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cette tendance était la raison capitale pour laquelle le pape Jean XXII, voué de cœur et d'âme à la France, se montrait fort peu disposé à donner au débat suscité par la vacance du tròne germanique une solution satisfaisante pour le sentiment national du peuple allemand. Cette circonstance, ainsi que le différend survenu entre le pape et Louis de Bavière, demande un examen spécial qui doit porter en même temps sur la nature du conflit et sur les principales phases qu'il parcourut. Ici encore la lutte ne se renferme point dans le domaine des faits, la théorie descend aussi dans la lice, et y joue un rôle important; on y voit figurer plusieurs constitutions papales, réunies soit dans le Corpus juris, soit dans le recueil des Extravagantes de Jean XXII, et d'une importance plus grande qu'on ne pourrait le croire au premier aspect.

S CXXXIII.

Louis de Bavière en conflit avec le pape Jean XXII et ses deux

successeurs.

Dans l'élection qui eut lieu le 19 et le 20 octobre de l'année 1314. Frédéric d'Autriche avait eu, le premier jour, deux voix incontestables sur sept, plus une troisième, douteuse. Le lendemain, Louis de Bavière avait réuni les quatre autres. A cette époque, aucune loi ne fixait encore une règle bien précise de majorité; aucun des deux princes ne voulut se désister, et tous deux furent couronnés le même jour, le premier à Rome par l'archevêque de Cologne, l'autre à Aix-la-Chapelle par l'archevêque de Mayence.

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La situation se trouvait à peu près la même qu'après la mort de Henri VI (S 127), mais compliquée de difficultés bien plus graves. Dans cet état de choses, une prompte décision du saint-siége aurait peut-être rétabli l'ordre et prévenu de plus grands désastres; mais l'Église romaine était veuve de son chef. Cependant, alors même que Jean XXII eût

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déjà été élu, ce qui ne devait avoir lieu que deux ans plus tard, sa position eût été tout autre que celle d'Innocent III. Celui-ci avait à décider entre deux princes, dont l'un venait d'être mis au ban de l'Église; il jouissait lui-même d'une pleine et entière liberté, et l'autorité du saint-siége et du pape ne rencontrait partout qu'obéissance et respect. Mais depuis, les choses avaient bien changé : d'un côté, rien de semblable à ce qui existait dans le premier cas qui pût faire ici pencher la balance en faveur de l'un des deux prétendants ; de l'autre, dépendance presque absolue du pape à l'égard de la France, et celui-ci se prêtant volontiers, comme Français, à ce rôle passif. Et pourtant c'était un temps où, pour donner du poids à une décision de cette importance, il aurait fallu un caractère imposant et irréprochable sous tous les rapports. Toutefois, on doit rendre cette justice à Jean XXII, qu'aussitôt après son avénement au trône pontifical, il prit les mesures les plus convenables pour terminer à l'amiable la querelle de la double élection. A l'exemple d'Innocent III, il ne s'immisça dans ce conflit que pour exhorter les princes à la paix et pour recommander plus tard la modération à Louis de Bavière, vainqueur de son adversaire (1).

La question une fois tranchée par les princes allemands eux-mêmes, elle l'était, par ce seul fait, pour le saint-siége; le pape n'avait plus qu'à reconnaître le roi unanimement accepté par la nation, et à l'appeler à recevoir la couronne impériale. Malheureusement, les choses prirent un cours bien différent; tant que le pape n'avait point confirmé l'élection, aucun des deux prétendants n'avait de titre incontestable à l'empire, par conséquent aussi ne pouvait légitimement exercer en Italie aucune prérogative impériale quelconque. C'est néanmoins le droit que s'arrogea Louis de Bavière, non-seulement en instituant un vicaire impérial pour la Péninsule, mais encore en accordant des secours armés à Galeazzo Vis

(1) Raynald., ann. 1316, n. 10, t. XV, p. 143.- Furst Lichnowsky, Gesch. d. Hauses Habsburg, Bd. ÍII, S. 107.

conti, qui s'était mis en révolte ouverte contre l'Église, et se trouvait, par cette raison, frappé de censures et assiégé dans Milan par le roi de Naples (1). C'est en perdant de vue cette circonstance qu'on s'est montré injuste envers Jean XXII, en lui reprochant d'avoir le premier ouvert la lutte qui mit encore une fois aux prises la puissance spirituelle et la monarchie allemande (2). La conduite de Louis, et surtout le concours actif qu'il prêta aux adversaires du pape, tant dans le domaine de la politique que dans celui de l'ordre spirituel (3), était un outrage sanglant pour le chef de l'Église. Jean y répondit par une menace d'excommunication (4), menace dont l'effet ne se serait probablement pas fait attendre, si elle fût tombée de la bouche d'Innocent III, Louis s'empressa d'envoyer des ambassadeurs au pape pour lui demander un sursis de deux mois (5), et l'ayant obtenu, il mit ce temps à profit pour protester devant les États contre le procès qui lui était intenté (6).

Dans de telles conjonctures, hésiter encore à recourir aux voies de rigueur, c'eût été pour Jean XXII un acte inexcusable de faiblesse; aussi se refusa-t-il à de nouvelles temporisations, et, le mois de mars de l'année 1314 (7), il fulmina contre Louis la sentence d'excommunication, suivie peu après d'une déclaration portant que ce prince ne pouvait être élu roi des Romains (8); cette excommunication impliquait la peine de l'interdit ipso facto pour les États et les corporations qui resteraient plus longtemps dans le parti de Louis. Cependant, c'était une opinion généralement répan

(1) Raynald., ann. 1322, n. 8, p. 230.

(2) Bohmer, Regesten Kaiser Ludwigs des Bayern, 1323, jun., S. 215. (3) Raynald., ann. 1324, n. sqq., n. 9, p. 275 sqq.

(4) Raynald., ann. 1323, n. 30, p. 158. — Olenschlager, Erläuterte Staatsgeschichte des rœmischen Kaiserthums in der ersten Hælfte des vierzehnten Jahrhunderts. Urk. N. 26, S. 81.

(5) Olenschlager, a. a. O., N. 38, S. 93.

(6) Herwart ab Hohenburg, Ludovicus quartus imperator defensus, p. 245. Gewold, Defensio Ludovici IV imp.

(7) Olenschlager, a. a. O., N. 39, S. 96.

(8) Olenschlager, a. a. O., N. 42, S. 106.

due en Allemagne, que le pape avait porté atteinte aux prérogatives des princes électeurs; Jean se vit dans la nécessité de la réfuter (1). Les électeurs avaient sans doute leurs droits, que le pape lui-même devait reconnaître et respecter; mais ils avaient aussi leurs devoirs, et, parmi ces devoirs, l'un des plus impérieux, depuis les tristes expériences de plus d'un siècle, était celui de réunir unanimement leurs suffrages sur un même candidat; en cas de partage, la coutume, depuis longtemps établie, voulait que le collége électoral attendit la décision du pape (2). Tant qu'il n'y eut pas de règle déterminée de majorité légale, et que néanmoins les électeurs manquaient d'unanimité, c'était là l'unique principe conciliateur sans lequel, à la mort de chaque roi, l'Allemagne eût été déchirée par des luttes sanglantes, comme cela n'arrivait encore que trop souvent. Cette coutume, fréquemment invoquée à dater de la déposition d'Othon IV (§ 128), avait son fondement, non point dans l'usurpation des papes, oublieux de leurs devoirs, mais dans l'oubli où les électeurs étaient tombés à l'égard de leurs propres obligations.

Quant à cet autre usage qui investissait le souverain pontife du droit de contrôler même l'élection unanime, il dérivait de la même source. L'expérience n'avait que trop souvent dévoilé au chef de l'Église la cupidité des princes électeurs, qui se préoccupaient beaucoup plus du haut prix qu'ils recevaient en échange de leurs voix, que des intérêts et de la dignité de l'Église. Ce n'est pas que le roi élu à l'unanimité n'entrat immédiatement dans le plein exercice de son pouvoir gouvernemental, mais il devait être bien entendu pour lui que, si des raisons décisives d'infirmer son élection venaient à se révéler, il ne pouvait compter sur la reconnaissance du saint-siége qu'après avoir levé l'empêchement,

(1) Olenschlager, a. a. O., N. 40, S. 104.

(2) Richard avait relevé d'avance plusieurs villes du serment qu'elles lui avaient prêté dans le cas où son élection aurait dû n'être pas ratifiée par le saintsiége. Bæhmer, Cod. dipl. Mœno-Françof. 1, 116.

comme l'avait fait Henri VII, soupçonné de haute trahison contre Albert, par une justification écrite.

Louis excommunié, le pape aurait pu, d'après l'usage d'alors, reconnaître Frédéric le Beau comme roi de Rome, en lui promettant la collation ultérieure de la couronne impériale; mais Frédéric, homme faible, et qui, sous bien des rapports, était loin de répondre aux espérances qu'on avait conçues de lui, avait conclu avec Louis cet étrange traité par lequel il convenait de gouverner conjointement avec lui le royaume d'Allemagne (1). Cet acte n'était pas de nature à encourager les dispositions bienveillantes de Jean XXII. Toutefois, le véritable motif des prétextes de toutes sortes au moyen desquels ce pontife ajournait indéfiniment la reconnaissance du nouveau roi, c'était l'influence française, ou plutôt son propre orgueil national, qui se complaisait dans la pensée de voir la couronne impériale sur la tête du roi de France. C'est sous l'empire de cette pensée qu'il invita les princes allemands à procéder à une nouvelle élection, sans prononcer même le nom de Frédéric.

Quant à l'intention du pape d'écarter du trône Louis de Bavière, la conduite de ce prince ne permettait aucun doute à cet égard. Non-seulement il n'avait absolument rien fait pour se réconcilier avec le chef de l'Église, mais il avait mis au contraire tout en œuvre pour rendre tout rapprochement impossible. Non content d'être entré en conquérant (2) daus l'Italie, qui depuis longtemps appelait en vain de ses vœux un empereur; non content de s'ètre fait sacrer à Rome par des évêques schismatiques, et couronner du diadème impé

(1) Baumann, Voluntarium imperii consortium inter Frider. Austr. et Ludov. Bavar. (Fracf. et Lips. 1735, in-fol.), p. 92. Le traité fut conclu le 7 septembre. Dès avant, des lettres d'Allemagne avaient donné au pape avis d'un projet d'après lequel Frédéric devait gouverner le royaume, et Louis, l'empire (Bœhmer, S. 217, n. 41). Il est encore question d'un autre traité qui stipulait, de la part de Frédéric, cession du royaume en faveur de son oncle; mais ce point n'est pas encore suffisamment éclairci (Id., S. 50).-Eichhorn, Deutsche Staats und Rechtsgeschichte, Bd. III, § 391, note d.

(2) Barthold, der Romerzug Kaiser Heinrich VII, Bd. II, S. 510.

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