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Quelles sont les attributions du pouvoir social?

Si on étudie les constitutions d'un grand nombre de peuples, on y constate que les gouvernements y ont les attributions les plus variées. L'observation des faits, l'histoire et le raisonnement permettent de diviser ces attributions en trois classes.

Les premières sont essentielles; les services de police, de justice, de guerre, en font partie. Il n'y a pas de nation ou de société possible sans la sécurité intérieure et extérieure. Faire rendre à l'individu dans la société, et à la nation elle-même qui est cette société, ce qui leur est dù, voilà le but essentiel.

Il y a une seconde classe d'attributions que j'appellerai communes ou naturelles, parce qu'on les rencontre chez presque tous les peuples, quoiqu'à la rigueur on comprenne qu'une société puisse vivre et se conserver, moins bien peut-être, sans confier ces services à son gouvernement. C'est ainsi que le pouvoir social est chargé dans tant de nations, sinon chez toutes, des services de viabilité, des postes, de ceux concernant l'hygiène publique, des renseignements commerciaux..... et bien souvent aussi de ce qu'on appelle l'enseignement primaire.

La troisième classe d'attributions comprend celles qui sont purement accidentelles : ainsi, quand l'État produit des tabacs, se charge d'élever des chevaux, accapare les chemins de fer, s'empare de l'instruction secondaire et surtout de l'instruction supérieure, et propage la religion même comme il distribue la science.

Décider quand un service rentre dans les attributions de telle et telle classe est une des questions politiques les plus difficiles à résoudre. Deux grandes écoles, extrêmes toutes deux, donnent des solutions bien opposées.

L'une voudrait ne reconnaître à la loi et par conséquent à l'État, qui est son organe, son interprète et son exécuteur, que la fonction de faire régner l'ordre, d'assurer la sécurité intérieure et extérieure; elle voudrait qu'il se débarrassât de toute autre mission, et fût restreint à être le policier, le justicier et le soldat de la nation.

L'autre, non moins absolue, tend à confier à l'État le plus grand nombre d'attributions possible, et irait même, dans ses conséquences extrêmes, jusqu'à en faire l'unique propriétaire, entrepreneur du travail et distributeur de la richesse nationale, le maître, le savant, le pontife universel.

On comprend que, pour les adeptes de cette deuxième école, il n'y a pas lieu de distinguer entre les attributions essentielles, communes ou accidentelles pour eux, l'État a tout pouvoir, et s'il n'embrasse pas encore tout, c'est un mal.

Cette conception de l'omnipotence de l'État, qui donne au législateur le droit de gouverner la volonté de l'homme dans toutes les branches de son activité, de lui imposer des lois dans toutes les directions de l'intelligence, doit être résolûment condamnée. Quiconque a souci de la dignité et de la liberté humaines la repoussera. Il m'est impossible d'admettre que le pouvoir social puisse m'interdire le mariage, m'enlever la propriété des fruits de mon travail, m'ôter l'éducation de mon enfant, etc., supprimer, en un mot, mes devoirs en supprimant ma liberté de les remplir. Quelque nom que prenne un semblable gouvernement, qu'il soit république ou monarchie, il organise le despotisme.

En fait, dans notre France, le pouvoir social a non-seulement les attributions essentielles et communes, mais il a encore un grand nombre de fonctions accidentelles.

Parmi ces dernières, les unes s'expliquent par des besoins financiers ainsi, quand l'État se fait producteur de tabac ou d'allumettes chimiques; d'autres par des convenances politiques, comme le fait d'avoir un journal officiel, une imprimerie nationale. Je ne parle pas de celles qui n'ont d'autre raison que les traditions, les mœurs ou la mode. Il en est enfin qui s'appuient sur l'insuffisance, justifiée ou non, de l'industrie privée, comme la mission d'enseigner à des degrés divers: dans ce dernier cas, du reste, il y a des motifs complexes à l'ingérence de l'État.

Objets principaux des lois françaises

Nous n'avons pas la prétention de faire une énumération complète. Les volumes du bulletin entier de nos lois remplissent des salles entières depuis 1789, le pouvoir législatif, en France, a toujours fonctionné et entassé lois sur lois. Voyons les principales divisions.

1o En tête figurent les lois constitutionnelles.

La constitution est la loi fondamentale du pays. Elle trace les limites du pouvoir social et le cercle légal de ses attributions, elle organise ses trois branches: pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, pouvoir exécutif; elle détermine leurs fonctions, leurs rapports, les moyens d'assurer leur marche indépendante.

Malheureusement la constitution, qui en limitant le pouvoir social protége la liberté des individus, n'a pas été toujours respectée en France, et nous verrons qu'en fait il n'y a pas de pouvoir judiciaire pour la faire respecter.

2o Les lois militaires déterminent la somme des services person- . nels que doit chaque citoyen, et organisent ces forces pour assurer l'indépendance extérieure et la sécurité intérieure de la nation.

3o Les lois civiles ont pur but la famille et la propriété en général : elles forment une sorte de droit commun privé.

4o Les lois publiques concernent les libertés individuelles de conscience, de presse, d'association, etc... Il s'agit des droits divers qui permettent à l'homme de vivre et de se développer.

5o Les lois administratives déterminent la somme des sacrifices que l'intérêt privé doit faire à l'intérêt général et règlent l'organisation des différents rouages du pouvoir exécutif, chargé de l'application de ces lois.

6o Les lois pénales édictent contre les violateurs de la loi des sanctions appelées peines.

Ici, il faut faire un peu d'attention. Un droit privé est violé; une sanction de l'ordre privé existe toujours la nullité de l'acte qui viole la loi ou des dommages-intérêts accordés à la personne lésée. Mais cette sanction est quelquefois insuffisante, et, d'ailleurs, souvent, en même temps que l'intérêt privé est atteint, l'intérêt social l'est aussi ; alors apparaît une sanction publique consistant en des peines variées: prison, amende, privation de certains droits, etc...

Il ne faut donc pas confondre le droit sanctionnateur et le droit pénal. Le mot droit pénal a un sens restreint : il contient les lois édictant les seules sanctions de l'ordre pénal.

L'expression droit sanctionnateur a une portée bien autrement large. Quand la loi indique, en effet, ce qui est dû à chacun, ce qui est dû au particulier ou à la société, elle forme le droit déterminateur, nommé ainsi parce qu'il précise le cercle d'action, les limites, les directions de la volonté libre.

Quand ce droit est violé, une autre loi ou une autre partie de la loi édicte les moyens à employer pour arriver à l'exécution forcée du droit, à la réparation du dommage causé ou à la punition du coupable. Ce sont les sanctions: de l'ordre privé, comme les dommages-intérêts dus par l'incendiaire à celui dont il a brûlé la maison; de l'ordre public ou pénal, comme la peine de la prison prononcée contre le coupable. L'ensemble des lois ou des dispositions qui les contiennent s'appelle

droit sanctionnateur.

En fait, dans les lois telles qu'elles sortent du travail législatif, souvent l'indication de la sanction pénale est mise à côté de la déter

mination du droit: mais la plus grande partie des sanctions publiques est chez nous comprise dans le recueil de lois appelé Code pénal.

7° Les lois financières. On les met souvent dans la classe des lois administratives: leur importance nous les fait mettre à part. Elles déterminent à quelles sources puise l'État pour payer ses différents services et comment est administrée la fortune publique. Ces sources jaillissent toujours du travail, des économies, en un mot, de la bourse des particuliers. Il ne faut donc pas oublier que l'État ne rend jamais des services gratuits: ses agents sont toujours salariés, et c'est l'impôt, payé par tous, qui fait les frais de ces fonctions variées. Donc, plus on augmente les attributions de l'État, plus on lui demande de services, plus il faut augmenter l'impôt.

8° Les lois commerciales qui gouvernent les actes importants ou spéciaux de la vie commerciale.

9o Les lois de procédure qui indiquent les moyens à mettre en œuvre pour obtenir des jugements et arriver à leur exécution. Quand le droit est de l'ordre privé, on donne à cet ensemble le nom de procédure civile; on appelle instruction criminelle la procédure à suivre pour arriver à la répression d'un fait coupable au point de vue social, c'est-à-dire puni en vertu d'une loi pénale proprement dite.

Il ne faut pas s'attacher outre mesure aux dénominations que nous venons d'employer. Beaucoup de publicistes font d'autres classifications, et par exemple donnent au mot droit administratif un sens plus étendu que celui adopté par nous.

Ces différences sont peu importantes.

Elles tiennent surtout à ce que le pouvoir législatif produit ses lois au fur et à mesure des besoins sociaux, besoins que font naître, qu'accroissent, diminuent ou éteignent les variations des idées, des richesses et des mœurs.

Les lois concernant un même objet se trouvent ainsi disséminées dans des recueils de lois, comme elles le sont dans le temps.

Quelquefois le législateur a lui même réglé une matière considérable on a donné le nom de Code à ces lois d'ensemble.

Le premier et le plus important est le Code civil, appelé souvent Code Napoléon. Une année seulement a été employée à la discussion et au vote. C'est en réalité un récueil de 37 lois, discutées et votées de 1803 à 1804, sous l'impulsion du premier Consul. On les a réunies en un seul corps de lois, et on a divisé şes dispositions en 2281 articles, ayant chacun leur numéro d'ordre, ce qui facilite les recherches, les les citations et par conséquent le travail judiciaire.

Le Code civil contient surtout ce que nous avons appelé les lois civiles, presque toutes les règles concernant la famille et la propriété en général. Mais il comprend un assez grand nombre de dispositions

sur d'autres sujets beaucoup de ses règles sont applicables à toutes les branches de la législation, ce qui en fait une sorte de droit commun auquel on recourt et que l'on applique lorsque les lois spéciales font défaut.

Le Code de procédure civile a été fait en 1806;

Le Code de commerce en 1808;

Le Code d'instruction criminelle en 1808;

Le Code pénal en 1810.

On donne encore le nom de Code forestier à une loi importante sur le régime des forêts, rédigée en 1827.

Toutes ces lois sont des lois d'ensemble dont la codification est un progrès incontestable, et contribue à faire mieux respecter le droit en permettant au pouvoir judiciaire de mieux appliquer une loi plus simple, plus claire, plus une, et ne présentant pas les contradictions qu'offrent fréquemment des dispositions émanées de législateurs différents à des époques différentes, et sous l'empire d'idées et de mœurs différentes aussi.

Les praticiens, sentant ce bienfait, ont essayé, à défaut du législateur, de codifier aussi d'autres matières importantes: ainsi ont paru des codes de la presse, des codes militaires, des codes de la pêche et de la chasse, etc...... Ce sont des ouvrages de particuliers et qui n'ont aucun caractère légal; mais ils n'en sont pas moins excellents, parce qu'ils abrégent considérablement le travail.

D'autres praticiens ont fait une œuvre également très-utile, en coordonnant sous un format plus ou moins portatif les lois les plus importantes et en faisant suivre leurs articles d'annotations indiquant les dispositions corrélatives utiles à consulter. On appelle également Codes ces éditions non officielles. Ils portent le nom de leurs auteurs. Nous avons ainsi les codes Tripier, Bacqua, Teulet, Roger et Sorel et bien d'autres. En général, une bonne édition contient : en tête la Constitution, ensuite les six codes officiels, civil, de procédure, etc., dont nous avons parlé, et enfin les lois les plus usuelles, rangées le plus souvent suivant l'ordre alphabétique des matières.

Nous entrons dans ces détails, parce qu'un de ces codes est l'instrument essentiel de quiconque veut connaître la loi : il faut savoir choisir une bonne édition et apprendre à s'en servir.

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Y a-t-il d'autres lois pour conduire les hommes que celles formulées par le pouvoir social?

Jusqu'à présent, nous avons parlé des lois imposées à la pratique individuelle par le pouvoir social et en particulier par le pouvoir en

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