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dogme chrétien par les Slaves établis dans l'intérieur de l'Allemagne et les pays circonvoisins. Dans l'intervalle, un grand nombre de peuples germains, notamment les Ostrogoths et les Visigoths, les Vandales, les Lombards et les Bourguignons, avaient embrassé l'hérésie d'Arius; mais, comme consolation à ces défections douloureuses, l'Église voyait surgir, dans la personne de Clovis, un Constantin d'Occident; c'est ainsi que Grégoire de Tours appelle l'illustre néophyte de saint Rémy (1). Clovis reçut le baptême avec plusieurs milliers de ses fidèles compagnons d'armes; et, à dater de ce jour, les Francs marchèrent constamment à la tête de la civilisation chrétienne, comme les véritables dépositaires de la foi de l'Église. Cependant, le reste des Germains rentra peu à peu dans le sein de l'orthodoxie.

Chez les Romains (§ 117), la conversion au christianisme avait dû entraîner la séparation complète du sacerdoce d'avec la royauté; il en fut de même chez les Germains. Sous l'empire du paganisme, la noblesse germanique, la famille royale en tête, formait aussi le corps sacerdotal (2); mais, en devenant chrétienne, il lui fallut renoncer à ce dernier caractère (3). Jusque-là elle avait reçu dans ses mains les insignes du pontificat et le glaive protecteur du culte national; à l'avenir, elle devait se borner à défendre la religion sur les champs de bataille, et laisser toutes les fonctions du divin ministère au sacerdoce chrétien (4).

Il y avait donc désormais deux noblesses : l'une séculière, l'autre cléricale, se réunissant sous la présidence du roi, qui avait lui-même renoncé à son titre de suprême pontife, pour n'être plus que le suprême défenseur de l'Église dans son royaume (5). Pendant très-longtemps, les intérêts religieux

(1) Gregor. Turon., Hist. eccl. Franc. II, 31. (2) Deutsche Geschichte, Bd. I, S. 111, S. 419.

(3) Deutsche Geschichte, Bd. I, S. 462.

(4) Angelsachsische Rechtgeschichte, S. 234. Deutsche Geschichte, Bd. 1, S. 472. Richter, Kirchenrecht, § 22, S. 44.

(5) Engl. Reichs- und Rechtsgeschichte, Bd. II, S. 14, S. 28.

furent l'objet le plus important des délibérations de la diète, et quoique en réalité les évêques fussent seuls appelés dans les synodes à régler les choses spirituelles, souvent aussi les conseils de la nation, par leur étroite connexion avec les conciles, concoururent aux règlements relatifs à ces mêmes matières (§ 83).

C'est ainsi, et grâce surtout à l'action bienfaisante de l'Église, que l'esprit du christianisme a pénétré peu à peu toute la constitution germanique, dont ce n'est pas ici le lieu de tracer le tableau (1), et transformé complétement les mœurs des races germaines. Mais ici encore on voit l'Église procéder avec les plus grands ménagements à l'égard de l'ordre de choses établi (§ 68), et, tout en vivifiant et ennoblissant les formes païennes des anciennes institutions germaniques, elle ne put éviter qu'il n'en passât quelque chose aussi dans l'économie du droit ecclésiastique. Cette économie avait atteint déjà son entier développement dans l'empire romain, et, en vertu du principe: Ecclesia vivit lege romana (2), le droit romain continua à régir la législation des églises de la Germanie. Aussi, non-seulement les décrets impériaux qui reconnaissaient les possessions de l'Église, les prérogatives du clergé et la juridiction ecclésiastique, et abandonnaient à l'Église une part considérable dans l'administration civile (§ 118), eurent-ils leur application dans les nouveaux États; mais les souverains de ces États ajoutèrent encore de plus grands priviléges à ceux qui déjà avaient été conférés à l'Église (3). Les biens ecclésiastiques surtout prirent dans tout l'Occident un accroissement extraordinaire, en même temps que les princes chrétiens, suivant à cet égard les principes du droit allemand, prodiguaient à ces mêmes biens les plus larges immunités (4).

Ce sont ces possessions territoriales de l'Église qui con

(1) Deutsche Geschichte, Bd. I, § 23, Bd. II, § 53.

(2) Lex Ripuar., tit. 58, c. 1.- Deutsche Geschichte, Bd. I, S. 493. (3) Deutsche Geschichte, Bd. II, § 52, S. 331.

(4) Ibid., Bd. I, S. 495.

tribuèrent puissamment à étendre l'influence du droit germanique sur le droit ecclésiastique, comme cela se voit spécialement en matière de bénéfices.

Admis dans la catégorie des vassaux immédiats de la couronne, les évêques en remplissaient les obligations, quoique ce ne fût pas toujours d'une manière personnelle (1); comptant, en toutes circonstances, sur le secours des organes de la puissance séculière, ils lui prêtaient de leur côté un appui constant et dévoué. Ce n'était donc pas chose rare que de voir des évêques et des comtes siéger ensemble au même tribunal (2), et, dans le domaine même de la procédure, comme dans maint autre objet, le mélange de l'élément germanique et de l'élément ecclésiastique produire un échange mutuel de principes.

La constitution que nous devons désormais appeler germanico-chrétienne arriva à l'apogée de son développement sous le grand et pieux monarque qui, du haut de la dignité impériale, restaurée dans sa personne, domine incomparablement tous les autres princes d'Occident (§ 119). Aussi, la législation carlovingienne, profondément imbue du véritable esprit du christianisme, et, par suite, émanée du principe de l'accord intime des deux pouvoirs, comme de sa source essentielle, a-t-elle droit d'être signalée, sinon pour la forme, du moins pour le fond et l'objet, comme la plus parfaite des législations humaines.

Le titre le plus glorieux de la constitution germanicochrétienne, qui l'élève au-dessus de toutes les autres œuvres de ce genre, c'est d'avoir inauguré dans l'état monarchique le règne de la véritable liberté. En effet, si par liberté on entend autre chose que le droit accordé à chacun de s'abandonner au caprice d'une volonté sans frein, et si, d'autre part, la liberté n'existe jamais moins que quand le prince prétend être seul à en jouir ; en d'autres termes, si elle n'est dans ses

(1) Deutsche Geschichte, Bd. I, S. 469, Bd. 11, S. 314, S. 407. (2) Englische Reichs- und Rechtsgeschichte, Bd. 1, S. 106.

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véritables conditions, qu'alors que chacun, dans sa sphère respective, peut donner satisfaction à ses droits, il ne saurait y avoir une constitution aussi profondément libérale que celle dont les capitulaires carlovingiens avaient doté le nouvel empire d'Occident.

Charlemagne avait trouvé dans les vieilles institutions germaniques et dans le paganisme lui-même un puissant levier pour la réalisation de son œuvre législative, et l'Église, avec son esprit de mansuétude et de charité, en adoucissant le sens grossier et la forme brutale du droit séculier, lui en avait fourni un autre plus fort et plus puissant encore.

Ce qui distinguait surtout la constitution germanico-chrétienne, c'était son économie organique, reliant entre eux, par le serment et la fidélité, comme par un ciment indélébile, les différents membres de la hiérarchie militaire. Basée, dans ces conditions, sur le droit divin, elle tirait encore de ce fondement éternel une nouvelle force vitale (1).

Les rois, élevés par la grâce de Dieu au degré culminant de la hiérarchie politique, étaient affermis dans leur dignité par ce même droit divin, dont les principes, enseignés par l'Église aux autres membres du pouvoir gouvernemental, leur apprenaient à reconnaître dans la puissance royale une autorité instituée de Dieu, et à lui obéir. Et cependant, cette organisation si vigoureuse du principe monarchique n'engendrait point l'arbitraire et le despotisme; ce n'était point ce système de centralisation absorbante qui ruine toutes les libertés (2), le serment des vassaux d'être fidèles à leurs souverains ayant pour corrélatif la promesse faite par ceux-ci d'agir toujours en féaux seigneurs (3), et l'Église enseignant

(1) Deutsche Geschichte, Bd. II, S. 361.

(2) V. Haller, Restauration der Staatswissenschaften, Bd. V, S. 310.

:

(3) Voyez le serment prêté par Charles le Chauve à ses vassaux (Pertz, Monum. Germ. hist., tom. III, p. 457) : — Et unicuique competentem legem et justitiam conservabo. Et qui illam necesse habuerit et rationabiliter petierit, rationabilem misericordiam exhibebo, sicut fidelis rex suos fideles per rectum honorare et salvare et unicuique competentem legem et justitiam in unoquoque ordine conservare et indigentibus et rationabiliter petentibus rationabilem mi

aux rois à maintenir intacts et inviolables les droits de chacun, à quelque degré de la hiérarchie sociale ou politique qu'il pût être placé.

Ce qui contribuait le plus puissamment à revêtir, aux yeux du peuple l'autorité temporelle d'un caractère sacré, c'était le couronnement des rois, qui avait quelque analogie avec l'ordination des évêques (1). Cette cérémonie, toute religieuse, consistant en bénédictions et en prières, en onctions faites avec l'huile sainte, comme symbole de la grâce et de de la vertu divines, guérissant toutes les infirmités et blessures morales (2), et, dans la présentation des divers emblèmes, se rapportant à la dignité royale, avait pour but de christianiser et de consacrer la royauté, et avec elle tout le royaume dans l'acception la plus rigoureuse du mot. Aussi désignait-on usuellement et dans un sens large le couronnement des princes occidentaux par le mot de sacramentum (3), sans le considérer toutefois, ainsi que le faisait l'Église orientale (§ 83), comme un huitième sacrement. Le sacre des rois est une proclamation solennelle de ce principe de droit divin, que le pouvoir suprême ne vient pas du peuple, mais de Dieu; il est moins la proclamation d'un droit naissant que la consécration d'un droit préexistant, même dans les États électifs (4); il montre au prince qui le reçoit la sublimité du pouvoir dont il est revêtu, en même temps que la grandeur de ses obligations; mais il ne montre pas moins au peuple combien il doit honorer par sa fidélité et son obéissance l'élu de la puissance divine, et tout ce qu'il a aussi à attendre de

sericordiam debet impendere. Et si per fragilitatem contra hoc mihi subreptum fuerit, quum hoc recognovero, voluntarie illud emendare curabo. (1) Haller, a. a. O., p. 307 sqq.

(2) Petr. Bles. Epist. 10, ad G. capellanum, dit du roi de Sicile, qui s'était conduit si indignement à l'égard de l'Église, immédiatement après son couronnement: Virtus equidem consecrationis ab hujusmodi violentiis eum utinam temperasset: magna est enim hujus efficacia sacramenti.

(3) Voyez la note précédente.

(tom. II, col. 374).

·Petr. Damian. Serm. 69, in dedic. Eccles.

(4) Abhandlung uber Erb- und Wahlrecht mit Besondrer Beziehung auf das Koenigthum der germanischen Boelker, S. 14.]

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