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Grand, et lui aurait même donné l'institution du successeur de Pierre.

Les innombrables abus, enfantés surtout par les investitures, la simonie et le concubinage, ne pouvaient manquer d'éveiller la sollicitude des chefs de l'Église. Les papes se levèrent dans toute la puissance de leur autorité pour arracher l'Église au joug tyrannique qui la dépouillait chaque jour de ses précieuses libertés ! Il ne s'agissait, en effet, de rien moins que d'affranchir l'autorité ecclésiastique, à tous les degrés de la hiérarchie, d'une complète servitude; car, presque en tout et partout, l'épiscopat était enchaîné par le lien des investitures au sceptre des souverains temporels. « Les évê«ques, disait avec raison Anselme de Lucca, les évêques ne << blâment point les princes prévaricateurs, par la raison « que c'est grâce à ces prévarications qu'ils sont devenus évêques, et ils le sont devenus par cette voie honteuse, << afin qu'ils n'eussent pas le droit de blâmer les prin«ces (1). » Par suite de cet état même d'asservissement, un bien petit nombre de prélats conservaient assez d'indépendance morale pour oser condamner les criminels égarements qui souillaient alors la majesté du trône et l'éclat du pouvoir suprême; bien peu pouvaient, comme Yves de Chartres, repousser l'invitation au mariage scandaleux de Philippe, par ces courageuses paroles : << Ni je ne veux, ni je ne « puis (2). »

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Déjà Léon IX, dans le concile de Reims (1049), avait élevé la voix pour réclamer le rétablissement des libres élections comme une loi de l'Église (3). Alexandre II, dans un synode romain (1063), avait aussi prohibé la collation par la main séculière des offices et dignités ecclésiastiques (4); mais il

(1) Anselm. Luc., c. Guibert., lib. II (Canisius, à. a. O., tom. VI, p. 225).— Noris., a. a. O., c. 3, p. 68.

(2) Nec volo, nec valeo. Ivo Carnot., Ep. 15, p. 8.

p. 239.

Noris., a. a. O., c. 9,

(3) Conc. Rem., ann. 1049, c. 1 (Hardouin, a. a. O., col. 1006). (4) Can. Per laicos, 20, c. 16, q. 7.

était spécialement réservé à Grégoire VII d'ouvrir la grande guerre engagée, vers la fin du onzième siècle, contre les envahissements de la puissance temporelle. Toute une série de lois, qui commence par les décrets du concile tenu à Rome en 1074(1), fuț dirigée contre la simonie et les investitures, par le motif qu'elles enfantaient la ruine de la sainte religion, qui ensuite était foulée aux pieds (2). Il fut done interdit à tous, sans exception, à peine de nullité de la collation, et sous la menace de l'excommunication, de recevoir une investiture d'aucun laïque, empereur, roi ou prince, homme ou femme. Cette même défense fut renouvelée dans le synode romain de l'année 1080, et aggravée par de nouvelles dispositions portant que quiconque se laisserait conférer, contrairement à la volonté formelle de l'Église, l'investiture d'un évêché ou d'une abbaye par un organe du pouvoir temporel, ne devrait point être considéré comme évèque ou abbé, ni admis à entrer dans l'Église, qu'il n'eût quitté le lieu souillé par son crime! En même temps, l'excommunication était lancée contre les laïques collateurs de ces investitures (3), avec le vœu que, pour que leurs âmes fussent sauvées lors de l'avénement du souverain juge, ils ressentissent, dès cette vie, les effets manifestes de la vengeance divine. Les successeurs de Grégoire proclamèrent de nouveau dans divers conciles ces mêmes principes (4), promulgués comme lois de l'Église dans les décrets des assemblées ainsi firent Victor III à Bénévent (5), Urbain II à Clermont (6), où fut également condamné le serment d'hommage lige des évêques (7), Pascal II à Troyes (8), en 1107,

(1) Conc. Rom., dans Hardouin, a. a. O., tom. VI, p. I, col. 1527. . (2) Can. Quoniam, 13, eod. (Conc. Rom., ann. 1078, can. 2.)

(3) Can. Si quis deinceps, 12, eod.

(4) Bianchi, a. a. O., tom. II, p. 290.

col.

́5) Conc. Benev, v. Constituimus (Hardouin, Concil., tom. VI, p. II, 1627). - Chron. Mon. Casin. auct. Petro, lib. III, c. 72 (Pertz, t. IX, p. 752, 32). (6) Conc. Claram., c. 15 et 16 (Hardouin, a. a. O., col. 1719).

(7) Conc Claram., c. 17. (8) Can. Si quis clericus, 16. Can. Constitutiones, 17. - Can: Nullus, 18, c. 16, q. 7.- Berardi, a. a. O., tom. II, p. II, p. 386 sqq.

- Deutsches Privatrecht, vol. II, p. 374.

et Calixte II à Reims, en 1109 (1). Sous le dernier de ces papes, la querelle des investitures se termina enfin heureusement par le concordat conclu avec Henri V. C'est dans le cours de cette querelle qu'Henri IV et son fils avaient été déposés sous le coup des excommunications pontificales. Ce fait, d'une haute gravité historique, exige que nous jetions un regard rétrospectif sur cette grande et célèbre lutte.

S CXXV.

(d.) Déposition de Henri IV et de Henri V.

La figure qui se dessine avec le plus d'éclat dans la querelle des investitures, et sur laquelle se concentre tout l'intérêt de cette mémorable page de l'histoire ecclésiastique, c'est celle de Grégoire VII; c'est donc sur cet illustre pontife, mis en présence de l'empereur Henri IV, son implacable adversaire, aux violences duquel il fut contraint de répondre en prononçant la déchéance de son pouvoir royal et impérial, que nous devons tout particulièrement fixer nos regards. Cependant, comme il ne saurait entrér dans le plan de ce livre de fournir une apologie détaillée de ce grand pape (2), nous nous bornerons aux faits (3) qui se rapportent à la déposition de Henri IV, et qui n'ont presque jamais été envisagés sous leur véritable jour.

Henri IV fut non-seulement l'ennemi de la liberté de l'Église, mais encore celui des institutions libérales données par

(1) Conc. Rem., c. 2 (Hardouin, a. a. O.; col. 1984).

(2) J. Voigt, Hildebrand, als Papst Gregorius VII und sein Zeitalter, aus den Quellen dargestellt, Weimar, 1815; 2e édit., 1846. Bowden, Life and Pontificate of Gregor VII, Lond. 1843. Muzzarelli, Gregorio VII (Opusc. XXXI, Il buon uso della logica in materia di religione, tom. IX, p. 124 sqq.). Fr. Enghien, Auctoritas sedis apost. pro Gregor. VII vindicata, Col. Agripp. 1684. (3) Bianchi, Della potestà e della politia della Chiesa, tom. 1, p. 194 sqq. }

ses prédécesseurs aux peuples germaniques. L'Allemagne entière gémissait sous le joug despotique d'un prince dont le libertinage et la cruauté forment les traits caractéristiques. Aussi saint Anselme de Cantorbéry n'hésite-t-il pas à le signaler, pour sa conduite envers le successeur de Pierre, comme le successeur des Tibère, des Néron et des Julien (1). Ce furent surtout les Saxons (2) qui supportèrent le plus impatiemment sa domination tyrannique; et, tandis que le petit nombre des prélats allemands qui étaient encore fermement attachés à l'Église (3) répandaient auprès du pape les plaintes que leur arrachaient les persécutions de cet indigne monarque, ce peuple belliqueux le menaçait fréquemment de recourir à la voix des armes pour défendre leur liberté et leur foi. Cependant Grégoire, dans les lettres qu'il adressait à diverses personnes, s'exprimait toujours au sujet de Henri dans les termes les plus affectueux de la bonté et de l'indulgence paternelles (4), et l'empereur lui répondait sur un ton qui faisait espérer un retour prochain à de meilleurs sentiments (5). Fortement inquiété alors par les dispositions menaçantes des Saxons, il alla même jusqu'à prier Grégoire de lui conseiller ce qu'il devait faire pour rendre le calme et la tranquillité à ses États. Le pape usa de toute son influence pour rétablir la paix entre Henri et les Saxons, qui songeaient à élire un nouveau roi (6), et envoya ensuite vers l'empereur une députation (7) dont faisait partie sa propre mère, l'im

(1) Anselm. Cant., Ep. 135 ad Waltramnum Naumburg. Ep, (Oper. S. Anselmi, Paris. 1671, p. I, p. 135).-—Dodechin., App. ad Marian. Scot. Chron., ann. 1094 (Pistorius, Script. rer. Germ., tom. II, p. 662).

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(3) § 124, note 3 : Abhandlung in den Histor. polit. Blättern, vol. XX, p. 403. (4) Gregor VII, P., Epist., lib. I, ep. 7 ad Gottfr. Duc. (Hardouin, Concil. tom. VI, p. I, col. 1201), ep. 11 ad Beatr. et Math., c. 1203. — Voigt, a. a. O., p. 187.

(5) Henr. Reg., Ep. ad Greg. (supra § 124). — Voigt, a. a. O., p. 190.

(6) Lambert., Annal., ann. 1073 (Och.), p. 202.- Gregor., Epist., lib. I, ep. 39, col. 1227.

(7) Paul. Bernried., de Rebus gestis Gregor. VII (Gretser. VI, p. 142).

pératrice Agnès, pour l'engager à renoncer aux investitures par l'anneau et la crosse, et à bannir de sa cour tous les clercs simoniaques. Henri promit avec serment d'accéder aux vœux du pape (1). Mais il n'était rien moins que disposé à remplir sa promesse; toutefois, bien que ses actes en fussent la violation la plus impudente, Grégoire ne laissa pas que de s'adresser encoré à lui en employant le langage de la supplication la plus affectueuse (2). Ménagements inutiles! Henri, délivré des craintes que lui inspiraient les Saxons, par la victoire qu'il avait remportée sur eux, redoubla d'orgueil et d'insolence, et se montra plus que jamais l'ennemi juré de l'Église, sans se soucier davantage de ce que le pape avait frappé d'excommunication plusieurs de ses conseillers (3).

Ses représentations restant infructueuses (4), Grégoire se vit enfin obligé à prendre un parti énergique contre ce roi persécuteur et parjure; il le somma, sous la menace de l'excommunication (5), de se rendre à Rome pour y justifier sa conduite à l'égard des biens ecclésiastiques et de ses relations avec les ministres indignes que l'Église avait rejetés de son sein. Henri répondit à cette sommation en faisant prononcer, par un concile tenu à Worms, la déposition de ce même pape qu'il venait de reconnaître solennellement pour son souverain spirituel, et dont il avait mille sujets d'admirer les vertus, en l'accusant d'immoralité et d'usurpation du siége pontifical, et en invitant les évêques de Lombardie, pour la plupart simoniaques, à s'affranchir de son autorité. Peu après, l'empereur envoya à Rome des ambassadeurs qui notifièrent les décrets du conciliabule de Worms dans le concile assemblé

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