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est déclarée interdite parce qu'il lui est impossible à cause de sa santé d'exercer ses droits, de faire en connaissance de cause, et par conséquent valablement, les actes de la vie civile (489). Le tribunal la prononce contre une personne qui est dans un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur; et par ces trois expressions, il faut entendre toutes les variétés de maladies mentales désignées par la science sous des noms différents: folie, idiotisme, etc..... Le législateur n'a pas entendu donner aux mots par lui employés un sens technique et en quelque sorte médical: il a voulu comprendre tous les cas où une personne se trouvait, par suite du dérangement d'esprit, dans l'impossibilité habituelle de se conduire et de régir sa fortune.

L'interdit eût-il des intervalles lucides, s'il a, dans un de ces courts instants où la raison lui est rendue, passé un contrat, la nullité peut en être demandée.

En droit naturel, l'homme s'oblige valablement dès qu'il est arrivé à la maturité de la raison : c'est à lui à prouver qu'il était atteint de folie au moment où il a fait un acte, s'il prétend n'avoir pas donné un consentement valable. S'il est dans un état habituel de folie, on doit présumer qu'il était fou quand il contractait, et ce serait alors à celui qui invoque la validité de l'acte à établir l'existence d'un intervalle lucide pendant lequel il a été fait.

Quelle source de procès! quelle incertitude pour l'interdit et sa famille Le législateur les protége alors comme il protége le mineur et ses représentants : l'interdit rendu à la santé ou ses représentants peuvent aussi réclamer la nullité des actes passés après le jugement d'interdiction, et elle leur sera accordée, sans que le juge ici puisse jamais examiner si oui ou non on a abusé de l'état intellectuel de l'interdit (502, 503).

La cause de l'interdiction existait évidemment avant le jugement qui l'a prononcée; la maladie, en effet, n'apparaît pas subitement; il faut qu'elle soit déjà habituelle pour que la famille obtienne cette grave mesure contre l'un des siens: la nullité des actes antérieurs au jugement, mais conclus à une époque où la maladie était notoire, pourra donc être invoquée ; seulement le tribunal n'est plus obligé de la prononcer sur la seule réclamation de l'interdit ou de ses représentants. La nullité devient facultative et non plus forcée; les juges tiendront compte des circonstances (503).

L'interdit, comme le mineur, est donc incapable; mais les deux incapacités se ressemblent: elles portent sur l'exercice, non sur la jouissance des droits (150, 505). Le mineur et l'interdit sont tous deux en tutelle; et les actes qu'ils ne peuvent faire, le tuteur les fera pour eux: il est leur représentant.

Ce système est excellent quand les actes d'exercice peuvent être

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faits par autrui. Le mineur et l'interdit sont capables d'être propriétaires ils ont l'aptitude à avoir le droit et peuvent l'avoir. Mais vendre, acheter, louer, décider du mode de culture, etc., sont des actes d'exercice qui appartiennent au tuteur: quand il fait ces actes, l'incapable en a le profit, comme il en a les risques si le tuteur, sans être infidèle ni négligent, s'est trompé sur l'appréciation d'un acte qu'il croyait plus avantageux pour la fortune de l'incapable qu'il ne l'a été en réalité.

Lorsque les actes d'exercice ne peuvent être faits par représentant, alors, en fait, l'incapable privé du droit d'exercice est dans la même. situation que s'il était privé de la jouissance. Si donc on décide avec certaines auteurs et avec une partie de la jurisprudence qu'un interdit est incapable de tester, de se marier, de reconnaître un enfant naturel, et de faire dans un intervalle lucide un certain nombre d'actes dont l'exercice ne peut avoir lieu par l'intermédiaire d'un représentant, alors la privation de l'exercice est une privation du droit même.

2o Placement dans une maison d'aliénés. L'interdiction a de graves inconvénients! et elle est quelquefois une mesure insuffisante.

Des préjugés, plus ou moins fondés, empêchent les familles d'y recourir lorsqu'un de leurs membres est atteint de maladie mentale. La publicité des débats, la publicité matérielle du jugement d'interdiction, répand la connaissance de ce fait si grave. La folie est trop souvent héréditaire, et dès lors sa divulgation peut nuire à l'établissement des autres membres de la famille (501).

S'il n'y avait que cet inconvénient, il n'y aurait guère de remède à y chercher, car la morale veut précisément que les tiers ne soient pas exposés à traiter avec un interdit dans un intervalle plus ou moins lucide, et pour cela tout ce qui porte au public la révélation de son incapacité est une bonne chose.

Mais l'interdiction ne guérit pas le malade; elle n'est pas suffisante pour protéger la société contre ses violences, et si les parents sont trop pauvres, ou trop indifférents, ou sans moyens efficaces de soigner ce fou ou de garder ce furieux, que faire? L'abandonner, le jeter en prison? Ce n'est plus possible heureusement.

La science moderne ne regarde pas d'ailleurs toutes les maladies mentales comme incurables. En tout cas, on peut adoucir le mal. Des spécialistes se sont consacrés à cette tâche, et des maisons de santé ont été fondées dans ce but.

L'humanité donc, d'accord avec les besoins de la sécurité publique, a fait édicter la loi du 30 juin 1838, si belle dans son but, mais qui prête si fort à la critique par son inefficacité à protéger la liberté individuelle.

Les maisons d'aliénés conformes à la loi ne peuvent exister sans l'autorisation du gouvernement; elles sont divisées en établissements privés comme la maison de Clermont, dans le département de l'Oise, et en établissements publics, comme la maison nationale de Charenton. Les premières sont surveillées, les secondes sont dirigées et administrées par l'autorité.

Chaque département doit avoir un établissement public, spécialement destiné à recevoir et à soigner ses aliénés, ou traiter avec un établissement public ou privé situé soit dans le même département, soit dans un autre département.

Le placement dans l'établissement est volontaire ou forcé.

Il est forcé pour ceux dont l'état d'aliénation compromet l'ordre public ou la sûreté des personnes : leur placement a lieu sur un ordre motivé du préfet. En cas de danger imminent mème, un simple commissaire de police à Paris, un maire dans les autres communes, si le danger est attesté par un certificat de médecin ou s'il est de notoriété publique, peut ordonner le même placement. Sans doute, dans les vingt-quatre heures, le commissaire ou le maire en référera au préfet, qui devra statuer sur-le-champ; mais on sait que les maisons d'aliénés lachent difficilement leur proie, car c'est une préoccupation constante chez les médecins aliénistes de croire à la folie.... à la folie universelle.

Le placement volontaire a lieu quand la folie n'est pas dangereuse : il faut une demande d'admission et un certificat de médecin. Nous n'entrerons pas dans le détail des précautions que le législateur impose pour empecher les séquestrations. Disons seulement que des abus ont été signalés, et que depuis quelques années une réforme de la loi est réclamée avec énergie par les organes les plus autorisés de l'opinion publique.

La personne placée dans une maison d'aliénés est incapable, comme le mineur et l'interdit: mais la nullité des actes qu'elle a faits pendant son séjour dans l'établissement est facultative pour le tribunal; il ne la prononce, sur la réclamation du malade sorti de la maison ou de ses représentants, que s'il juge que l'incapable a été lésé par la partie adverse, qui a abusé de sa faiblesse intellectuelle pour lui faire conclure un acte désavantageux.

3o Des faibles d'esprit. C'est une autre situation : l'homme n'est pas assez malade pour être réduit à cet état d'incapacité complète que produit l'interdiction; sa liberté n'est pas un danger, et il n'a pas besoin, par conséquent, d'etre placé dans une maison de santé, et cependant la faiblesse de son esprit nécessite une protection. De là un état de demi-interdiction dans lequel le mettra un jugement du tribunal.

Ce jugement peut être demandé directement; ou bien les juges à

qui l'interdiction d'une personne est réclamée, estimant que son état intellectuel n'exige pas une protection aussi énergique, se contentent d'un remède moins grave dans ses conséquences. Le faible d'esprit, après le jugement, reste à la tête de ses affaires, lui seul peut exercer ses droits; mais il y a un certain nombre d'actes, qu'il ne peut faire sans l'assistance d'un conseil que lui nomme le même jugement: plaider, transiger, recevoir le paiement d'une créance et en donner quittance, hypothèquer ses biens (499).

Mais il peut administrer seul et faire ainsi tous les actes de pure administration, par exemple : toucher ses revenus, conclure des baux qui n'excèdent pas neuf ans. Il peut tester, se marier.

4o Des prodigues. Le prodigue est celui qui ne proportionne pas ses dépenses à ses revenus: il dépense tout, revenu et capital, car il ne connaît pas le prix de l'argent, comme disent nos paysans.

A vrai dire, il n'y a pas de folie proprement dite : il y a un dissipateur, presque toujours parce qu'il y a un débauché.

Le projet du Code civil ne contenait aucune disposition pour protéger ce malheureux ou ce misérable, pour employer un langage plus sévère. Mais le vieux droit romain et notre ancienne législation avaient cru devoir prendre des mesures contre lui dans l'intérêt de la famille.

Si par famille on entend la femme et les enfants, on comprend à la rigueur cette protection. Mais si par famille on entend d'autres héritiers; si l'on entend qu'il faut protéger le prodigue célibataire, la morale n'est plus également satisfaite. Qu'on le laisse se ruiner, peutétre alors travaillera-t-il.

Quoi qu'il en soit, le prodigue peut être en vertu d'un jugement mis dans un état de demi-incapacité, qui est absolument le même que celui du faible d'esprit. Comme lui, il reçoit un conseil judiciaire; comme lui, il ne peut sans son assistance faire les actes que nous avons indiqués ; comme lui enfin, il reste administrateur de sa fortune et peut recevoir et dépenser ses revenus: mais ce qui lui est interdit, c'est d'entamer son capital sans cette assistance (513).

Je ne sais si l'équité, si la sécurité des rapports sociaux ne seraient pas favorables à l'abolition de cette institution. L'interdit et le demiinterdit ou faible d'esprit ne peuvent guère rester au sein de la société sans montrer à ceux avec qui ils se mettent en rapport la preuve de leur incapacité, manifestée en quelque sorte par le dérangement ou l'insuffisance de leur esprit mais le prodigue, au contraire, éblouit les fournisseurs par des qualités trompeuses: au besoin, il déjouera leurs soupçons et captera leur confiance en marchandant comme un avare. Les créanciers arrivent enfin, et quand il n'y a plus d'argent

comptant, de revenus disponibles, ils se voient demander la nullité d'engagements qui entament le capital, et contractés bien entendu sans l'assistance du conseil judiciaire.

La protection légale donnée au prodigue est une occasion et souvent une tentation pour faire des dupes.

Tel est le système des incapacités résultant de l'état intellectuel créées par nos lois : l'interdiction, le placement dans une maison d'aliénés fait en conformité de la loi de 1838 et la demi-incapacité des faibles d'esprit et des prodigues.

Ajoutons que cette incapacité n'existe jamais dans l'ordre des faits illicites. Soit que l'un de ces incapables, commettant l'un des faits appelés délits ou crimes, trouble la société, soit qu'il cause à autrui un préjudice appréciable en argent, le tribunal, saisi d'une demande en répression ou d'une demande en réparation, frappera de la peine légale ou condamnera au paiement de dommages-intérêts l'auteur du fait illicite cela ne fait pas l'ombre d'un doute (64 P. 1382 C.).

Mais si réellement, au moment où il a accompli ce fait illicite, l'incapable était sous l'empire d'une folie qui lui ôtait la conscience de ses actes, il ne sera passible d'aucune peine: il n'est pas responsable. Paiera-t-il au moins des dommages-intérêts à la personne qu'il a lésée, par exemple, en incendiant sa maison, en tuant le soutien de famille? Pas davantage : il n'y a de responsabilité, ni publique ni privée, quand il n'y a pas de raison chez l'agent; pas de raison, pas de liberté ; pas de liberté, pas de responsabilité, nous ne saurions trop le répéter.

Si l'auteur de l'acte nuisible, ici, n'est pas responsable, non, encore une fois parce qu'il est interdit, qu'il a été dans une maison d'aliénés, mais parce qu'il est incapable réellement de vouloir, un autre peut étre responsable, pécuniairement parlant, du dommage causé un autre...... c'est le père, le tuteur, le chef de la maison d'aliénés, etc.; celui-là en un mot qui était chargé légalement de la surveillance du malade et qui, en manquant à ses devoirs, a laissé commettre le mal (1384). Ce que nous venons de dire de celui qui est incapable par suite du dérangement de ses facultés est applicable, ne l'oublions pas, au mineur quand il est dans un àge où il est évident qu'il a agi sans discernement. Ainsi un enfant de trois ans qui, en jouant avec des allumettes chimiques, met le feu à une maison, ne pourra être condamné à réparer le dommage, fût-il millionnaire et la victime ruinée par son fait la responsabilité atteindra seulement ceux à qui la loi a contié la garde de l'enfant.

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