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blaient frappés du même vertige; à Venise, dans le Portugal, en Espagne, et généralement dans les cours des Bourbons plus que partout ailleurs, on se vouait aux principes que l'empereur Joseph avait mis en pratique. Aveugles en face du danger qu'ils appelaient bien plus encore sur leurs propres États que sur le trône du pape, dont le royaume a été fondé par Dieu et sur Dieu, les Bourbons, d'abord par l'expulsion des jésuites, ensuite par l'abolition de leur ordre arrachée à Clément XIV, avaient détruit le rempart le plus inexpugnable de toutes les légitimités, soit spirituelles, soit politiques (1), et accéléré ainsi la tempête qui brisa leur sceptre et leur couronne. L'archiduc Léopold, grand-duc de Toscane, frère de Joseph II, avait également appliqué dans ses États, et sur une grande échelle, les funestes maximes du fébronianisme. Appelé à succéder à Joseph, il se vit obligé de révoquer en grande partie des mesures auxquelles il avait d'abord applaudi; mais il ne céda qu'à la pression des circonstances, les Pays-Bas s'étant mis déjà en pleine insurrection. Quant aux autres États héréditaires, ils se trouvaient eux-mêmes dans une telle fermentation, qu'on ne pouvait plus assez promptement rebrousser chemin, et le mal était d'autant plus intense, que l'incendie de la révolution française commençait à se propager en Allemagne.

Du congrès d'Ems au renversement de ces siéges augustes, occupés pendant plus de dix siècles par les premiers pasteurs du peuple allemand, il s'écoula seulement dix-sept années, et seulement vingt jusqu'à la destruction de l'empire, qui, depuis Othon le Grand, avait fait la gloire des États germaniques. L'ouragan qui déracina ce chêne, autrefois si robuste, mais ébranlé et affaibli par de continuels orages, était parti de France, où le gallicanisme, le jansénisme et le despotisme, associés à la corruption la plus effrénée, avaient sapé si long

(1) Crétineau-Joly, Histoire religieuse et politique de la Compagnie de Jésus, 6 vol. Par. 1845. Clément XIV et les Jésuites, Par. 1847. Papst Clemens XIV. Seine Briefe und seine Zeit. Berlin, 1847, Blätter, vol. XX, p. 166 sqq.

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Ganganelli..
Hist. polit.

temps et si profondément les antiques bases du trône et de l'autel, qu'au premier souffle du philosophisme sanguinaire qui attaqua, d'abord avec le ridicule, puis avec la hache, tout ordre religieux et politique, l'ancien édifice social s'écroula tout entier.

Tandis que la république française, altérée de conquêtes, enlevait à l'Allemagne une importante fraction de son territoire; en compensation, les États héréditaires s'agrandissaient de leur côté par l'adjonction des États non héréditaires, phénomène historique justement appelé du nom de Conquête dans la paix.

Jusqu'au grand chancelier de l'électorat qui transféra son siége à Ratisbonne, tous les grands feudataires ecclésiastiques de l'empire se virent dépouillés, en 1803, de leurs sujets et de leurs apanages; partout les possessions de l'Église furent sécularisées (1). Cette sécularisation, rien ne saurait la justifier de la part des hommes, ni le dessein de justice divine qu'il est impossible d'y méconnaître, ni l'avantage spirituel qui en est résulté pour l'Église (2). Pour qu'il ne manquât rien à l'opprobre de l'Allemagne, le plan du partage fut tracé par la main de la France et de la Russie (3), et mis ensuite à exécution par les princes d'Allemagne, si bien disposés à se plier docilement aux exigences de la politique étrangère', qu'ils avaient presque consommé l'œuvre de démolition, avant même que la députation impériale constituée dans ce but, en 1803, eût rendu sa décision.

Seize États de l'empire se détachèrent ensuite du trône germanique et formèrent la confédération du Rhin, sous le protectorat de l'empereur français (1er août 1806). Six jours après, François II déposait sa couronne impériale, et avec

(1) Plusieurs États qui n'avaient pas essuyé la moindre perte furent indemnisés. Voy. Lancizolle, Uebersicht der deutschen Reichs-, Bundes- und Territorialverhältnisse von 1792 bis jetzt (1830). — Menzel, a. a. O., Bd. XII, Abth. 2,

S. 331.

(2) Card. Pacca, Discorso nella solenne apertura dell anno XLIII dell' Academia di religione cattolica (Orvieto, 1845), p. 5.

(3) Der franzosisch-russische Entschädigungsplan. Regensb. 1802.

elle sa dignité de roi de l'Allemagne. Dès ce moment, le lien qui unissait le chef temporel au chef spirituel était radicalement brisé; et pendant que s'accomplissait cette funeste révolution, dépouillé de ses États, chargé de fers et traîné en captivité, le pape pouvait à peine élever la voix pour protester contre tant d'attentats. Et pourtant ce pape prisonnier eut à peine lancé l'anathème contre l'homme qui était devenu le plus redoutable ennemi de l'Église, que Dieu entendit sa voix et exécuta l'arrêt de réprobation prononcé par le pontife.

Avant de porter nos regards sur le temps où s'est opéré le rétablissement de la constitution de l'Église, spécialement en Allemagne, et sur l'époque actuelle, il est nécessaire d'étudier la situation de l'Église vis-à-vis de l'État entièrement séparé de l'Église. Sans doute l'historique des trois derniers siècles que nous venons de parcourir, révèle déjà une bien grande mésintelligence entre les deux pouvoirs; mais, jusqu'à la phase de la révolution consommée, il n'y avait pas eu de schisme officiellement prononcé ; une doctrine déclarée formellement hérétique par l'Église n'avait pas été adoptée pour base des rapports de l'Église et de l'État, et l'on avait encore conservé dans l'empire, sinon pour le fond, au moins dans la forme, un dernier reste de l'État chrétien du moyen âge; c'est pourquoi nous avons dû suivre les évolutions successives de cet État jusqu'à la chute du trône impérial. Maintenant, nous avons à traiter de la position que l'État schismatique et hérétique a prise dans l'histoire vis-à-vis de l'Église, et à montrer ensuite comment le développement historique de l'État paritétiste et indifférent a produit la situation actuelle.

(C.) POSITION DE L'ÉGLISE VIS-A-VIS DE L'ÉTAT SCHISMATIQUE ET HÉRÉTIQUE.

S CXXXVII.

Influence du schisme et de l'hérésie, dans l'Église d'Orient, sur les rapports de la puissance spirituelle avec le pouvoir temporel.

Le schisme et l'hérésie, le mépris de l'autorité de l'Église et l'abandon de la foi qu'elle enseigne marchent presque toujours de front. Ces deux crimes découlent l'un de l'autre ($ 102); tous les deux ont d'ailleurs un autre résultat commun: c'est que, pour les raisons exposées plus haut (§ 135), là où ils dominent, on verra toujours dans un temps plus ou moins court, l'exercice de la puissance spirituelle passer au pouvoir temporel. Mais ce ne sont point là les seules conséquences du schisme et de l'hérésie; pour un État schismatique ou hérétique, l'attachement au véritable chef de l'Église et à sa foi est un crime qui, par cela seul qu'il constitue un acte en opposition avec la volonté de l'autorité séculière, prend en même temps le caractère de crime politique. Aussi, le pouvoir temporel se croit-il, dans ce cas, appelé à frapper le catholicisme de peines et de persécutions; et il ne peut en être autrement, le schisme et l'hérésie étant condamnés par leur nature à poursuivre l'anéantissement de l'Église; car tant qu'elle subsiste, elle est pour eux un reproche permanent d'apostasie.

De même que le schisme prétend toujours faire partie de l'unité catholique, bien qu'il ait rejeté l'autorité du chef commun de la catholicité; ainsi l'hérésie, après avoir répudié la croyance commune, proteste encore de sa fidélité à la foi universelle. Mais, par cela même que schismatiques et hérétiques disent: Je crois à l'Église, une, sainte, catholique, ils prononcent leur propre condamnation; car ils ne croient

point à une Église fondée sur le droit divin, mais à plusieurs églises particulières (1). Une fois hors de cette Église, ils ne vivent qu'en la niant et ne peuvent échapper à leur destinée finale, qui est de se détruire eux-mêmes en la combattant. Or, à raison de ce combat, la position de l'Église vis-à-vis de l'État hérétique et schismatique, quand celui-ci est conséquent avec ses principes et refuse de reconnaître à l'Église toute espèce de droits, est à peu près la même qu'à l'égard de l'État païen (2); ici comme là, l'Église ne peut agir que par son enseignement, par l'exemple des fidèles, par la prière ; et s'il existe une différence, elle est en faveur du dernier, car il est bien plus douloureux pour l'Église d'avoir à souffrir les outrages de ses propres enfants que les persécutions des infidèles.

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En jetant un regard sur l'histoire, et d'abord, sur celle de l'Église d'Orient, nous rencontrons toute une série d'exemples qui établissent de la manière la plus positive que telle a été, dès les temps les plus reculés, la position de l'Église visà-vis de l'État. En effet, « à peine commençait-elle à respirer « à la faveur de la paix que lui donna Constantin, qu'Arius, «< ce prêtre apostat, lui suscita de nouveaux troubles, plus grands qu'aucun de ceux qu'elle avait déjà soufferts. Constance, fils de Constantin, séduit par les ariens, dont il autorise les doctrines, tourmente les catholiques dans tout son empire. Après lui vient un Valens, aussi dévoué que Cons<< tance à la cause de l'arianisme, mais beaucoup plus violent, D'autres empereurs protégent d'autres hérésies, et l'Église apprend, par de nombreuses et cruelles expériences, qu'elle << n'a pas à espérer, sous le règne des empereurs chrétiens, un meilleur sort que sous celui des empereurs infidèles, et

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(1) De Maistre, du Pape, vol. II, P. 236, p. 237.

(2) Il est certain que l'Église conserve sur les hérétiques et les schismatiques tous les droits qu'elle a acquis sur eux par le baptême, et par conséquent on ne saurait en droit mettre l'État hérétique sur le même pied que l'État païen vis-à-vis de l'Église. Ce que dit l'auteur ne peut s'entendre que des droits émanés d'une origine purement humaine, ou de l'exercice du droit divin rendu impossible dans un Etat où l'hérésie a prévalu. (Note du Traducteur.)

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