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Que les travaux soient indispensables, et la loi en énumère cinq classes, parmi lesquels figurent les précédents, ou qu'ils soient seulement très-utiles, comme les travaux de drainage, le législateur devait favoriser leur exécution et leur entretien. C'est ce qu'il a fait en donnant des avantages précieux aux associations syndicales que les propriétaires, réunis par un intérêt collectif, pourront former entre eux. Ces sociétés forment aujourd'hui des personnes civiles, pouvant plaider en justice par leurs syndics, pouvant acquérir, aliéner, transiger, emprunter et hypothéquer.

Mais ce qui nous intéresse ici, c'est que l'entrée dans un syndicat des propriétaires réunis par un intérêt collectif est tantôt imposée par l'administration, exigeant la formation des syndicats, tantôt n'est forcée que si déjà une certaine majorité des propriétaires a constitué l'association. C'est alors une sorte de servitude pesant snr les propriétaires de certains immeubles.

Et rien n'est plus juste, puisque les travaux exécutés doivent nécessairement profiter à tous ces propriétaires dont les fonds sont menacés des mêmes dangers ou soumis aux mêmes inconvénients. Qu'ils délaissent leurs immeubles, s'ils ne veulent point faire partie des associations syndicales, ces associations en paieront la valeur; mais ils ne doivent pas, sans participer aux dépenses, profiter des travaux qu'on ne peut exécuter sans qu'ils en profitent.

11° Servitudes nécessaires pour avoir certaines utilités : air, lumière, liberté du chez soi, etc.....

Des conflits inévitables naissent entre propriétaires voisins pour la perception de ces utilités diverses: de là la nécessité pour le législateur de régler leurs rapports.

Ce règlement consiste en des gênes apportées à la liberté de construire ou de planter.

1. Voyons d'abord les limites apportées à la liberté de construire. Le propriétaire d'un immeuble peut retirer du fonds voisin de la lumière, de l'air; il peut y voir, y jeter des objets, y passer même. Mais ce qui est possible d'après la nature des choses, en vertu de la situation respective des deux héritages, est-il légal ?

Le législateur a constaté qu'en fait, la liberté illimitée des propriétaires ferait naître des conflits; il a donc limité leur droit. Son point de départ a été de distinguer les jours et les vues.

Les jours, d'après notre loi positive, sont des ouvertures destinées seulement à prendre, de la lumière pour éclairer un appartement, mais non pour prendre de l'air, voir, jeter des objets ou passer aussi ces ouvertures sont à verre dormant et grillées, c'est-à-dire fermées par des vitres qu'on ne peut ouvrir.

Les vues ou fenêtres sont au contraire des ouvertures qui permettent de prendre de l'air avec de la lumière, qu'on peut ouvrir par conséquent, par lesquelles on pourrait passer ou jeter des objets.

Quelquefois le Code lui-même et les praticiens emploient indifféremment l'une des expressions pour l'autre; mais les faits ou les droits distincts qu'elles signifient habituellement ne doivent jamais être confondus.

Un propriétaire ne peut avoir dans le mur mitoyen ni jours ni vues (675).

Quand le mur n'est pas mitoyen, son propriétaire peut toujours y ouvrir des jours; mais les mailles du treillis doivent avoir un décimètre d'ouverture au plus, et ils doivent être à une certaine hauteur à partir du sol: 26 décimètres au rez-de-chaussée, 19 décimètres aux étages supérieurs. La hauteur est plus grande au rez-de-chaussée, parce qu'on y habite plus souvent, qu'on y a plus facilement des moyens, échelles ou autres, de s'élever pour regarder à travers le jour chez le voisin (676).

Le propriétaire d'un mur qui n'est pas mitoyen peut-il y ouvrir des vues ou fenêtres? Ici le législateur a encore été plus rigoureux. Derrière une fenêtre, derrière des rideaux, il y a plus souvent des curieux: or, dit un vieux proverbe: « On aime mieux avoir sur soi les pieds que les yeux de son voisin. »

Donc, si les fenêtres qu'ouvre le propriétaire dans son mur sont des vues droites, des vues d'aspect, il doit y avoir au moins 19 décimètres entre le parement extérieur du mur et l'héritage du voisin' (677, 678). La vue est droite quand, de sa fenêtre, l'habitant de la maison peut voir de face ce qui se passe chez le voisin. Les vues obliques sont celles qui ne permettent pas de voir le fonds voisin du lieu où l'on est sans tourner la tête. La fenêtre oblique peut être ouverte à la distance de 6 décimètres seulement, parce qu'elle est en effet bien moins gênante pour le voisin (679).

Dans tous les cas, le voisin du propriétaire qui a légalement ouvert des jours ou des vues peut incontestablement planter, bâtir, élever un mur à la ligne séparative. Qu'il gêne ainsi le propriétaire des jours ou des vues, peu importe; il use lui-même de son droit de propriétaire, qui est resté entier.

2o Voyons maintenant les gênes apportées à la faculté de planter. Les pieux, haies sèches, clôtures en planches, peuvent être posés à la ligne séparative. Quant aux haies vives et aux arbres, la loi, à cause de l'inconvénient que donnent et l'ombre et les racines, exige qu'ils soient plantés ou semés à une certaine distance de la ligne séparative.

S'il

y a

des règlements ou des usages locaux constants et reconnus qui fixent la distance, on les appliquera.

S'il n'y en a pas, alors on plantera les arbres à haute tige à la distance de 2 mètres; quant aux haies et autres arbres, on ne pourra les planter qu'à la distance d'un demi-mètre (671).

Si les branches de l'arbre planté à la distance voulue poussent au delà de la ligne séparative et s'étendent sur le fonds du voisin, celui-ci peut contraindre le propriétaire de l'arbre à les couper; mais il.ne peut le faire lui-même, la loi craint qu'il n'élague en temps inopportun, qu'il ne déshonore l'arbre.

Si ce sont des racines, comme elles sont une gène plus immédiate pour le voisin, qu'elles empêchent peut-être de labourer, et que d'ailleurs elles repoussent plus facilement, ce voisin peut les couper luimême jusqu'à la ligne séparative (672).

La constitution de la propriété d'après la législation positive nous paraît donc justifiée dans son principe: c'est un droit limité. L'étude que nous venons de faire de ces limites, c'est-à-dire, de ce que permet et de ce que défend le droit de propriété, cette étude, quoique bien sommaire, nous a montré aussi qu'en général l'œuvre de notre législateur n'est pas absolument mauvaise, comme certains publicistes qui n'étudient pas toujours les faits veulent bien le dire en tout cas, s'il y a beaucoup de réformes à faire, et nous croyons qu'il y en a, qu'on les formule, qu'on les obtienne, au lieu de se borner à de vaines critiques, trop absolues.

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Voici deux de ces critiques sans fondement 1° le droit de propriété est présenté par nos Codes comme absolu et illimité: C'est odieux, disent les écoles socialistes, parce que l'intérêt de quelques-uns qui ont accaparé les biens l'emporte sur l'intérêt de tous; 2o Il est limité et restreint, disent au contraire certains économistes, c'est antisocial, le droit du propriétaire est sacré et inviolable.

Qu'on étudie la loi, non pas profondément et longuement, mais avec un peu d'attention, et l'on jugera de la valeur des reproches qui lui sont adressés.

Le droit du propriétaire, quel que soit son objet, n'est ni illimité ni absolu. Toute personne, acquérant par son travail utile de la valeur, peut avec cette valeur se procurer la propriété de toute utilité et alors elle a un droit de propriété limité par l'impôt, limité par l'expropriation, limité par ce qu'on appelle les servitudes légales, limité enfin toutes les fois qu'il y a un intérêt de justice, un devoir social pour le propriétaire à s'arrêter dans l'exercice de sa liberté de propriétaire. Quant aux quelques économistes qui critiquent la loi parce qu'elle limiterait un droit qui doit rester inviolable, ils confondent l'objet de

l'économie politique avec l'objet du droit. La propriété reste parfaitement inviolable pour le législateur; il la protége, il frappe de sanctions sévères ceux qui y portent atteinte; mais quand il y a conflit entre le droit du propriétaire et le droit d'autrui, il indique, comme c'est son devoir pour maintenir l'ordre social, la limite de la liberté des deux parties, en les empêchant d'empiéter l'une sur l'autre; il maintient l'ordre, il dit ce qui est dû à chacun, ce qui est juste. Il faudrait que nos économistes, pour être dans le vrai, démontrassent que toutes les limites apportées par l'impôt, par l'expropriation, par la réserve, par la forme des contrats, par les servitudes légales, sont injustes. Or, si la démonstration est possible pour quelques détails, elle est impossible pour l'ensemble.

La propriété, dans son principe et dans son organisation positive, est donc justifiée de ces reproches vagues, faits par des ennemis de son existence ou par des amis trop zélés, qui lui font autant de mal en exagérant ses droits.

DEUXIÈME CLASSE.

DES DROITS MORAUX OU QUI NE FONT PAS PARTIE DE NOTRE PATRIMOINE.

35

En se plaçant au point de vue de leur but, la deuxième classe comprend les droits qui ont trait à la direction de la personne.

Nous avons dit que, suivant leur but, les droits se divisent en deux classes : les uns sont la propriété et ses démembrements avec toutes les créances; les autres, purement moraux en ce sens que leur objet n'est point évaluable en argent, ont pour but la direction des per

sonnes.

Les droits de propriété et de créance sont des manifestations de la liberté humaine; inviolables comme elle, ils constituent les diverses facultés, sanctionnées par la loi, de retirer des choses ou des personnes, avec ou sans préférence, certaines utilités naturelles ou sociales consistant en produits ou en services.

Les autres droits, les droits que nous appelons moraux, sont des expressions différentes de cette même liberté le but poursuivi par l'homme qui les exerce n'est pas dans les utilités et leurs appro

priations à nos besoins si variés; c'est sa conservation, son développement et son amélioration qu'il a en vue.

Individu, membre d'une famille, citoyen d'une nation, l'homme a des devoirs nombreux: vivre, travailler, s'instruire, se moraliser; connaître, aimer et servir la vérité donc penser et agir, prier et user des pratiques religieuses, se conserver comme individu et comme espèce, et par conséquent se marier et respecter tous les devoirs qu'impose la famille, contribuer aux charges sociales et obéir aux lois du pays dont on fait partie : tel est, en abrégé, l'ensemble de nos devoirs.

Les uns nous sont imposés par Dieu ou par la société, les autres. sont volontairement embrassés par nous.

Travailler et s'instruire dans la mesure du possible ou défendre son pays voilà des exemples de devoirs forcés, légaux ou simplement moraux. Au contraire, sans contrainte, l'homme peut se marier ou rester célibataire, accepter ou refuser les mandats politiques que lui offre la confiance de ses concitoyens.

Eh bien, l'accomplissement de ces devoirs, que nous indiquons sommairement, parce qu'il est impossible d'en dire le détail, est un autre but offert à l'activité de l'homme. Il a la liberté ou le droit, n'oublions pas que c'est la même chose, de faire tout ce qui est nécessaire pour les pratiquer.

Il a le devoir de vivre, donc le droit de défendre sa vie ; il doit s'instruire, donc il a la liberté scientifique; il se marie, donc il a tous droits et puissances nécessaires à l'accomplissement des devoirs dérivés du mariage, etc.

La propriété et le droit de créance mettent dans le patrimoine de l'homme l'utilité, la valeur, le capital. Or, ces utilités, ces valeurs, ces capitaux ne sont, comme les droits dont ils sont les objets, que des conditions, des instruments, des moyens d'accomplir nos devoirs.

Ils ne sont pas la fin dernière de nos efforts.

Mais leur importance est inappréciable. Nous l'avons montré longuement: l'homme ne peut assurer sa vie, fonder une famille, élever ses enfants, contribuer au fonctionnement des rouages sociaux, sans le respect de ces droits de propriété ou de créance. Il n'y a pas un devoir individuel, de famille ou politique, qui puisse être rempli sans ce temporel.

Au contraire, les droits dont il nous reste à parler sont des libertés directes d'accomplir tel ou tel devoir individuel, de famille ou politique, nettement déterminé ainsi la liberté de travailler, la liberté d'élever ses enfants, la liberté de voter. Travailler, élever ses enfants, prendre dans la direction des affaires politiques la part que nous impose la constitution de notre pays, sont des devoirs volontaires ou

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