Page images
PDF
EPUB

2° Viennent les lois administratives.

Une de ces lois peut donner au chef du pouvoir exécutif, à un préfet ou à un autre agent de l'administration soit la faculté de passer un contrat entre un particulier et l'administration, nom que prend alors l'État représenté par ses agents, soit la faculté de prendre, au moyen d'un décret ou d'un arrêté, une mesure que demande l'intérêt général. Si le droit acquis d'un particulier est violé par une de ses mesures, si les formalités voulues par la loi pour sauvegarder l'intérêt privé n'ont pas été accomplies, si le contrat administratif donne lieu à des difficultés d'interprétation ou d'exécution, une juridiction spéciale,

dite administrative, a été créée pour juger le procès.

Elle est représentée tantôt par un tribunal, composé de plusieurs juges, tantôt par un juge unique.

Le conseil d'Etat constitue le tribunal supérieur.

Il est tribunal en premier et dernier ressort, quand une décision d'un ministre est attaquée, quand un acte du chef du pouvoir exécutif lui est déféré ainsi le décret du président de la République de janvier 1852 confisquant les biens de la famille d'Orléans ne put être déféré qu'au conseil d'Etat.

Il est tribunal d'appel : il connaît alors des sentences rendues par les conseils de préfecture, les ministres, les préfets et les maires. Il est enfin tribunal de cassation dans les cas prévus par les lois spéciales.

Le conseil de préfecture est tribunal inférieur: mais il n'a de compétence que pour les causes qui lui sont déférées en vertu d'un texte de loi. Ainsi : 1o l'exécution et l'interprétation des marchés passés entre un entrepreneur et l'administration; 2° les contraventions de grande voirie, etc.

C'est donc une juridiction exceptionnelle. Aujourd'hui on admet que la juridiction de droit commun est celle du ministre, devant qui il faut porter tout procès administratif en l'absence d'un texte de loi l'attribuant à un autre juge. Les préfets et sous-préfets, les maires enfin, dans quelques cas fort rares, sont juges administratifs.

Comment sont nommés les juges administratifs et quelles garanties les justiciables ont-ils de leur instruction, de leur impartialité et de leur désintéressement?

Les juges les plus élevés, les membres du Conseil d'État, sont nommés par le président de la République. Le Conseil d'Etat a un pouvoir propre ses arrêtés dans l'ordre judiciaire, c'est-à-dire au contentieux, sont souverains; ce ne sont plus des décisions soumises, comme autrefois, à l'approbation du chef de l'État, qui pouvait rendre des décrets contraires en ne les approuvant pas (L. 24 mai 1872, 25 février 1875).

Quant aux juges inférieurs : préfets et sous-préfets, ils sont nommés et révoqués par le bon plaisir du chef de l'Etat, qui les prend ou bon lui semble, faisant d'un littérateur un préfet et d'un commerçant un sous-préfet. Les membres des conseils de préfecture sont choisis et renvoyés de même; mais le candidat doit avoir vingt-cinq ans accomplis, être licencié en droit ou avoir rempli pendant dix ans au moins des fonctions rétribuées dans l'ordre administratif ou judiciaire, ou avoir été pendant ce temps conseiller général ou maire (L. du 21 juin 1865, art. 2 et 3). Du reste, les fonctions de conseiller sont incompatibles avec tout autre emploi public et avec l'exercice d'une profession.

Presque partout à l'étranger, surtout dans les pays libres, il n'y a pas de justice administrative : les affaires portées chez nous devant cette juridiction exceptionnelle sont soumises au jugement des magistrats ordinaires dont nous avons parlé.

On croit, ailleurs qu'en France, qu'il n'est pas bon que les administrateurs soient juges et parties dans leur propre cause en quelque sorte, puisque, si le particulier dont le droit est violé par un acte administratif veut obtenir justice, il doit s'adresser en général à ceux qui ont violé la loi ou aux membres de la mème administration. Un abus plus grand était signalé.

Il y a des actes qui sont en quelque sorte sur les confins du droit privé et du droit administratif : un procès s'élève-t-il à leur occasion, il est presque toujours porté devant la juridiction ordinaire par le particulier lésé, qui a plus de confiance dans ces juges, selon lui plus compétents, plus habitués à juger, plus indépendants. Eh bien ! l'administration a à son service une procédure en vertu de laquelle le tribunal de droit commun qu'on a saisi de l'affaire est obligé de s'arrêter elle soulève un confiit. On portait autrefois le conflit au Conseil d'Etat, partial, croyait-on souvent à tort, envers l'administration.

Aujourd'hui, il y a un tribunal des conflits spécial : ses membres sont trois conseillers d'État nommés par leurs collègues et trois conseillers à la cour de cassation désignés aussi par leurs collègues; ces six membres nomment à la majorité deux autres juges et deux suppléants. Le tribunal est présidé par le garde des sceaux, ministre de la justice (L. 21 mai 1872).

Quoi qu'il en soit, la justice administrative est maintenue et défendue chez nous par les raisons suivantes :

Il faut des connaissances spéciales très diverses pour être bon juge des questions administratives: donc il faut des juges spéciaux.

On doit craindre que les juges ordinaires, habitués à régler et à protéger les droits privés, ne soient trop disposés, en cas de doute, à

leur sacrifier les droits de l'État, représentés par l'administration. Les procès administratifs demandent des solutions urgentes : les tribunaux ordinaires, habitués aux formes lentes de la procédure civile, ne donneraient pas cet avantage.

Enfin, on a osé écrire des raisons comme celles-ci : « Les juges de droit commun se pervertiraient l'esprit parce qu'ils obéiraient aux habitudes administratives, qu'ils transporteraient dans les affaires ordinaires.... Ou bien la justice administrative est bonne, parce que nous avons eu avant 89 beaucoup de tribunaux spéciaux de cet ordre. »

La Cour des comptes est une juridiction administrative particulière. Les magistrats sont inamovibles; en cela, elle se sépare de la justice administrative proprement dite, car les membres de cette dernière magistrature sont entre les mains du pouvoir.

La Cour des comptes a une mission bien limitée. Les comptes des payeurs et des comptables de tous les ordres lui sont soumis : elle vérifie leur exactitude, constate que tous les payements faits l'ont été, par exemple, en exécution de mandats réguliers. En conséquence, elle apure tout compte vérifié, décharge le comptable et dégage sa personne et ses biens hypothéqués à l'État.

Mais là s'arrête son droit. Un ministre fait présenter un mandat, c'est-à-dire un ordre de payer à un payeur; celui-ci allègue que le ministre ordonnateur a dépassé ses crédits. Le ministre insiste, et par écrit requiert le payeur d'avoir à acquitter le mandat. Le payeur doit obéir, et la Cour des comptes est obligée de tenir la dépense pour régulière. L'ordonnateur, le ministre, n'est responsable que devant le pouvoir législatif, qui tient la bourse de la nation, et accorde en conséquence ou refuse un bill d'indemnité au ministre qui a ordonné, sans droit, la dépense.

3. Lois de l'ordre civil, commercial ou pénal.

Les règles principales de l'organisation des tribunaux chargés d'appliquer ces lois aux faits particuliers ont été formulées dans la loi célèbre du 24 août 1790.

Il y a deux sortes de juridictions: l'une de droit commun ou ordinaire, attribuée en première instance aux tribunaux civils d'arrondissement, et en appel à des tribunaux supérieurs appelés cours d'appel ou cours nationales, dont le ressort comprend plusieurs départements; l'autre, d'exception, comprenant les affaires attribuées expressément par la loi à certains tribunaux : justice de paix, tribunal de commerce, etc.

Nous dirons un mot des tribunaux ordinaires et des principaux tribunaux d'exception, après avoir indiqué sommairement les principes qui ont présidé à l'organisation générale de la justice.

Voici ces principes :

Les juges civils et les juges criminels sont les mêmes.

On obtient ce résultat par une opération qu'on appelle le roulement, et qui se fait annuellement. Les juges qui, pendant une année, ont jugé des affaires civiles ou privées, sont portés en vertu du roulement dans une autre section du tribunal, l'année suivante, et jugent les affaires correctionnelles ou criminelles.

L'avantage qui résulte de l'application de ce premier principe est très-grand.

Les magistrats civils, en effet, qui jugent exclusivement des affaires privées, ont une tendance à exagérer l'importance à donner aux formes de procédure : ils deviendraient, en y restant attachés, un peu lents, trop méticuleux.

Les juges criminels, au contraire, attachent plus d'importance au fond qu'à la forme; de là une tendance à trop écouter les impressions d'audience, ils sont plus exposés aux surprises, parce qu'ils les craigent moins.

En alternant les deux fonctions, le juge acquiert les qualités qui lui manquent et atténue les défauts d'un exercice exclusif.

Les juges sont inamovibles.

Une fois nommés, ils ne peuvent plus être révoqués par le Pouvoir, et, à ce point de vue, ils ont de l'indépendance, qualité essentielle chez un magistrat. Cette indépendance n'est pas absolue, puisque le Pouvoir peut toujours leur donner de l'avancement.

Les jugements doivent toujours être motivés.

Les juges sont obligés d'indiquer les motifs, tirés de la loi ou des faits, de leur décision appelée arrêt si elle émane d'une cour, jugement si elle émane d'une autre juridiction. Ces motifs, appelés attendus s'il s'agit d'un jugement, considérants s'il s'agit d'un arrêt, précèdent la décision : Considérant que, attendu que... le tribunal le condamne, etc.

Cette nécessité de motiver leurs sentences oblige les juges à examiner les faits, à étudier la loi qu'ils appliquent, et c'est une excellente précaution contre les suggestions de la passion et les tentations de l'arbitraire, si favorables à la paresse, à l'indifférence ou à l'injustice. Les juges ne peuvent rendre d'arrêts de règlement.

On appelle ainsi une décision dans laquelle le juge, après avoir tranché le débat entre les deux parties ou plaideurs, déclare que désormais, si les mêmes faits donnent lieu à un procès semblable, il le jugera de la même manière (5. C.).

Rendre un pareil jugement, c'est faire la loi, ce qui est empiéter sur le domaine législatif; pour que les deux pouvoirs restent indépendants et distincts, il faut qu'ils n'empiètent pas l'un sur l'autre.

A ce principe s'en rattache un autre d'une grande importance. La loi est une vérité générale applicable à tous; au contraire, le jugement n'est qu'une vérité relative, c'est une vérité pour les deux plaideurs entre lesquels il a été rendu : « L'autorité de la chose juguée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du jugement (1351). » Cependant, en fait, les jugements ont une grande et quelquefois une décisive portée doctrinale. Un tribunal tient toujours grand compte des précédents judiciaires, et un avocat invoque une autorité considérable quand il invoque la jurisprudence.

On appelle Jurisprudence l'habitude constante d'un tribunal de donner la même solution à la même question, au même problème jurique. De même qu'un tribunal a sa jurisprudence, de même, en étudiant les décisions de l'ensemble des tribunaux et cours, on dégage une solution qui s'impose et qui constitue une jurisprudence générale. Tout justiciable a droit à deux degrés de juridiction.

C'est ainsi qu'il y a des juges inférieurs : ils peuvent s'être trompés, avoir mal compris l'affaire; il y a bien des causes d'erreur. Le perdant en appelle au magistrat réputé supérieur par l'âge, le talent, l'expérience. Il y a d'ailleurs plus de discussion dans les tribunaux d'appel, composés de plus de membres. Il n'y a d'exception à cette règle que si l'affaire est trop peu importante, ou si le législateur l'a fait passer par une série d'épreuves et de garanties qui font espérer une solution plus sûre.

Mais là s'arrête le droit du justiciable. Deux degrés, deux examens sont suffisants; il ne faut pas, en éternisant les procès, ruiner les plaideurs, qui ne sont jamais satisfaits. Dans notre ancienne France, on pouvait quelquefois faire passer un procès devant six ou sept tribunaux de degrés différents on voyait alors des procès qui duraient deux ou trois siècles.

Il doit y avoir publicité des audiences, des rapports et des jugements.

La publicité est comme un sel qui empêche bien des corruptions. Dans le pouvoir judiciaire, elle constitue un contrôle incessant, force ainsi le magistrat à l'attention, à la modération, à la mesure vis-à-vis des parties: elle empêche par la crainte de l'opinion les passions de se donner libre champ, en même temps qu'elle écarte le danger de l'arbitraire.

Ce qui n'empêche pas le huis-clos, quand les bonnes mœurs sont intéressées à ce qu'il n'y ait pas de débat scandaleux dont la publicité ferait plus de mal que le fait délictueux lui-même. Cette expression signifie que les huis, vieux mot qui signifie portes, sont fermés et que le public n'est pas admis à l'audience. Mais même alors le jugement est public, si les débats ne le sont pas.

« PreviousContinue »