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LOIS NOUVELLES

Nous avons fondu dans notre texte les lois nouvelles qui y trouvaient leur place. Quant aux autres, la plupart n'entrent pas dans le plan mais nous en exposons brièvement l'objet dans cette introduction, pour montrer quel esprit anime le législateur dans ses réformes.

Beaucoup de projets ont été mis en avant pour réformer l'organisation judiciaire : ils n'ont guère abouti. Les lois du 9 juillet 1883 et du 24 novembre 1883 ont bien introduit des innovations dans l'élection des membres des Tribunaux de commerce et des Conseils de prud'hommes, elles n'ont pas touché à l'institution. Elles ont augmenté le nombre des électeurs.

Cependant, une loi antérieure du 7 février 1880 a donné au Conseil des prud'hommes, réuni en Assemblée générale, la nomination du président et du vice-président. C'était autrefois le gouvernement qui les nommait. Si le président est pris parmi les patrons, le vice-président sera ouvrier, et réciproquement.

La loi du 30 août 1883 a innové davantage : elle a supprimé un assez grand nombre de magistrats dans le parquet et parmi les juges et conseillers: un certain nombre de tribunaux d'arrondissement et de cours d'appel ont perdu une chambre. Les jugements et arrêts ne peuvent jamais être rendus que par des magistrats délibérant en nombre impair. La Cour de cassation constitue le conseil supérieur de la magistrature; et, en cette qualité, elle ne peut statuer que toutes chambres réunies.

Dans les libertés publiques, outre les lois sur les sydicats professionnels et sur la Presse, une loi du 18 mars 1880 a supprimé les jurés mixtes pour la collation des grades universitaires. Une loi du 16 juin 1881 établit la gratuité de l'enseignement primaire, qu'une autre loi du 28 mars 1882 rend obligatoire.

Relativement aux incapables, il y a comme un double courant, le but est le même on veut les protéger plus efficacement, mais c'est quelquefois en leur donnant plus de droits.

Dans ce dernier ordre d'idées, la loi du 9 avril 1881 déroge au droit

commun.

Les mineurs sans l'intervention de leur représentant légal, la femme mariée sans l'autorisation de son mari, peuvent prendre un livret de la caisse d'épargne postale que cette loi crée. De plus, le mineur, après seize ans, la femme toujours, peuvent, seuls également, retirer l'argent déposé; mais le représentant du mineur et le mari peuvent faire opposition à ce retrait et c'est le seul droit qu'ils aient à cet égard.

Une autre loi, que réclamait la pratique, a été rendue le 27 février 1880 sur l'aliénation des valeurs mobilières appartenant aux mineurs, interdits et aliénés placés sous la tutelle ou protection des administrations hospitalières.

Défense est faite d'aliéner sans l'autorisation du Conseil de famille les rentes, actions, parts d'intérêts et autres meubles incorporels appartenant à ces incapables. Si la valeur du titre est de plus de 1,500 fr., il faut de plus l'homologation du tribunal d'arrondissement.

Le tuteur doit convertir en titres nominatifs les titres au porteur; si c'est impossible, il se fera autoriser, soit à les garder, soit à les vendre. Le Conseil de famille intervient fréquemment dans ces opérations et le subrogé-tuteur, sous sa responsabilité, doit veiller à l'accomplissement des formalités imposées au tuteur.

La loi du 5 janvier 1883 supprime la solidarité que l'art. 1734 du Code civil (p. 385) établissait entre les divers locataires d'une maison, responsables vis-à-vis du propriétaire en cas d'incendie : ils restent bien obligés dans les termes de cet article, mais chacun proportionnellement à la valeur locative de la partie de l'immeuble qu'ils occupent.

Un projet de Code rural est toujours en préparation.

Comme complément de ce Code et à l'occasion du règlement de matières qu'il contiendra, la loi du 20 août 1881 a modifié certains articles du Code civil sur la mitoyenneté. Le nouvel article 671 définit les arbres à haute tige qui ne peuvent être plantés qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages: ce sont ceux dont la hauteur dépasse deux mètres.

D'après une modification apportée à l'art. 673 du même Code, le propriétaire, sur le fonds duquel avancent les branches des arbres du voisin, peut contraindre celui-ci à les couper, et tant qu'il ne l'a pas fait, il a au moins droit aux fruits qui tombent naturellement sur son terrain.

Cette même loi a fait passer dans le Code civil sur le droit de passage, en cas d'enclave, un certain nombre d'interprétations excellentes que la jurisprudence avait donnés aux articles du Code et qui ne peuvent plus par conséquent être contestées.

On sait combien sont considérables les frais de justice. Nous avons exposé la difficulté des réformes (p. 637 et s.): les droits du Trésor public y sont engagés. Il faudrait une réforme combinée des lois fiscales et des lois sur la Procédure.

Une loi du 23 octobre 1884 a pourvu à ce qui était le plus urgent: les ventes judiciaires. Le plus souvent, le prix d'adjudication pour les plus petites ventes était non seulement absorbé par les frais, mais le vendeur devenait le plus souvent débiteur d'une partie des frais.

Désormais, quand le prix d'adjudication n'excédera pas 2,000 fr., toutes les sommes payées au Trésor public pour droits de timbre, d'enregistrement et d'hypothèque, seront restituées. De plus, si le prix est inférieur à 1,000 francs, les officiers ministériels ou agents de la loi subiront une réduction d'un quart sur leurs émoluments taxés.

On connaît les objections faites au résumé adressé au jury par le président de la Cour d'assises après la clotûre des débats; nous avons essayé de montrer quelles difficultés pratiques il présentait. Une loi du 11 juin 1881 a supprimé ce résumé : le dernier mot appartient aujourd'hui à l'accusé et à son défenseur.

Des réformes importantes dans le Code pénal et dans le Code d'ins

truction criminelle sont depuis longtemps en discussion. Nous rencontrons une première loi sur la surveillance et les récidivistes, promulguée le 27 mai 1885.

La surveillance de la haute police était une peine accessoire d'une gravité considérable. Prononcée pour un certain nombre d'années par une décision judiciaire, elle obligeait le condamné, après l'exécution de la peine principale, à résider dans un lieu déterminé sous la surveillance de la police. S'il quittait cette résidence sans l'accomplissement des formalités légales, il commettait le délit de rupture de ban et était condamné à l'emprisonnement. On a souvent vu un prévenu comparaître devant les tribunaux avec un casier judiciaire portant dix, quinze, vingt condamnations et même plus pour rupture de ban.

Cette surveillance est abolie et remplacée par l'interdiction de séjour. Le tribunal ou la cour, dans les cas où la peine de la surveillance était ou pouvait être appliquée, prononceront ou pourront prononcer pour la même durée l'interdiction de séjour : dans ce cas, l'administration fixera au condamné, avant qu'il ait achevé l'exécution de la peine principale, le lieu où les lieux dans lesquels il lui sera interdit de paraître sous peine de commettre le délit de rupture de ban.

La différence est grande. Autrefois, la France entière était fermée au surveillé, sauf le lieu fixé pour la résidence; désormais, toute la France est ouverte au condamné frappé d'interdiction de séjour, sauf telle ou telle localité déterminée. On n'entendra plus cette réponse éternelle et malheureusement souvent vraie des prévenus de rupture de ban: « Pourquoi avez-vous quitté le lieu de votre résidence? » « Je n'y trouvais pas d'ouvrage ».

Une réforme plus considérable, quoiqu'elle se combine avec la précédente, est la possibilité pour les tribunaux, dans les cas limitativement prévus par la loi, de prononcer la rélégation contre certains récidivistes.

La rélégation consiste dans l'internement perpétuel des condamnés sur le territoire de colonies où possessions françaises. Le danger que faisaient courir à la sûreté publique les récidivistes de plus en plus nombreux, a fait édicter cette pénalité. « En 1880, il est sorti des maisons

centrales 7,287 condamnés. Sur ce nombre, 2,676 environ, les deux cinquièmes, ont été repris et condamnés de nouveau jusqu'au 31 dé«cembre 1882: 1,288 une fois, 658 deux fois, 310 trois fois..., etc. »

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Cette répression sévère de récidivistes, qui sont la terreur du pays, répond surtout à un mal présent. On y a recouru en attendant la réforme des prisons, devenues des lieux de perversion. Mais il fallait pour l'avenir des moyens préventifs qui, en dehors de cette réforme coûteuse, permissent de corriger le condamné, d'espérer et d'obtenir son amélioration qui paraît impossible lorsqu'on se croit obligé de le chasser de France par la rélégation. De là la loi du 14 août 1885, complémentaire, on peut le dire, de la précédente.

Cette loi a un triple objet :

Elle permet au gouvernement d'aider des sociétés de patronage par des subventions en rapport avec le nombre des libérés réellement patronnés par elles.

Elle entoure de garanties nouvelles la réhabilitation des condamnés. Cette réhabilitation ne sera plus prononcée par l'administration: le condamné qui demandera sa réhabilitation est admis à présenter luimême ou par un défenseur les moyens à l'appui de sa demande; la Cour d'appel (chambre d'accusation) par arrêt, au lieu d'un avis qu'elle donnait, accordera ou refusera directement la réhabilitation.

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Mais la partie la plus importante de la loi est l'introduction d'une institution qui fonctionne déjà en Angleterre, en Allemagne, aux ÉtatsUnis la libération anticipée et conditionnelle, offerte comme une prime au condamné qui s'est bien conduit dans la prison. Un arrêté ministériel accorde cette libération, un semblable arrêté la révoque dans le cas où avant le temps qui restait à courir pour l'expiration de sa peine, le condamné se conduit mal et se fait arrêter. Le condamné à la rélégation même peut être ainsi libéré et échapper par une bonne conduite prouvée à la peine de la rélégation.

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