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Division des personnes au point de vue des déchéances créées par des condamnations judiciaires.

Au point de vue de la manière dont elles accomplissent les devoirs imposés par la conscience et l'honneur, il y a lieu de diviser les personnes en deux classes: les gens honnêtes et les gens malhonnêtes.

Mais cette division, fondamentale en morale, cette division que l'on cherche à établir dans le commerce de la vie, est impossible en droit, l'opinion publique, qui fait le classement, n'ayant aucun moyen d'ètre infaillible.

Cependant, quand des personnes ont donné des preuves de leur perversion, quand cette déchéance morale a été constatée par des décisions judiciaires, le législateur part de là pour les frapper d'incapacités plus ou moins étendues. Les personnes non atteintes par de parcils jugements restent, au point de vue juridique, dans l'intégrité de leur état, quelle que soit d'ailleurs leur moralité.

Les incapacités dont il est ici question sont généralement des incapacités de jouissance et non pas seulement des incapacités d'exercice. Il est facile d'en comprendre le motif: qu'on examine les droits dont l'incapable est privé, et l'on verra qu'il s'agit de droits qui ne peuvent guère être exercés par autrui.

Il y a plusieurs degrés d'incapacité, suivant la gravité de la perversion du coupable, gravité que constate la condamnation pénale.

1" degré. Condamnés privés de tout ou partie des droits énumérés par l'article 42 du Code pénal.

Voici ces droits : 1° Droit de vote et d'élection;

2o D'éligibilité;

3 D'être appelé ou nommé aux fonctions de juré ou autres fonctions publiques ou aux emplois de l'administration, ou d'exercer ces fonctions ou emplois;

4° Du port d'armes;

5° De vote et de suffrage dans les délibérations de famille;

D'etre tuteur ou curateur, si ce n'est de ses propres enfants, et

sur l'avis seulement de la famille;

7° D'être expert ou employé comme témoin dans les actes;

8 De témoignage en justice autrement que pour y faire de simples déclarations.

La privation des droits précédents, totale ou partielle, suivant la volonté du tribunal, n'est jamais que temporaire. C'est une peine cor

rectionnelle, que le juge ne peut d'ailleurs prononcer que dans les cas où la loi le lui permet; et, pour connaître l'étendue de la privation infligée, il faut lire le jugement de condamnation, dans lequel le juge a dů spécifier les droits civils, civiques ou de famille dont il dépouillait le coupable.

2' degré. Condamnés frappés de dégradation civique.

Elle consiste: 1o Dans la destitution et l'exclusion des condamnés de toutes fonctions, emplois ou offices publics;

2o Dans la privation du droit de vote, d'élection, d'éligibilité, et en général de tous les droits civiques et politiques et du droit de porter aucune décoration;

30 Dans l'incapacité d'être juré-expert, d'être employé comme témoin dans des actes, et de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements;

4o Dans l'incapacité de faire partie d'aucun conseil de famille et d'être tuteur, curateur, subrogé tuteur ou conseil judiciaire, si ce n'est de ses propres enfants et sur l'avis conforme de la famille ;

5o Dans la privation du droit de port d'armes, du droit de servir dans les armées françaises, de tenir école ou d'enseigner et d'être employé dans aucun établissement d'instruction à titre de professeur, maître ou surveillant (34 P).

Tantôt la dégradation civique est peine principale: ainsi pourrat-elle être prononcée contre un fonctionnaire coupable de forfaiture (35 P).

Tantôt elle est peine accessoire; elle est alors la conséquence d'une autre peine par exemple, les travaux forcés, la reclusion, la détention, etc. Le juge n'a pas besoin de la prononcer: elle est la conséquence légale de la condamnation (36 P).

La dégradation civique est une peine perpétuelle et indivisible. Perpétuelle le juge ne peut en diminuer la durée, elle survit à la peine principale, dont elle est la conséquence quand celle-ci a été subie, et le condamné, en recouvrant sa liberté, ne recouvre pas sa capacité. Indivisible le juge ne peut en effet choisir parmi les incapacités de droit dont la dégradation civique est l'ensemble, et prononcer les unes à l'exclusion des autres.

3 degré. Le condamné est interdit légal.

L'interdiction légale ou pénale n'est pas une peine en elle-même : c'est une institution établie et dans l'intérêt de la société et dans celui du condamné.

Voyons en effet ses caractères.

Notre interdit est à peu près assimilé à l'interdit pour cause de folie: il est comme lui privé de l'exercice de ses droits et de l'administration de ses revenus, comme lui remis en tutelle; en principe, il n'est frappé

d'incapacité que pendant la durée de la peine, déportation, travaux forcés, détention, etc., qui entraîne cette interdiction; redevenu libre ou gracié, il reprend sa capacité tout en restant dégradé civique (29, 30, 31 P.).

On le voit donc, l'interdiction légale a pu être qualifiée non de peine, mais de mesure de précaution. Elle est ordonnée: 1° dans l'intérêt social, car il n'est pas convenable que le condamné puisse vivre largement avec ses revenus, et il est à craindre qu'il ne s'en fasse un moyen d'évasion; 2° dans l'intérêt privé du condamné lui-même, car, en perdant sa liberté, il ne peut plus gouverner sa fortune et se protéger contre les entreprises de ceux qui seraient tentés de spéculer sur sa situation précaire pour lui faire passer des actes dommageables.

4 degré. Le condamné de la loi du 31 mai 1854. Avant cette époque, le condamné à mort, à la déportation, aux travaux forcés à perpétuité, encourait nécessairement la peine de la mort civile.

La mort civile consistait dans la privation des droits les plus considérables privation non-seulement de l'exercice, mais même de la jouissance de ces droits.

Qu'il nous suffise de dire que le mort civilement voyait son mariage dissous, son testament annulé, sa succession ouverte et distribuée de son vivant à ses héritiers, les biens qu'il pouvait acquérir plus tard confisqués par l'État, lors de sa mort naturelle etc. (25 C.).

C'était odieux. Déjà, lors de la discussion du Code, le premier consul s'était élevé contre ce système, surtout contre la rupture du mariage du condamné; devant les membres du conseil d'État, il prêtait à la femme de ce malheureux un langage empreint de la vivacité de ses impressions: « Elle vous dirait: Mieux valait lui ôter la vie; du moins me serait-il permis de chérir sa mémoire. Mais vous ordonnez qu'il vive, et vous ne voulez pas que je le console! »

Tout le monde était donc d'accord pour critiquer l'institution de la mort civile. Néanmoins, la réforme fut vainement demandée sous le gouvernement de Juillet. Commencée enfin sous la République de 1848, elle fut retardée par le coup d'État de décembre, et ne fut consommée qu'en 1854 (L. 8-16 juin 1850).

La mort civile est abolie par la loi de 1854. Les condamnés des trois classes qui l'encouraient sont désormais frappés d'une triple incapacité. Ainsi, celui qui eût été mort civilement, aujourd'hui 1° est dégradé civique; 2° il est interdit légal; 3o enfin, il ne peut disposer de ses biens en tout ou en partie, soit par. donation entre-vifs, soit par testament, ni recevoir à ce titre, si ce n'est pour cause d'aliments: tout testament par lui fait antérieurement à sa condamnation contradictoire devenue définitive est nul.

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Des effets juridiques de l'absence.

Il est possible qu'une personne ait disparu; est-elle vivante, estelle morte? On n'en sait absolument rien.

Cette personne est absente.

L'absence, en droit, est donc la situation d'une personne sur l'existence de laquelle plane une incertitude complète. L'absence est un fait juridique qu'il ne faut pas confondre avec la non-présence. Un commerçant est parti en voyage pour ses affaires; sa femme, ses enfants, sont-ils certains qu'il n'est pas mort? La vie est chose fragile, c'est vrai; mais il ne faut pas baser l'absence sur la possibilité d'une mort toujours imminente. L'absence est fondée sur une disparition effectuée dans des circonstances extraordinaires, anomales. Un homme est très-exact; chaque jour, à six heures du soir, il est rentré chez lui. Un soir il ne revient pas une heure, une nuit se passe, huit jours, pas del nouvelles; il y a incertitude: l'absence commence. Un homme excentrique n'a aucune régularité: il fait des voyages lointains, imprévus, ne prévient personne de son départ; il n'écrit pas quand il disparaît, et il reste plusieurs jours, plusieurs mois même, sans donner de ses nouvelles il n'est pas absent, il est non présent (112 à 143).

Les personnes présentes veillent elles-mêmes à leurs affaires.

Le législateur a dû prendre des mesures pour sauvegarder les intérêts de l'absent, pour faciliter l'exercice des droits qu'on avait contre lui, pour fixer l'attribution de ses biens si l'absence se prolonge, pour protéger les enfants qu'il laisse, etc. (113, 123, 141).

L'absence est divisée en plusieurs périodes:

1° Elle est présumée. Le tribunal du domicile de l'absent prend, pendant cette période, les mesures que nécessite l'urgence: ce sont des locataires de l'absent qui réclament des réparations, des coassociés qui demandent une dissolution et une liquidation, etc. (112 à 115).

Cette période de présomption d'absence dure cinq ans au moins, à partir de la disparition ou de la date des dernières nouvelles, si l'absent n'a pas laissé de procureur; s'il a laissé un procureur, ce soin indiquant de sa part l'intention d'être longtemps éloigné, le minimum est de onze ans (115, 120).

2o Elle est déclarée après quatre ans, s'il n'y a pas de procureur; après dix ans, s'il y en a un. Les personnes qui ont des droits subordonnés au décès de l'absent, héritiers, légataires, propriétaires de biens sur lesquels l'absent n'avait qu'un droit viager, etc., adressent

au tribunal une demande en déclaration d'absence. Le tribunal ordonne une enquête qui se fait contradictoirement avec le procureur de la République. Le jugement ordonnant l'enquète est communiqué au ministre de la justice, qui en fait publier un extrait dans le Journal officiel, et une année écoulée après la date du jugement d'enquêtepermet de faire prononcer la déclaration d'absence par le même tribunal, (115 s).

L'absence est déclarée lorsque la probabilité de la mort du disparu augmente: elle se partage elle-même en deux périodes bien distinctes.

Dans une première période, le tribunal envoie en possession provisoire des biens de l'absent les personnes dont nous avons parlé plus haut, qui ont des droits subordonnés à sa mort. Elles ne deviennent pas propriétaires, mais seulement administrateurs chargés de conserver, avec obligation de rendre compte, les biens dont elles ont le dépôt (120-129).

Dans une seconde période, commençant après trente ans écoulés depuis l'envoi provisoire ou le jugement qui a déclaré l'absence, ou lorsque l'absent, en le supposant encore vivant, eût atteint l'âge de cent ans, comme la certitude de la mort commence à effacer toutes les probabilités de la vie, il y a lieu à l'envoi en possession définitif; les envoyés sont plus que des administrateurs, ils ont les droits de propriétaires (129).

Si l'absent reparait avant l'envoi définitif, ses biens conservés lui sont rendus avec une portion plus ou moins grande de fruits, un cinquième ou un dixième, suivant la durée de l'absence. S'il reparait après, l'envoyé rend les biens qu'il a encore en nature ou la valeur dont il se sera enrichi par leur aliénation (126, 127, 132).

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Division des personnes au point de vue de la profession qu'elles exercent.

Les personnes dans une société sont partagées, en vertu de la division économique du travail, en diverses classes suivant les professions qu'elles exercent.

Il est bien évident que nous n'avons pas à nous occuper ici des lois qui peuvent réglementer le travail dans les diverses carrières ouvertes à l'activité humaine mais nous devons seulement donner des indications sur-l'influence juridique que la profession exerce sur les droits des personnes.

Il y a une législation commune, c'est-à-dire applicable à toutes les

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