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l'un à vingt ans pèsera la valeur de son vote politique, un autre à trente ans donnera le même vote en aveugle.

Les différences entre les hommes résultent de l'intelligence native, de l'instruction, de la réflexion, du travail, etc., faits multiples qui avancent ou retardent, avec le développement intellectuel, l'âge de la responsabilité.

Si donc la loi naturelle était la loi positive, des multitudes de procès seraient possibles chaque convention (et le nombre en est immense) pourrait donner lieu à une demande en nullité faite par l'un des contractants, alléguant un développement insuffisant de son intelligence ou de sa volonté. Il faudrait tant de juges, que la moitié de la France serait occupée à juger les actes de l'autre moitié. Et encore, la plupart des procès seraient-ils en passe d'ètre fort mal résolus, car chaque magistrat devrait être doué d'une sorte d'infaillibilité pour apprécier ce point délicat du développement intellectuel suffisant. Le hasard et l'arbitraire trancheraient ces milliers de procès soulevés par le regret ou la mauvaise foi des contractants. Le législateur, ici encore, établit une règle positive: elle empêche ces procès sans fin et sans solution possible, elle tend à rendre plus difficiles ou plus rares les erreurs du juge. L'homme est capable à vingt et un ans, dit la loi française. Les actes par lui faits avant cet åge sont annulables; faits après, ils sont valables (488, 1125, 1304).

Ainsi la loi naturelle est très-souvent comme une règle absolue, mais abstraite, que le législateur ne peut réaliser dans la pratique. Le jurisconsulte qui ne part pas de l'observation des faits et recherche les lois de la justice idéale, travaille en quelque sorte dans le vide. Il imagine des personnes libres, sans passions, sans préjugés, sans maladies morales, sans ignorance....... et il établit par voie de raisonnement et de syllogisme leurs relations et les conditions de l'ordre dans une société parfaite. Le législateur praticien et véritablement philosophe sort de l'abstrait et fait des lois possibles pour une société d'hommes vivants, par conséquent plus ou moins intelligents, plus ou moins corrompus, plus ou moins ignorants, plus ou moins laborieux. La loi naturelle donne des formules dont il cherchera à rapprocher sans cesse ses règles positives, au fur et à mesure que juges et justiciables s'amélioreront, mais sans pouvoir jamais réaliser la perfection de cette loi absolue.

Il faut bien se rendre compte en effet de ce qu'est au fond une loi positive: c'est non-seulement une direction de la volonté humaine, mais c'est encore, c'est surtout un régulateur, une machine qui a pour but de permettre aux magistrats de mieux appliquer la justice. La loi ne peut être séparée des hommes qui doivent y obéir, de la magistra

ture organisée qui doit l'interpréter et l'appliquer. La loi est indivisible avec le magistrat. On a dit : La loi, c'est le magistrat muet, le magistrat, c'est la loi qui vit et parle. Oui, mais alors le tout est une institution, une véritable machine, créée pour rendre le plus de justice possible. Il en est de cette machine comme de toute machine; son rendement n'est jamais égal aux possibilités théoriques, à cause de l'imperfection des rouages divers qui la composent.

Cette nécessité d'adapter, si l'on veut en tirer une règle positive, la loi naturelle absolue et immuable, quand elle est connue, aux mœurs, aux climats, aux traditions, aux idées, aux religions qui modifient l'homme qu'elle est appelée à gouverner, explique et justifie la diversité des législations qui gouvernent les nations civilisées. On n'a pas le droit d'être sceptique avec Pascal parce qu'il y a une loi positive en Espagne qui est autre qu'une loi française réglant un même acte.

De ces différences entre le droit naturel et le droit positif, du peu d'étendue de cette dernière législation, de son imperfection forcée, de sa mobilité, de l'inefficacité relative de sa sanction, qui n'atteint pas aussi sûrement le coupable que le remords, il résulte qu'il faut ne jamais oublier ces autres lois qui dirigent l'homme toujours, partout, en tout.

La religion, la morale, la science, la philosophie, entrent pour une part considérable dans la direction de la conduite humaine. Ceux qui ont quelque expérience de la vie sont convaincus qu'un peuple qui n'aurait plus que les lois positives pour le conduire, qui serait sans foi, sans moralité, sans savoir et sans raison, serait un peuple perdu. Quand les mœurs tombent, les lois se multiplient, précisément parce qu'il faut une augmentation de la contrainte légale pour diriger celui qui n'a plus d'autre frein; mais alors tout est bien près de finir, car les hommes n'ont plus le goût ni le sens de l'obéissance, et les lois elles-mêmes deviennent impuissantes à produire la justice, quoiqu'elles n'aient que ce but.

J'ai quelquefois entendu de vieux magistrats dire avec amertume que les lois et les gendarmes leur paraissaient ressembler à ces mannequins qu'on place dans un champ; les oiseaux craignent d'approcher et n'osent manger le grain semé. L'efficacité de l'épouvantail consiste bien plutôt dans l'effroi qu'il inspire à beaucoup que dans le mal réel qu'il cause aux audacieux, qu'il n'arrête pas. Ainsi les lois et le pouvoir judiciaire font plus de bien par la crainte réelle qu'ils causent à ceux qui sont tentés d'être fripons que par la justice qu'ils réalisent.

C'est exagéré. Il ne faut pas croire à ce peu d'importance relative des lois positives comparées aux autres principes qui guident l'homme vers le bien.

Mais ce qui donne souvent ce scepticisme au praticien vieilli dans les affaires, ce sont les révélations que lui apporte l'expérience. On ne voit que trop d'hommes violer l'esprit de la loi, se servir même d'elle pour léser autrui. Ainsi un héritier avide demandera la nullité d'un testament pour un vice de forme, quand il sait que son auteur avait la volonté de faire la libéralité qu'il contient (1001); une femme mariée demandera la nullité d'un acte parfaitement réfléchi, sous le prétexte légal qu'elle n'avait pas l'autorisation de son mari dans des formes voulues, alors que son mari est l'inspirateur de l'acte (217, 225); un plaideur fera exécuter une transaction quand il sait que son cocontractant ne l'a guère comprise, sans que cependant il y ait eu dol ou violence pour vicier son consentement (388); un possesseur invoquera la prescription pour garder un bien qu'il sait n'être pas à lui (2262, 2265), etc.

Est-ce que la loi positive est mauvaise ?

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Non elle ne l'est pas ; mais mauvais sont les hommes qui se servent injustement d'une loi que le législateur met entre leurs mains pour les protéger, et dont ils se servent pour voler. La loi, en imposant des formes au testateur, l'a fait pour avoir une preuve certaine de sa volonté, pour qu'on ne pût pas lui prêter des intentions qu'il n'avait pas si l'on avait pu prouver par témoins la dernière volonté d'un mourant, que de fraudes possibles! Son but était de protéger la femme et d'assurer l'autorité du mari, d'empêcher qu'on ne pût toujours attaquer les contrats, de conserver sa propriété au possesseur qui avait perdu les preuves de son droit, ce qui se conçoit après un long temps écoulé. Voilà ce qu'elle voulait, voilà ce qu'elle veut.

Ce n'est pas la loi qui est mauvaise. Elle n'est pas mauvaise non plus la loi qui organise la puissance paternelle, qui donne à un homme le droit d'élire, parce que le père usera sciemment mal de son pouvoir, parce que l'électeur sciemment nommera un député détestable pour entretenir l'anarchie dont doit profiter son parti. Ce qui est mauvais, encore une fois, ce sont les hommes, non les lois, qui sont faites pour leur donner des moyens efficaces d'accomplir leurs devoirs ou de se défendre contre l'injustice.

Tout nous montre donc qu'il faut connaître la loi, son esprit et non pas seulement sa lettre ; mais surtout qu'il faut aussi être honnète et moral pour n'en pas faire un instrument de mal. On ne doit pas se lasser de le répéter: quand le luxe, la cupidité, le jeu, l'oisiveté, la débauche, l'orgueil effréné s'emparent d'un peuple, il n'a plus le goût et le sens des lois; il les tourne, il les fausse, il les viole, souvent même lorsqu'il en respecte encore la lettre. C'est alors que les lois sont inefficaces, et le pouvoir social qui les fait et les applique, impuissant. Grâce à Dieu, nous n'en sommes pas là.

6

Organisation du pouvoir législatif.

On comprend très-bien, au moins dans l'ordre du droit privé et dans certains cas, que le pouvoir législatif soit exercé directement par la nation.

En effet, la volonté constante de l'ensemble des membres de la nation de donner à telle difficulté juridique une solution toujours la même, cette habitude constatée par des témoignages ou par des tribunaux s'appelle la coutume. La coutume est un mode naturel, le plus ancien, le plus longtemps pratique, de faire les lois.

L'iuconvénient qu'elle présente dans une nation de quelque étendue est la difficulté d'obtenir la certitude et l'unité de la législation. Il arrive toujours un moment où la volonté populaire a des interprètes plus déterminés. Quand le système de la monarchie absolue disparaît, le peuple met aux mains de ses représentants sinon tout le pouvoir, au moins la principale part du pouvoir de faire des lois.

Alors la coutume n'a plus force de loi qu'exceptionnellement et dans les cas indiqués par le législateur (663, 1159, 1873).

Depuis 1789, le pouvoir législatif a été exercé chez nous par des assemblées seules ou par des assemblées et le pouvoir exécutif réunis. Très-fréquemment, le pouvoir législatif fut donné exclusivement à des assemblées. Nous avons eu ainsi successivement :

Les Etats généraux, réunis le 5 mai 1789, et se transformant en Assemblée nationale constituante;

L'Assemblée législative, qui lui succéda : elle abolit la royauté et fut remplacée par la Convention nationale.

Vint ensuite le système des deux Assemblées, électives toutes deux, avec la constitution directoriale: le conseil des Anciens et le conseil des Cinq-Cents. Les lois de cette époque sont peut-être les plus soignées de notre législation.

Le pouvoir législatif, nominalement au moins, appartint encore exclusivement à des Assemblées sous le Consulat et le premier Empire c'étaient le Corps législatif, le Sénat et le Tribunat, l'exerçant chacun dans des proportions savamment et laborieusement combinées. Conformément au principe de la division des pouvoirs, le chef du pouvoir exécutif, premier consul ou empereur, n'avait, en vertu de la constitution, aucune part dans la confection de la loi. Mais le droit et son application ne sont pas toujours d'accord : jamais le souverain n'exerça une influence aussi grande sur le vote de

la loi. C'est alors que furent faits nos principaux Codes: civil, de procédure, de commerce, etc.

Avec les royautés de 1815, de 1830 et avec le second Empire, le souverain eut une part du pouvoir législatif. Il y eut alors deux Assemblées : l'une, appelée Chambre des députés de 1815 à 1818, ou Corps législatif de 1852 à 1870; l'autre, Chambre des pairs ou Sénat. Députés ou représentants nommés à l'élection; pairs et sénateurs nommés par le chef du pouvoir exécutif. On appelait sanction la part que le chef du pouvoir exécutif prenait à la confection de la loi.

Le pouvoir législatif, pendant la république de 1848 et dans les six ans qui ont suivi la guerre fatale de 1870, a été exercé par une assemblée nationale unique.

Notre constitution actuelle se compose en réalité de plusieurs lois constitutionnelles votées par l'assemblée nationale de 1871, le 24, le 25 février, le 16 juillet 1875, de lois qui les ont modifiées notamment celle du 14 août 1884, délibérée par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Congrès. En réunissant ces lois aux lois électorales des 9-10 décembre 1884 sur le Sénat, du 17 juin 1885 sur la Chambre des députés, on peut se rendre compte de notre organisation constitutionnelle.

L'État est constitué en République la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision.

Le pouvoir exécutif réside dans le chef du gouvernement qui prend le nom de Président de la République.

Quant au pouvoir législatif, le seul dont nous nous occupons ici, il est exercé par deux assemblées le Sénat et la Chambre des députés.

Le Sénat se compose de trois cents membres, élus par les départements et les colonies.

Ils sont tous nommés par le même mode: il n'y aura plus de nouveaux sénateurs inamovibles.

La loi de 1884 fixe le nombre des sénateurs qu'auront chaque département et chaque colonie: quelques départements ont, en vertu de cette loi, un sénateur en plus, ils l'éliront au fur et à mesure qu'il y aura une vacance par la mort ou la démission des inamovibles encore existants; le mandat de ce sénateur nouveau expirera en même temps que celui des autres sénateurs du même département.

C'est un collège électoral spécial qui nomme les sénateurs. Il est composé, dans chaque département, de quatre éléments: 1° les députés du département; 2° ses conseillers généraux; 3° ses conseillers d'arrondissement; 4° et un certain nombre de délégués communaux; ces délégués ou électeurs sénatoriaux sont nommés par le conseil

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