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tude à avoir des droits par exemple à pouvoir être propriétaire, créancier, débiteur, possesseur, à pouvoir acquérir ou aliéner avec ou sans le contrôle d'un protecteur, enfin à pouvoir plaider.

Ce dernier point, la capacité de plaider, est d'une importance capitale. C'est facile à comprendre.

Quand on considère les réalités pratiques, on constate qu'une personne morale n'est autre chose qu'une collection d'individus, réunis pour la poursuite d'un même but, et dont les personnalités sont absorbées dans l'unité individuelle d'une personne morale ou fictive.

Prenons des exemples et des applications.

Pierre, Lefebvre et Jacob ont formé pour faire un commerce de velours ou d'épiceries une société en nom collectif. Cette société, qui est une personne morale, a un patrimoine distinct du patrimoine de chaque associé, c'est-à-dire qu'elle a un actif et un passif séparés. Un immeuble appartient-il à la société tant que la société est vivante, aucun des associés ne peut se dire propriétaire de l'immeuble, même pour partie; la société est seule propriétaire, et l'immeuble vendu donnera un prix que se partageront exclusivement les créanciers sociaux, sans que les créanciers personnels de chaque associé y puissent rien prétendre. Le patrimoine social est ainsi le gage du crédit social de la personne morale.

Voici une autre société la compagnie universelle de l'isthme de Suez ou une grande compagnie de chemin de fer. Seulement ce n'est plus un petit nombre de membres qui la composent, c'est par milliers qu'on compte les associés. Toute personne ayant versé ou promis de verser l'apport convenu pour former le capital social est devenue, sous le nom d'actionnaire, un associé.

Une société de cette nature est puissante, son capital immense; ses créances, ses dettes, ses opérations, ses achats sont nombreux et considérables. Elle peut avoir d'importants procès: la possibilité de plaider, c'est-à-dire de se défendre en droit devant les tribunaux, est indispensable à son existence. Un droit, nous le savons, n'a de réalité pratique que si, sous le nom d'action, il donne à celui qui l'a la faculté de réclamer l'intervention du pouvoir social pour en obtenir l'exécution forcée à défaut d'exécution volontaire.

Mais une personne ne peut saisir un tribunal que par une procédure déterminée il faut par une assignation signifier au défendeur qu'il ait à comparaître devant ses juges dans le délai légal. Dans cette assignation, l'huissier dit au nom de qui il la lance.

Ici apparaît clairement l'importance ou plutôt la nécessité qu'il y a pour une société à être une personne morale. L'agresseur est-il, par exemple, la Compagnie de l'Isthme de Suez, il faut que l'assignation contienne à peine de nullité le nom du demandeur ou des demandeurs,

s'il y en a plusieurs. Si la Compagnie dont je parle n'était pas une personne morale, il y aurait autant de demandeurs que d'actionnaires ou associés; il faudrait que l'assignation et que tous les actes de procédure indiquassent les noms, prénoms et professions de ces milliers de demandeurs. Il y a là une impossibilité pratique absolue; une loi qui exigerait pareille chose empêcherait les grandes sociétés de se former, puisqu'elles ne pourraient en fait plaider pour faire valoir leurs droits (61 Pr.).

Mais il n'en est pas ainsi la société commerciale dont je parle est une personne morale, elle a un nom dont l'indication suffit. C'est la Compagnie de l'isthme de Suez, représentée par son directeur, qui assigne, plaide, gagne ou perd; et si elle est condamnée, c'est sur son patrimoine social et non sur les biens individuels des associés que le jugement sera exécuté.

Si l'on a bien compris ce qui précède, on connaît les motifs qui ont fait créer les personnes morales.

Il n'y a en effet d'associations puissantes que celles qui réunissent un nombre de membres un peu considérable: si la personnalité individuelle de ces membres subsiste tout entière dans la société, ils ne s'y engageront pas; il en résulterait d'ailleurs des complications inextricables. En donnant à l'association l'unité d'une personne morale avec son patrimoine et ses droits distincts, avec sa capacité propre, avec le pouvoir de plaider, on rend sa formation possible et facile.

Ces personnes morales sont de pures créations juridiques, et l'on comprend qu'elles ne soient pas constituées par la seule et libre volonté des particuliers.

En France, le législateur a créé directement les personnes morales suivantes la commune, le département et l'Etat.

Le gouvernement a reçu de la loi le pouvoir de donner la personnalité à certaines associations ou à des établissements publics: une autorisation de lui confère ainsi, avec la personnalité, à une académie, à une société industrielle, à une corporation religieuse, le droit d'avoir un patrimoine et la faculté de plaider, des droits en un mot, et la possibilité de les défendre.

Dans des cas très-restreints, quand l'objet en est commercial, les particuliers peuvent librement créer des sociétés à formes diverses, véritables personnes morales, valablement constituées quand leurs fondateurs ont accompli les conditions légales (1832 à 1873, C. 18 à 50, Co. L. 24 juillet 1867).

Il est bien entendu, et je ne saurais trop le répéter pour que le lecteur de ce traité ne l'oublie pas, que nous n'exposons que les principes les plus généraux, en laissant de coté des détails et des excep

tions qu'une étude approfondie de chaque matière peut seule faire connaître.

La création des personnes morales n'est point arbitraire, avons nous dit; on peut le prouver facilement : la commune et l'État, et même le groupe intermédiaire, qu'il s'appelle département ou province, étaient des êtres réels, ayant une vie, des traditions, des besoins distincts, leur personnalité s'imposait au législateur; il n'y a donc rien d'arbitraire dans leur création. Ce qui est ou peut être arbitraire dans une certaine mesure, c'est la détermination de la circonscription territoriale de la commune ou du département.

Le législateur ne pouvait pas non plus laisser sans personnalité les sociétés commerciales à la rigueur, on l'eût pu pour ces petites sociétés en nom collectif, dont les membres sont toujours peu nombreux. Mais il est absolument impossible de refuser ce droit à ces compagnies qui peuvent seules réunir les énormes capitaux nécessaires à la réalisation des grands travaux modernes.

D'autres associations ont pour but la propagation de la religion, T'enseignement et la fondation d'écoles, le soin des malades, le développement scientifique ou littéraire du pays, etc. : églises, académies, universités, hôpitaux, corporations religieuses, sociétés de tempérance, instituts scientifiques ou littéraires..... La variété en est incroyable. Chez nous, où l'esprit d'association s'exerce peu, nous avons peine à comprendre la quantité vraiment surprenante des associations existant aux Etats-Unis et l'étrangeté de leurs objets.

Mais, si l'esprit d'association s'exerce peu chez nous, c'est aussi parce qu'il n'est pas assez libre,

Je ne parle pas de la liberté de s'associer, en tant qu'il s'agit de se réunir à des jours et dans des lieux déterminés, pour poursuivre en commun un but quelconque celle-là nous ne l'avons pas; du moins, quand la réunion est de plus de vingt personnes, il faut la permission. du gouvernement ou de ses agents. Ainsi se forment régulièrement des cercles, des conférences, etc. (291 P.)

Mais la permission du gouvernement ou d'un préfet peut donner à une société l'existence légale, sans lui donner la personnalité. Or ce dernier attribut est l'essentiel.

Comment, en effet, une association poursuivra-t-elle un but plus ou moins éloigné, quelquefois perpétuel, sans un patrimoine, sans des biens, sans avoir en un mot des ressources pécuniaires quelconques? Cest bien ici le cas de dire que le temporel soutient le spirituel. Ajoutez qu'on ne peut avoir un patrimoine, des biens, des droits quelconques sans la capacité efficace de les acquérir, de les administrer, de les défendre en justice. Tout cela n'existe pas sérieusement sans la personnalité juridique, qui donne à l'association l'unité et l'individualité.

Or cette personnalité, essentielle à une association qui veut vivre sans être à la merci des intrigants, qui veut ne pas recourir à des détours pour éluder la loi et avoir des biens, qui veut pouvoir se défendre en justice aussi bien contre les attaques de ses membres que contre celles des étrangers, cette personnalité, dis-je, ne peut être conférée que par le pouvoir exécutif dans les limites tracées par la loi, et il la donne à une association en la reconnaissant comme un établissement public.

Ainsi nous savons qu'il y a des personnes morales directement créées ou reconnues par le législateur, d'autres fondées en vertu d'un décret du gouvernement, d'autres enfin librement formées par des particuliers.

Ces dernières, dont les sociétés commerciales sont le meilleur exemple, peuvent être appelées des personnes morales privées.

Les deux autres classes renferment les personnes morales publiques ou de mainmorte.

Les personnes morales privées ne poursuivent qu'un but l'exploitation des capitaux, un gain pécuniaire, l'acquisition ou la conservation de tout bien qu'on peut estimer en argent. Elles ne soustraient ni ces biens ni ces capitaux à la ciculation générale. Le législateur a donc pu permettre aux particuliers de les former plus librement, en se contentant, surtout dans l'intérêt du crédit public, de prendre quelques précautions vis-à-vis des sociétés par actions.

Quant aux personnes de mainmorte, les biens ne sont pas un but, mais un moyen. Leur but, nous l'avons vu, c'est le développement de la religion, de l'instruction, de la charité, de la science, des beauxarts.... à vrai dire, il n'est pas appréciable en argent. Mais précisé– ment parce que ce but, le bien, le beau, le vrai, n'est jamais atteint, l'association qui le poursuit est perpétuelle de sa nature, et par conséquent les biens qu'elle possède, capitaux, immeubles, etc., sont indéfiniment soustraits à la circulation. C'est ce qu'indique le nom de biens de mainmorte qu'on leur donne.

De là un des motifs principaux qui ont inspiré notre législateur: il a craint l'absorption de la fortune publique dans les mains de ces associations, immortelles par leur but et puissantes par l'accumulation d'un capital immobilier. Voilà pourquoi il ne veut pas qu'elles existent sans la permission de l'État; voilà pourquoi, même en leur donnant la vie, il limite leur droit de propriété et ne leur permet pas d'acquérir valablement sans son autorisation. (910 C. L. 2 janvier 1817, 24 mai 1825, etc.)

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De l'importance qu'il y a à diviser les personnes en différents groupes, suivant leur aptitude plus ou moins grande à la jouissance et à l'exercice des droits.

Après cet examen sur la constitution de la personne morale, nous allons étudier les principales divisions des personnes naturelles, au point de vue du sexe, de la nationalité, de l'âge, de l'état intellectuel, des déchéances résultant de condamnations pénales, de la profession, de l'absence, de la parenté et du domicile.

La capacité d'une personne, en effet, varie avec ces différents faits. Nous avons dit que la capacité est l'aptitude d'une personne à avoir et à exercer des droits.

Il y a deux sortes d'incapacités par conséquent : l'incapacité d'avoir un droit, appelée incapacité de jouir, et l'incapacité de faire des actes qui mettent le droit en œuvre, ou incapacité d'exercice.

On peut avoir la capacité de jouir sans avoir celle d'exercer un mineur de vingt et un ans a la jouissance du droit de propriété, il peut être propriétaire; mais il est incapable d'exercer ce droit: il ne peut vendre, aliéner, faire des baux, diriger le mode de culture, administrer.

Dès qu'un homme est incapable de jouir d'un droit, il est à plus forte raison incapable de l'exercer. Mais il peut perdre le droit d'exer. cice et ne pas perdre en même temps le droit de jouissance. C'est important ainsi une personne fait son testament à un moment où elle a la double capacité, puis elle meurt interdite pour cause de folie. Son testament est valable. Sans doute, elle n'a plus la capacité de faire un testament au moment de sa mort, puisque son interdiction lui a ôté l'exercice de ce droit, mais elle a encore la jouissance, et cela suffit; elle a exercé son droit à un moment où elle pouvait l'exercer: elle est présumée n'avoir pas changé de volonté; son testament était et reste valable.

Il n'y a pas d'incapacité générale de jouir des droits. L'homme qui serait ainsi incapable n'aurait pas de droits; il ne serait plus une personne. La mort civile était une institution qui avait pour but de priver le condamné à une peine perpétuelle de la presque totalité des droits, non pas de tous; elle était devenue heureusement impossible dans notre droit imprégné de christianisme: il y avait donc là comme une incapacité de jouir des droits aussi complète que possible. Elle allait jusqu'à ôter le droit au mariage et à la propriété : le condamne voyait son

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