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Éléments de tout problème juridique.

Quand on analyse les éléments constitutifs de tout problème juridique, on reconnaît qu'il n'y en a qu'un nombre restreint, toujours les mêmes, si compliqué que paraisse le problème.

Tout droit apparaît d'abord sous l'une de ses deux faces possibles, suivant qu'il est déterminateur ou sanctionnateur.

Déterminateur, un droit est une liberté d'action dans des limites dont la loi tracé le cercle.

La puissance paternelle, la propriété, la créance, la faculté de voter, donnent au père, au propriétaire, au créancier, au citoyen la liberté de faire des actes déterminés. Le père pourra garder ou corriger son enfant, le propriétaire retirer de sa chose toute l'utilité légale qu'elle peut donner, le créancier exiger du débiteur le paiement de ce qui lui est dû, le citoyen choisir pour le gouvernement de l'État, du département ou de sa commune le mandataire chargé de le repré

senter.

Sanctionnateur, le droit apparaît sous une autre face : il est une liberté protégée, c'est-à-dire qu'il consiste dans la faculté qu'a l'ayant droit de faire appel au pouvoir social pour obtenir par son intervention le respect de son droit attaqué, l'exécution de son droit méconnu, la réparation du dommage causé par son droit violé. Le droit se fait actif, et on appelle, en effet, action la faculté d'en appeler au pouvoir social pour obtenir les sanctions qui assurent l'exécution forcée du droit ramener au logis paternel l'enfant échappé, faire vendre les biens du débiteur récalcitrant pour solder le créancier avec le prix de la vente, arracher la possession au détenteur qui garde sans droit la chose du propriétaire, assurer la liberté du vole, etc.

Les éléments qu'on peut appeler éléments intimes sont les personnes, le droit qui les unit, le fait qui a donné lieu à ce rapport juridique entre les personnes; ces éléments que l'analyse dégage dans tout problème juridique constituent le droit déterminateur.

La personne est l'être considéré comme susceptible d'être le sujet actif ou passif d'un droit: on peut l'appeler ayant droit; un créancier est sujet actif, son débiteur est sujet passif.

Le droit est le rapport qui unit le sujet actif au sujet passif, et permet au premier de demander l'intervention du pouvoir social pour obtenir du second ce qu'il prétend lui être dù.

Le troisième élément est le fait qui crée, modifie, transfère ou éteint le rapport qui unit les deux personnes.

Dans notre exemple de la vente du cheval, l'acheteur se prétend créancier, c'est-à-dire sujet actif; le vendeur serait sujet passif ou débiteur; le droit, ou lien juridique qui les unit, est la faculté que l'acheteur aurait de réclamer 1,000 francs au vendeur, et le fait qui aurait donné naissance au droit de l'acheteur est la nullité de la vente, entraînant la nullité du paiement.

Le sujet passif d'un droit reste quelquefois latent. J'ai le droit de propriété sur tel cheval, sur tel immeuble; je suis propriétaire, sujet actif. Où est le sujet passif? Il n'apparaît pas, ou plutôt c'est tout le monde : chacun, en effet, est tenu de respecter mon droit, de me laisser retirer du cheval, de la maison, toute l'utilité qu'en donne la propriété. C'est vrai, mais si le sujet passif est quelquefois latent pour ainsi dire, il n'en est plus de même lorsque le droit devient actif, lorsqu'on le conteste, lorsqu'il y a un problème vivant, c'est-à-dire un procès; alors il faut bien que j'aie un adversaire déterminé: le sujet passif est mon adversaire, le possesseur du cheval, de la maison, qui nie mon droit de propriété ; c'est lui que j'attaque. Je suis demandeur, il est défendeur expressions qui n'ont pas besoin d'être définies.

Il faut bien se rendre compte de ce fait on n'a pas de droit contre une chose. Les choses sont les objets du droit, non les sujets. Une personne seule peut avoir un droit, et elle l'a contre une autre personne. Un droit est une liberté d'action qu'une personne seule peut avoir, c'est une qualité de l'être libre vis-à-vis des autres êtres libres. Sur les choses, nous n'avons que des pouvoirs ; les droits existent contre les hommes, entre hommes. Un droit est une qualité morale et sociale de l'homme, il faut des êtres raisonnables qui en soient les sujets.

Outre ces éléments intimes de tout problème juridique, il en est d'autres qui apparaissent dans le droit sanctionnateur ce sont les sanctions, les preuves et les procédures.

La sanction est le moyen coercitif mis par le législateur à la disposition de celui qui veut obtenir le respect de la loi. L'enfant s'échappe de la maison paternelle : la sanction du droit du père, c'est le gendarme ramenant l'enfant échappé. Le débiteur refuse de payer son créancier la sanction est la saisie des biens du débiteur, qui seront` vendus aux enchères malgré tous les obstacles, afin que le créancier soit payé sur le prix ainsi obtenu. Un homme assassine son semblable: la sanction c'est la peine capitale; le législateur a cru devoir l'infliger au coupable pour rétablir l'ordre et l'équilibre dans la société troublée par un pareil forfait.

Nous étudierons plus loin le détail des sanctions, et, malgré leur variété, nous verrons que la sanction a toujours pour dernier mot l'in-. tervention du gendarme, ou plutôt de la force publique dans ses

formes et dans ses agents divers, procurant, à défaut de l'exécution volontaire, l'exécution forcée de la loi ou la réparation du dommage privé ou social causé par sa violation.

La preuve est un cinquième élément de tout problème juridique. Vous avez un droit, c'est-à-dire une liberté d'action déterminée, du moins vous avez cette prétention. Mais celui contre lequel vous dites avoir ce droit, votre adversaire, votre prétendu débiteur, le défendeur, en nie l'existence : lequel des deux croire? Il n'y a pas de raison pour ajouter foi à l'un plutôt qu'à l'autre, étant donnés la réalité des choses et le droit légitime qu'ont des hommes inconnus au juge d'exiger de lui une croyance égale en la vérité de leurs affirmations: qui croire done? Lequel dit vrai de celui qui affirme avoir un droit ou de celui qui affirme n'y être pas soumis? Comment dégager cette inconnue?

Si les magistrats avaient une intuition infaillible qui leur permit de lire dans la conscience d'autrui, ils démêleraient bien vite qui a le droit il n'en est pas ainsi, il faut donc une preuve.

La preuve, on le voit, ne peut être que la démonstration de l'inconnu. au moyen du connu.

Le connu est ce témoignage de diverses personnes, cet acte signé par Paul, cet aveu échappé à Paul, attestant, reconnaissant ou confessant que Paul est réellement débiteur de Jacques.

On donne donc le nom de preuve à l'opération de la démonstration. Dans un second sens, on donne ce nom à l'instrument, au moyen employé la preuve est alors le fait connu qui sert à démontrer. C'est ainsi que notre Code civil appelle preuves : l'aveu, le témoignage, l'écrit, le serment, qui sont les faits connus servant à trouver l'inconnu.

Vient ensuite l'élément de procédure.

Aucun problème juridique, dont les parties ne trouvent pas la solution dans leur conscience, leur bonne volonté ou leur esprit de sacrifice, ne peut se dénouer sans la procédure.

La procédure est l'ensemble des moyens à employer pour obtenir jugement et, le jugement obtenu, pour arriver à son exécution.

Obtenir jugement du tribunal compétent, civil ou pénal, justice de paix ou tribunal d'arrondissement, cour d'appel ou cour d'assises, tribunal administratif ou tribunal de commerce, peu importe la juridiction, obtenir une sentence des juges compétents, voilà le premier but de la procédure.

La loi fixe le droit de chacun, mais elle ne se contente pas de déterminer ainsi la liberté d'action du citoyen, du père, du propriétaire, du créancier, du fils, etc.; ses règlements seraient purement platoniques sans la sanction, c'est-à-dire sans le moyen d'exécution ou de réparation forcée qu'elle met à la disposition du pouvoir exécutif pour

faire respecter ses dispositions méconnues ou violées. Prononcer la sanction est le devoir du magistrat; la réaliser est celui du pouvoir exécutif, et l'ensemble des moyens à employer pour arriver ainsi à l'exécution du droit constaté par un jugement est le second objet de la I procédure.

Dans sa première partie, la procédure n'est en réalité que la mise en œuvre des preuves pour arriver à convaincre le juge. Il y a des formes pour introduire ces preuves, des fonctionnaires ou des auxiliaires de la justice pour les produire devant elle dans un ordre et sous des formes qui ont pour but d'empêcher les plaideurs hardis de surprendre la foi des magistrats.

Le jugement ou l'arrêt prononçant une sanction, c'est-à-dire un moyen d'exécution forcée, obtenus, il y a une autre procédure à suivre pour mettre en branle non plus le pouvoir judiciaire, mais le pouvoir exécutif, qui a, nous le savons, entre les mains les forces suffisantes pour briser les résistances individuelles ou collectives qui s'opposeraient à l'exécution de la loi, appliquée ainsi après un procès par le pouvoir judiciaire.

Le plan de ce traité est dès lors bien simple. Nous parlerons successivement:

1. Des personnes;

2o Des droits pouvant exister entre les personnes;

3o Des faits exerçant une influence sur les rapports de droit entre les personnes ;

4o Des preuves servant à établir les droits;

5° Des procédures;

6 Des sanctions ou moyens coercitifs employés pour faire exécuter les droits méconnus ou réparer le mal résultat de leur violation.

LIVRE DEUXIÈME

DES PERSONNES

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Il y a d'autres personnes que les personnes naturelles.

La personne, avons nous dit, est l'être susceptible d'être le sujet actif ou passif des droits.

A quels êtres le législateur a-t-il reconnu une personnalité? En d'autres termes, quels sont les sujets actifs ou passifs des droits?

Dans notre législation française, tout être humain est une personne : l'homme, en effet, dès qu'il est conçu, a des droits : il peut être héritier, sa vie en germe est protégée par les lois contre l'avortement, etc. (725 C. 317 P.).

Ainsi tout être humain est une personne.

Il ne faut pas croire que toutes les législations admettent cette vérité longtemps, dans le vieux droit romain, l'esclave ne fut qu'une chose, et aujourd'hui bien certainement il l'est encore chez certains peuples sauvages; il n'a pas plus de droit qu'une bête de somme, il est l'objet non le sujet du droit.

L'homme est donc par excellence la personne.

Mais n'y a-t-il pas d'autres personnes que cette personne naturelle? Oui incessamment nous disons ou nous entendons dire que la commune, le département, l'État, qu'une société commerciale, un établissement public, une académie, etc., sont des personnes.

:

On appelle ces nouveaux sujets des droits personnes civiles, morales, fictives.

Tandis que l'être humain tient sa personnalité de la nature, ou plutôt de Dieu, l'auteur de la nature; tandis que cette personnalité est au-dessus du législateur qui la reconnaît et la protége, sans pouvoir ni la créer, ni la détruire, la personne morale est une création de la loi.

Ce qui caractérise la personnalité, c'est la capacité, c'est-à-dire l'apti

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