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Il y a ici une question de morale très-grave.

Qu'on le constate avec tristesse ou avec joie, avec espoir ou avec terreur, de plus en plus tout citoyen prend part à la direction des affaires du pays: la loi lui donne cette part; l'exercer est un devoir. Il est beau de voir des hommes probes, instruits, intelligents et pratiques aspirer aux fonctions politiques; il est nécessaire que les électeurs les recherchent, les choisissent et les fassent triompher. C'est leur propre affaire qu'ils font ainsi : car sans bon gouvernement il n'y a de sécurité ni pour le travail ni pour la propriété, et un gouvernement, si ingénieux et savant que soit son mécanisme, ne sera jamais bon si les matériaux employés dans ses rouages et ses organes ne sont excellents ces matériaux sont des hommes.

Les trouver et les prendre est donc la grande affaire du citoyen, son premier devoir social. Il n'a de droits politiques que pour exercer ce devoir. Or, dans les temps de trouble et de transition, les charlatans, les politiques de profession, les utopistes, les violents, les fanatiques, font concurrence aux hommes sérieux. Il en résulte des luttes, et des luttes violentes.

Mais ceux qui ne voient que l'intérêt de la patrie, qui ne sollicitent les charges que parce qu'ils y voient un moyen de rendre utiles à leurs concitoyens, à l'avenir même de leurs enfants, si l'on veut, leur expérience et leur intelligence, ceux-là se fatiguent facilement de la lutte. Ils ont les devoirs et les joies de la famille, ils ont le travail qu'ils aiment, la profession qu'ils honoren'. Il faut sacrifier un peu de tout cela pour remplir les devoirs volontaires d'électeur et de candidat. Aussi se dégoûtent-ils facilement de la lutte, si petite qu'elle doive être, et l'agent principal de ce dégoût, c'est, chez nous, il faut bien le dire, la femme.

Le sentiment la trompe. Non qu'elle ne comprenne le devoir; mais le devoir ici lui est caché. Exercer des droits d'électeur et de candidat lui paraît une charge sans compensation, puisqu'elle ôte à la famille le temps et les soins que son mari, ses fils et ses frères donnent à la chose publique.

Ajoutez qu'électeurs et candidats perdent dans ces luttes la paix, la quiétude que nous autres Français, rassurés par notre optimisme, nous mettons volontiers au-dessus de tout. Les exploiteurs ou les énergumènes ne s'en soucient guère. Le triomphe, pour les uns, est tout bénéfice, argent ou honneur; pour les autres, les profits sont les satisfactions profondes du fanatisme politique: la lutte est un moyen béni.

Dès lors l'exercice des droits politiques devient de plus en plus restreint; il n'y a pas moins indigence de candidats capables, honnètes, qu'abstention des électeurs désintéressés.

Le danger est grand, on ne saurait le nier. Le conjurerait-on en donnant à la femme des droits qu'elle ne réclame pas chez nous ? Evidemment non. Mais il faut reconnaître qu'il y a nécessité de leur apprendre davantage le droit, le droit complet privé, il leur est indispensable; politique, il leur montrerait les harmonies de toutes choses dans une société civilisée, et comment les droits et les devoirs politiques sont d'une pratique aussi essentielle que les droits et les devoirs privés.

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Influence de l'âge sur la capacité juridique.

Les personnes, à ce point de vue, se divisent en mineurs et en majeurs de 21 ans accomplis, suivant qu'elles sont au-dessous ou audessus de cet âge: on dit simplement mineurs ou incapables, majeurs ou capables (388).

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Qu'est-ce que cette incapacité? quelle en est la cause? quelles en sont les limites? Pourquoi avoir fixé cet age et non un autre?

Les sources des obligations sont, d'une part, les actes personnels ou volontaires de l'homme; d'autre part, la volonté directe de la loi.

Quand la loi elle-même impose le droit quand elle veut que les enfants fournissent des aliments à leurs ascendants dans le besoin, quand elle lève des contributions, quand elle détermine un alignement, il importe peu que le débiteur de la dette alimentaire, le contribuable, le possesseur du terrain à construire, soit majeur ou non, il est soumis au droit, il est capable à tout âge.

Mais, s'il s'agit d'actes volontaires ou personnels, nous avons à tenir compte d'éléments nouveaux.

Ces actes volontaires, en effet, peuvent être : 1° licites les contrats sont les plus fréquents de ces actes; 2° illicites s'ils causent alors à autrui un dommage, ils entraînent de la part de leur auteur l'obligation de réparer le préjudice commis.

En tout cas, l'homme s'oblige pécuniairement par les uns et par les autres mais les premiers, grâce à Dieu, dans nos sociétés, où l'on vit de travail, les premiers sont de beaucoup les plus fréquents. Ventes, louages, changes, commissions, aliénations, sociétés, transactions, ouvertures de crédit, testaments, hypothèques, etc.... ces actes remplissent la vie, sont répétés à chaque instant.

Il n'en est pas de même des faits illicites, ils sont plus rares ; ce sont des exceptions, trop fréquentes toujours, mais enfin des exceptions. Si on pouvait avoir le nombre des actes licites accomplis chaque jour

et le comparer aux faits commis sans droit et causant à autrui un préjudice, on constaterait que les seconds donnent un nombre insignifiant par rapport aux premiers.

Quand l'homme peut-il s'obliger par des actes licites ou illicites? Quand ils émanent de sa volonté libre, répond la morale absolue; quand il a pu voir, apprécier et vouloir leurs conséquences il n'y a de responsabilité que chez l'être libre, il n'y a de liberté que chez l'être intelligent.

Mais à quel âge précis chaque homme a-t-il atteint le développement de ses facultés, qui le rend responsable de ses actes, obligé, en d'autres termes, au point de vue pécuniaire ou pénal? La nature répond: Cet âge varie d'individu à individu, et même, chez chaque individu, il variera suivant l'acte. Nous avons déjà étudié cette question dans les notions préliminaires.

Le droit naturel ou la morale absolue, avons nous dit, formulerait la règle suivante: « Le juge, avant de condamner un homme à payer une somme d'argent ou à subir une peine, devra toujours examiner si cet homme comprenait la portée de l'acte cause de sa condamnation; par conséquent, toute personne traduite devant un tribunal peut demander la nullité de ses actes ou sa non-responsabilité en prouvant qu'elle n'était pas assez développée pour apprécier et vouloir ce qu'elle a fait. »

Dans l'ordre des faits licites, la loi n'a pas reproduit la règle du droit naturel; l'absolu eût été impossible. Après 21 ans, l'homme est présumé capable, dit le code; et avant cet age, c'est la présomption. contraire qui règne : les actes volontaires et licites du mineur sont annulables. Des milliers de procès sont ainsi évités, et le mineur de 21 ans est sérieusement protégé, comme le veut l'équité.

Il est protégé.... et la justice et le droit naturel même ne sont pas pour cela mis de côté. La loi, en effet, en permettant au mineur et, nous le verrons, à l'interdit, au prodigue, à la femme mariée ou à leurs représentants de demander la nullité des actes faits en état d'incapacité juridique, ne les contraint pas à demander cette nullité. «Vous ne l'obtiendrez que si vous la demandez, semble-t-elle dire; vous l'obtiendrez alors plus ou moins facilement suivant les cas, mais vous n'êtes pas forcés de la demander: interrogez votre conscience, avant d'user de l'arme mise en vos mains pour vous protéger contre ceux qui abusent de votre situation. >>

En résumé, quand il s'agit d'actes volontaires et licites, l'homme en général est capable lorsqu'il a 21 ans accomplis.

Mais il y a des exceptions: à 16 ans le mineur peut disposer par testament de la moitié dont la loi permet au majeur de disposer: s'il est artisan, il peut faire valablement les conventions nécessaires

à la pratique de son métier; à 20 ans, il peut prendre du service militaire sans la permission de ses parents; au contraire,.il ne peut être adopté sans cette permission jusqu'à 25 ans, etc. (904, 1308).

Dans l'ordre des faits illicites, le législateur n'a pas fixé à l'âge de 21 ans l'époque invariable de la responsabilité : il a pu et dû pratiquement suivre de plus près les formules du droit naturel, déclarant l'homme responsable dès qu'il est raisonnable et libre.

Il y a pour agir ainsi plusieurs motifs:

Les faits illicites constituent un désordre social, et par conséquent sont un danger qu'il faut prévoir et réprimer avec plus de vigilance.

L'homme, en réalité, perçoit le caractère illicite d'un fait plus vite qu'il ne comprend les conséquences complexes d'un contrat privé, vente, transaction, etc; donc il est plus tôt responsable.

Enfin les faits illicites se produisent plus rarement que les faits. licites; donc il y a moins d'inconvénient à exiger du juge l'examen de l'auteur de l'acte pour savoir si cet auteur a agi comme un être libre et raisonnable, c'est-à-dire s'il est responsable.

Qu'a donc fait le législateur? Il faut distinguer deux conséquences différentes et possibles du fait illicite.

Quand le fait illicite constitue un crime ou un délit, quand il est puni par la loi pénale, alors de deux choses l'une :

1o Ou l'auteur de l'acte a şeize ans accomplis; dans ce cas, il est. réputé responsable: la loi pénale avance ainsi de 5 années l'âge de la responsabilité de droit commun;

2o Ou l'auteur n'a point 16 ans accomplis; dans ce cas, le juge examinera si l'enfant a agi ou non avec discernement. La question a été posée plusieurs fois pour des enfants traduits en cours d'assises (66,69 P).

:

Si le juge déclare que l'enfant a agi sans discernement, il est acquitté. Mais, si ce mineur de 16 ans a agi avec discernement, il est responsable cependant la loi voit dans son jeune âge une cause qui diminue la responsabilité, et alors la peine prononcée contre le coupable est bien moins sévère que s'il était majeur.

Quand le fait illicite, puni ou non par la loi pénale, entraînant ou non amende et prison, a causé à autrui un dommage appréciable en argent, la victime a le droit de demander une réparation pécuniaire à l'auteur du mal. Ce juge condamnera le délinquant à payer ces dommages-intérêts, s'il pense que ce délinquant a su ce qu'il faisait, sans se préoccuper de la question de savoir s'il avait ou non 16 ans accomplis. La loi naturelle ici avec sa formule absolue est applicable: l'homme est responsable, c'est-à-dire obligé par ses actes, dès qu'il est raisonnable et libre, ce qui est une question de fait, laissée à l'appréciation du juge (1382, 1310).

Le mineur ne passe pas toujours de l'incapacité à la pleine capacité en devenant majeur; il peut être émancipé en effet, tantôt dès l'âge de 15 ans accomplis, tantôt dès l'âge de 18 ans, et alors il peut faire valablement les contrats rentrant dans l'administration de ses biens: c'est une sorte de préparation à l'exercice plein et entier de ses droits (476 à 487).

La vieillesse, si avancée qu'elle soit, n'est jamais une cause d'incapacité en elle-même. Il ne pouvait en être autrement. Si en effet quelques hommes, en arrivant au déclin de la vie, perdent la vivacité de leur intelligence et la sûreté de leur volonté, il y a loin de là à la perte de toute intelligence et de toute volonté. La prudence et l'expérience compensent ces faiblesses inhérentes à la vieillesse; et en tout cas, il est en général possible de prouver, nous l'allons voir, le défaut absolu de consentement, et par conséquent d'obtenir la déclaration de non-existence du contrat apparent conclu par l'homme qui a perdu sa

raison.

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Influence de la maladie sur la capacité.

Nous partons toujours de cette idéé, qu'il n'y a pas de responsabilité sans liberté.

Un fou n'est pas libre. Il y a des perturbations de l'intelligence telles que l'homme ne sait pas ce qu'il fait.

Le dérangement intellectuel est accidentel ou il est plus ou moins permanent.

Si la maladie mentale, si la perturbation intellectuelle est accidentelle, l'homme, d'ailleurs majeur ou capable, qui agit sous l'influence de ce désordre, n'est point responsable de l'acte commis. Il a, sous l'empire d'une fièvre chaude, tué un de ses voisins; il a, étant frappé de folic, vendu sa maison: il ne pourra être puni pour le premier fait, ni étre obligé par sa convention. Mais c'est à lui à prouver qu'au moment où l'acte a été commis il n'a pas été libre, que son consentement a fait défaut lors de la conclusion de la vente (1108).

La maladie a-t-elle une certaine permanence, le législateur a créé des institutions particulières pour protéger les individus ainsi incapables moralement de se défendre: il y a alors quatre nouvelles classes personnes frappées d'incapacité juridique: 1° les interdits; 2° les personnes placées dans une maison d'alienės; 3' les faibles d'esprit; et 4 les prodigues.

1o L'interdiction constitue une incapacité permanente : une personne

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