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royal sur la recommandation de Du Puy (1), se laisser entraîner à la suite de celui-ci, et, dans ses dissertations de Concordia sacerdotii et imperii, élever la voix en faveur des libertés gallicanes (2).

Le récit de toutes les particularités de cette querelle si funeste à l'Église (3) nous conduirait beaucoup trop loin; toutefois, il est nécessaire, avant d'aborder la nouvelle phase inaugurée par les déclarations de 1673 et de 1682, de reproduire quelques-unes de ces prétendues libertés que les gouvernements séculiers ont prises pour règles dans les prétentions qu'ils se sont crus en droit d'élever contre l'autorité papale.

Au nombre de ces libertés figure d'abord l'appel commé d'abus, resté en vigueur dans les lois françaises depuis la pragmatique sanction (4). Réputé pleinement illégal (§ 134) avant le concordat, au témoignage d'Aufrère, président du parlement de Toulouse en 1514, ce recours à la puissance civile contre les actes du pouvoir ecclésiastique avait dû, depuis, être encore bien plus décrédité. Bien loin de là, dès le règne de François Ier, surtout à dater de l'année 1533, il était très-fréquemment usité; et ce roi, l'une des parties contractantes du concordat, publiait en 1539 l'ordonnance de Villers-Cotterêts, dans laquelle il considérait cet appel

(1) Baluze, Vita P. de Marca, § 6, p. 28.

(2) 1641. — Baluze, a. a. O., § 8, p. 30, prétend que l'appendice de ce livre: Seu de libertatibus Ecclesiæ gallicanæ, n'est qu'une spéculation du libraire; il n'en est pas moins vrai que Pierre de Marca se crut obligé, non-seulement de soumettre son ouvrage au jugement du saint-siége, mais encore de composer, en faveur de Rome, un autre livre dont Baluze a jugé à propos de frustrer le pu blic. -V. de Maistre, ibid., p. 143.

(3) (Affre), a. a. Q., p. 95.

(4) Aufrerius, in add.; resp. Clem., 1, de Off. ord. Reg. 2, n. 30 (Mém. du Clergé, tom. VI, col. 61): In hoc regno ubi potestas ecclesiastica abutitur notorie sua jurisdictione vel potestate, etiam contra clericos, concedi solent per Cancellarium litteræ, in casu appellandi ab abusu notorio vulgariter nuncupatæ. De quibus sæpe dubitavi, ubi fundari poterant in jure; etsi officiales (die des Parlaments) multas rationes allegant: nunquam tamen audivi neque vidi, nisi semel, quod super meritis hujusmodi causarum appellationum fuerit pronuntiatum; sed duntaxat vel appellationes annullari, aut quod appellantes non erant ut appellantés recipiendi ; quia a judice spirituali non est ad judicem sæcularem appellandum. — (Affre), a. a. O., p. 74, not. 2.

comme faisant partie intégrante de ses moyens légaux de gouvernement, toutes les fois qu'il ne s'agissait ni de discipline, ni de réforme de mœurs, ni de visite pastorale; dans ces derniers cas, l'appel comme d'abus ne devait avoir qu'un effet dévolutif dans le sens des canons (1). A partir de ce moment, l'épiscopat, fit en vain entendre ses plaintes. Les édits royaux furent eux-mêmes impuissants; le parlement les frappait toujours de stérilité en se retranchant derrière les termes de l'ordonnance, qui, d'autre part, avait considérablement restreint la juridiction de l'Église. Le pouvoir juridictionnel des évêques se trouva tellement paralysé, que Fénelon n'était que trop autorisé à signaler l'abus énorme de l'appel comme d'abus (2). Il n'y eut que l'énergique volonté de Louis XIV qui opposa une barrière à la marche envahissante des parlements, notamment par la publication de son édit de 1695. Mais après la mort du grand roi, le jansénisme s'empara de la question, et dès lors l'Église tomba tout à fait dans la servitude des hautes cours de justice, qui cumulaient arbitrairement le rôle d'accusateur et celui de juge (3). En même temps une guerre ouverte fut déclarée au saint-siége, et l'on ne garda plus aucun ménagement à l'égard des bulles papales, vis-à-vis desquelles on avait du moins agi jusqu'alors avec un certain respect extérieur (4).

L'appel comme d'abus entraîne toujours à sa suite le placitum regium; aussi, cette dernière prérogative occupe-t-elle une place importante parmi les libertés gallicanes (5). L'histoire nous montre, il est vrai, divers souverains employant ce singulier moyen de protéger les canons, antérieurement à la pragmatique sanction (6); mais le placet n'apparaît dans

(1) Héricourt, a. a. O., E, chap. 25, n. 33, p. 396.— (Affre), a, a. O., p. 79. Héricourt, a. a. O., chap. 19, n. 4, p. 308.

(2) (Affre), a. a. O., p. 105.

(3) Id., ibid., p. 98, 103, 105, 109.

(4) Héricourt, a. a. O., E, chap, 25, n. 31, not. 1, p. 396.

(5) Art. 43, art. 77, art. 44.

(6) (Dupin), de Potest. eccl. et temp. Vindob. 1766, p. 366.- Richter, Kirchenrecht, § 182, note 1.

son entier développement, comme principe législatif, qu'après la promulgation de cet acte, qui n'était lui-même que le résultat de l'examen des décrets du concile schismatique de Bâle, transmis par ce concile au roi de France (1). En le présentant comme une des libertés de l'Église gallicane, ce prince était fondé à invoquer aussi l'exemple de l'Espagne, où le placet était pratiqué, notamment par Charles V, à l'égard des bulles papales avec fort peu de ménagements. En France voici quelle était la théorie de ce droit : les bulles du pape sont bien véritablement des lois générales de l'Église ; mais elles ne sont exécutoires qu'autant qu'elles ont été reçues par l'Église gallicane. Elles avaient donc besoin au préalable d'être promulguées par les évêques, qui eux-mêmes ne pouvaient faire cette promulgation qu'avec l'agrément des parlements (2). Il va sans dire que l'on étendait cette condition même aux décrets dogmatiques, par la raison qu'il pouvait arriver qu'il s'y mêlat quelque chose ayant trait à la discipline (3).

Il résultait de tout cela que, sans l'approbation du roi et des parlements, le pape n'avait pas le droit de faire une nouvelle loi obligatoire pour la France. Par une conséquence naturelle, les défenseurs des libertés gallicanes lui refusaient pareillement celui de dispense, dans les cas pour lesquels ce droit ne lui avait pas été formellement accordé par les conciles œcuméniques (4). Ces libertés enlevaient, spécialement, au souverain pontife la faculté de dispenser des empêchements relatifs à la réception des bénéfices (5), ainsi que des prescriptions des statuts des différentes églises cathédrales et collégiales (6).

Dans de telles conditions, il était tout naturel que l'on

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n'accordat aucune espèce de juridiction aux nonces apostoliques (1). Les légats a latere que le pape envoyait à cette France, autrefois sa plus fidèle alliée, devaient eux-mêmes, en vertu d'un article des libertés gallicanes (2), se résigner à subir un procédé outrageant au plus haut degré pour le chef de l'Église (3); le légat, qui ne pouvait pas même entrer en France sans avoir été demandé et agréé par le roi, devait promettre sous serment, oralement et par écrit, de n'exercer son mandat dans le royaume que dans la mesure et la durée qu'il plairait au roi de lui assigner, et conséquemment aussi de cesser ses fonctions aussitôt qu'il lui serait donné connaissance que telle était la volonté du roi. Cette promesse supposait également que le légat ne devait rien faire qui fût en opposition avec les libertés gallicanes, les décrets, les conciles généraux, les priviléges de l'Université. Dans ce but, le légat du pape était tenu de soumettre ses pouvoirs à la vérification du parlement et aux modifications qui pourraient y être faites et auxquelles il avait ensuite à se conformer strictement dans tous les cas.

Cet exposé suffit à révéler toute la tendance des libertés gallicanes, et c'est à peine si, pour les caractériser davantage, il est besoin d'ajouter qu'elles donnaient au roi le droit de convoquer et de confirmer les conciles nationaux et provinciaux (4) et juridiction sur les clercs attachés immédiatement à sa cour (5), et déniaient absolument au pape la faculté de lever des taxes sur les bénéfices (6). Nous remarquerons seulement que les moyens adoptés pour le maintien des libertés gallicanes (7) étaient en harmonie parfaite avec le but; il n'y avait pas à s'y méprendre: entente amicale du roi avec le pape ou son délégué, examen attentif de toutes les bulles,

(1) Héricourt, a. a. O., chap. 7, n. 4, p. 230.

(2) Art. 11, 31, 45, 58, 59, 60.

(3) Héricourt, a. a. O., chap. 7, n. 6, p. 230, n. 8, p. 235. (4) Art. 10. Héricourt, a. a. O., chap. 14, n. 21, p. 282.

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appel des décisions papales au prochain concile, enfin appel comme d'abus, toutes choses qui, à l'exception de la première, n'étaient que des voies ouvertes au schisme et à l'hérésie.

Il était inévitable qu'après avoir régi près de deux siècles la nation française, ces principes ne finissent par être aussi acceptés d'une partie du clergé, et ne le disposassent à faire cause commune avec les parlements, dans leurs tendances schismatiques. Heureusement ces tendances avaient constamment rencontré un obstacle puissant dans les rois eux-mêmes, plus fidèlement attachés que les parlements à la foi de l'Église. La volonté inflexible de Louis XIV, devant laquelle tout était obligé de se courber, était, sous ce rapport, un bonheur pour l'Église; mais elle pouvait aussi lui devenir fatale, et ce danger se réalisa. Le second concile de Lyon (1274) avait reconnu dans son douzième canon les droits de régales perçus par les rois de France pendant la vacance des siéges épiscopaux, mais seulement pour les siéges déjà assujettis à cette charge. Louis voulut étendre ces droits à tous les siéges de son royaume (1). Les parlements s'empressèrent de proclamer l'universalité des régales comme une chose qui allait de soi, attendu, disaient-ils, que la couronne de France était ronde, et dans l'année 1673, une commission d'évêques fit également une déclaration dans ce sens. Telles furent l'origine et la cause du différend qui éclata entre Louis XIV et le pape Innocent XI, lequel se prononça avec la plus grande énergie contre le principe posé par le roi (2). Mais l'incident le plus grave de ce regrettable conflit, ce fut la convocation que fit Louis d'une assemblée d'évêques, à laquelle il proposa de fixer, par une déclaration solennelle les véritables limites du pouvoir papal; c'est à ce moment que ces évêques, au nombre de trente-quatre, furent sur le point de proclamer formellement

(1) Voy. les deux ouvrages de Sfondrati, Regale sacerdotium, 1684, et Gallia vindicata, 1688, dont le premier est signé Eugenius Lombardus, et le second est anonyme. De Maistre, ibid., p. 125.

(2) (Sfondrati), Gallia vindic., diss. I, § 4, p. 83 sqq.

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