque. Je puis le labourer, y semer, récolter; je puis en faire un bois, un vignoble, une terre arable; je puis m'y promener, y chasser, le laisser ouvert, l'entourer de murs, y construire, le louer, le vendre, l'échanger, le donner, le léguer, le mettre en société que sais-je? L'ensemble de toutes ces utilités constitue l'objet du plus parfait, du plus complet des droits réels : la propriété.

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La propriété peut donc se définir le droit de retirer la totalité de l'utilité que peut donner une chose par préférence à tout le monde et en quelque main qu'elle se trouve.

La totalité de l'utilité. Entendons-nous ! la totalité de l'utilité.... de l'utilité légale; car la loi n'admet pas qu'il y ait chez l'homme, être fini, des droits sans limites. C'est ce que veut dire l'art. 544 du Code civil quand il définit la propriété : « Le droit le plus absolu qu'on puisse avoir relativement aux choses, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Nous y reviendrons.

Le droit personnel est la faculté qu'une personne, appelée ●réancière, a d'exiger d'une autre personne, appelée débitrice, une utilité quelconque un fait ou une abstention, mais sans préférence.

Qu'est-ce que cela veut dire?

Jacques est détenteur d'un cheval, d'une valeur de 1,000 francs, que lui a prêté Pierre, propriétaire.

Ce même Jacques est en même temps débiteur d'une somme de

1,000 francs due à Nicolas, ou débiteur d'un service équivalent à cette

somme.

Jacques devient insolvable.

Tous ceux qui ont des droits contre lui se présentent à la liquidation pour obtenir ce qui leur est dû, soit en vertu de droits réels, soit en vertu de droits personnels.

Pierre, propriétaire du cheval, a un droit réel; il prend son cheval, qui est dans les écuries du failli Jacques, en prouvant qu'il l'a prêté à Jacques. Peu lui importe que Jacques soit insolvable, qu'il y ait d'autres ayants droit réels; peu lui importe que Jacques ait des créanciers qu'il ne pourra pas payer intégralement : il prend le cheval qui lui appartient, il en a toute l'utilité par préférence, exclusivement à tous autres.

Et ainsi de tous les autres ayants droit réels, chacun d'eux prendra exclusivement l'utilité objet de son droit, sans diminution.

Mais le créancier Nicolas? Il commence par laisser tous les ayants droit réels reprendre ce qui leur appartient, et si, cela fait, il reste au débiteur Jacques un actif qui, évalué en argent, ne suffit pas à le payer intégralement ainsi que tous les autres créanciers: si Jacques, par exemple, n'a plus que 50,000 francs, alors qu'il doit 100,000 francs à ses créanciers, Nicolas ne sera pas payé intégralement; il aura le même sort que les autres créanciers, il ne sera préféré à aucun d'eux : tous subiront.une diminution proportionnelle de 50 p. 100.

Nicolas ici recevra 500 francs au lieu de 1,000 francs : la moitié de ce qui lui est dû.

Tous les créanciers sont soumis à cette diminution: ils sont payés à tant pour cent, au prorata de leur droit, proportionnellement, par dividende, au marc le franc... toutes expressions synonymes, montrant nettement l'égalité du sort des créanciers et l'exclusion de toute préférence (2093).

Le mot créance, synonyme ici du mot droit personnel, lui est préférable: il exprime mieux la réalité. Le créancier a fait crédit, il a eu confiance, créance, suivant le vieux mot français, en son débiteur; forcé ou non, il a suivi sa foi, et, comme tous les créanciers ont fait de même, comme tous, en laissant le débiteur à la tête de ses affaires, l'ont présenté au public comme solvable, tous, ayant commis la même faute, doivent subir le même sort.

Le lecteur peut maintenant comprendre ces définitions abrégées : « Le droit réel est un droit avec préférence, et le droit personnel ou créance un droit sans préférence. »

Mais nous avons dit plus le droit réel se compose d'un droit de préférence à une utilité déterminée, et d'un droit de suite qui permet

au sujet actif, en saisissant partout où ils se trouvent l'instrument de cette utilité ou la chose dans laquelle elle s'incarne, de percevoir exclusivement l'utilité objet de son droit.

Or, ces deux éléments, droit de préférence et droit de suite, ne se rencontrent pas toujours. On ne peut pas donner d'exemple de droit réel qui ne comporte un droit de préférence : c'est de son essence. Au contraire, souvent le droit de suite n'apparait pas, quoiqu'il soit, en général, la condition d'existence du droit réel, le moyen sans lequel le droit de préférence ne saurait s'exercer. Cependant ce droit de suite est quelquefois paralysé.

D

C'est dans ce sens qu'il faut entendre une règle considérable du droit français : « En fait de meubles, possession vaut titre (2279 C). Tandis que celui qui a un droit réel sur un immeuble, tandis que le propriétaire d'une maison, par exemple, peut la suivre entre toutes mains, quel qu'en soit le possesseur ou tiers détenteur (c'est le nom qu'on donne ici au possesseur poursuivi par le propriétaire), le propriétaire d'un meuble, un cheval ou une montre, ne peut pas le revendiquer, en principe, entre les mains du tiers détenteur : la possession qu'en a celui-ci équivaut à une cause d'acquisition, à un titre de propriété.

Mais, à vrai dire, le droit de suite reste un élément du droit réel sur les meubles; il n'est pas éteint, il est plutôt paralysé par des nécessités d'ordre public: la preuve en est que si le meuble possédé par un tiers détenteur a été volé ou trouvé, le propriétaire qui a été volé ou qui l'a perdu a parfaitement le droit de le réclamer au tiers détenteur; la maxime n'a plus d'effet, et le droit de suite réapparaît.

Les motifs qui ont fait édicter cette règle célèbre sont variés et facilement compréhensibles.

Quand une personne acquiert un immeable, elle a le temps de s'assurer si celui qui lui en transmet la propriété est réellement propriétaire ; dans nos mœurs juridiques, chacun a les titres qui prouvent sa propriété immobilière : celui-là donc est coupable qui traite avec un non-propriétaire, et l'on comprend qu'il puisse être poursuivi par le véritable propriétaire.

Mais quand il s'agit d'un meuble, il n'en est plus de même. Les meubles, marchandises, denrées, objets de circulation rapide et de transmissions multipliées, passent de main en main, sans que celui qui les acquiert exige de son vendeur la preuve que celui-ci en était propriétaire ; d'autant plus qu'en pratique un propriétaire de meuble n'a guère les preuves de sa propriété. Ajoutez les inconvénients du droit de suite sur les meubles s'il existait, il serait la source de procès sans nombre. En quittant les mains du propriétaire, un meuble a quelquefois changé plusieurs fois de possesseur, précisément parce

qu'il est par sa nature d'une transmission facile. Permettre néanmoins au propriétaire de le revendiquer en vertu du droit de suite contre le deuxième, le troisième..... le dixième acquéreur, c'est donner à chacun des acquéreurs successifs le droit de réclamer des dommagesintérêts à son aliénateur immédiat, jusqu'au premier qui a aliéné le meuble d'autrui.

Tout ces motifs ont paru suffisants au législateur pour que le droit réel sur un meuble ne fût qu'un droit de préférence, sans faculté de suivre le meuble entre les mains des tiers acquéreurs de bonne foi.

Mais remarquons-le bien le législateur a voulu, pour que la règle s'appliquât, que le propriétaire fût en faute et que le possesseur n'eût rien à se reprocher le propriétaire est en faute s'il ne garde pas sa chose; le possesseur n'a rien à se reprocher s'il est de bonne foi et croit que son aliénateur est propriétaire (1141).

Le propriétaire cesse d'être en faute, si son meuble a été perdu ou lui a été volé: alors il peut revendiquer son bien pendant trois ans. Mais même alors, le tiers acquéreur qui doit rendre la chose perdue ou volée, parce qu'il ne doit profiter ni d'un accident, ni d'un délit, pourrait quelquefois exiger qu'en échange du meuble restitué, le propriétaire lui payât le prix qu'il en a donné. Dans quel cas ? C'est lorsqu'il a acheté le meuble dans des circonstances normales une montre chez un horloger, un cheval sur un marché. S'il achète la montre du premier venu, le cheval d'un maraudeur, les circonstances de son marché, les allures de son vendeur, devaient lui rendre suspecte la prétendue propriété de celui-ci : il rendra alors le meuble volé ou perdu au propriétaire sans aucune indemnité (2280).

Ce qui précède nous montre combien l'ayant droit réel, grâce à son droit de préférence et de suite, a plus de sécurité, plus de certitude d'obtenir l'utilité qui est l'objet de son droit que l'ayant droit personnel ou créancier.

Avant d'arriver à une comparaison plus approfondie du droit réel et du droit personnel qui fasse mieux comprendre ces notions fondamentales, énumérons les droits réels, et prenons-en une connaissance sommaire.

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Les droits réels sont en nombre limité dans notre législation

française.

Nous verrons plus loin que les droits réels peuvent avoir pour objet des utilités diverses: nous ne nous occuperons que de ceux dont l'objet est évaluable en argent.

Voici la liste de ceux reconnus par nos codes, divisés en deux classes.

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Le droit réel accessoire est la garantie d'une créance il n'ajoute rien au patrimoine du créancier, et augmente seulement sa sécurité. Nous en parlerons plus loin. Il importe d'abord d'avoir une idée nette des droits réels principaux; seuls ils constituent avec les créances l'actif d'une personne.

1° La propriété.

Nous l'avons décrite plus haut en résumant sa définition, nous dirons qu'elle est le droit qu'a une personne de s'attribuer, à l'exclusion de toute autre l'utilité totale d'une chose.

Depuis longtemps, les jurisconsultes ont divisé les utilités que la propriété réunit en un faisceau en trois éléments principaux : l'usage, la jouissance et la disposition.

L'usage consiste à retirer de la chose des utilités qui peuvent se renouveler, autres que les fruits et les produits : un cheval traîne, porte, court; on passe sur un terrain, on s'y promène, on y chasse: voilà l'usage.

La jouissance consiste à retirer les fruits de la chose. Tous les produits d'une chose ne sont pas des fruits: sont fruits seulement les produits périodiques qu'une chose est destinée par le propriétaire à donner. Les matériaux qu'on retire d'une maison, les arbres coupés capricieusement dans une forêt, ne sont donc pas des fruits. Mais en sont les récoltes, le croît des animaux, les coupes régulières des forêts aménagées; ce sont en effet des produits périodiques (590, 598, 1403).

Il y a deux sortes de fruits:

Les uns sont naturels ou industriels, selon que la terre les produit

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