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́tions éventuelles, les menaces des puissances étrangères, Pindignation du peuple français; enfin, jusqu'à l'excécration de la postérité.

Eh! c'est bien de tout cela qu'il s'agit ! Les jurés et les juges oneils jamais dû calculer les suites du jugement auquel ils avoient été appelés? et le glaive de la justice a-t-il jamais pu rester suspendu par la terreur, entre les mains des représentans d'une grande nation? Non. Le crime existe-t-il? l'accusé en est-il convaincu? quelle est la peine qui doit lui être appliquée? Voilà tout ce qu'ils ont à examiner, ef mulle cosidération ne doit pas plus arrêter que forcer les mouvemens de leur conscience.

de

Qu'on aille, d'ailleurs, déterrer dans l'histoire les exemples de quelques peuples chez lesquels le supplice d'un roi ne fut qu'un pas plus vers le despotisme : je réponds qu'alors ce n'étoit pas une nation ou un tribunal national légalement convoqué, qui avoit condamné le tyran; mais un usurpateur, qui, servi par quelques lâches esclaves, en faisoit assassiner un autre pour lui succéder. Et, d'ailleurs, ne nous lasserons-nous point de nous trainer servilement dans la poussière des exemples? Sommes-nous dans les mêmes circonstances? ne compte-t-on pour rien le sentiment douloureux de notre ancienne oppression, la force de nos nouvelles habitudes et la propagation des lumières? Frappons toujours le tyran, c'est notre devoir; et il nous restera encore contre l'audacieux qui voudroit le remplacer notre courage et toute la puissance nationale.

La mort de Louis Capet ne peut pas même être un prétexte pour les rois de l'Europe: ils en ont un bien plus grave; c'est le décret du 19 novembre, par lequel la convention déclare, au nom du peuple français, qu'elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté. Nous sommes depuis ce moment en guerre avec tous les despotes; et à moins qu'on ne vous propose de vous dégrader par de honteuses transactions, je ne vois plus pour vous d'autre politique à suivre que de vous préparer à une défense vigoureuse contre ceux qui viendront vous attaque.

Mais qui croira que le peuple français soit jamais assez injuste, assez dépravé pour oser reprocher à ses représentans d'avoir fait tomber sur un échafaud la tête d'un roi coupable, et d'avoir concouru, par ce grand acte de justice nationale, à cimenter pour jamais la liberté?

Il nous blâmeroit donc aussi d'avoir aboli la royauté, d'avoir fondé la république, d'avoir arraché la souveraineté des maius des usurpateurs? Il nous feroit donc un crime d'avoir rempli le premier objet de notre honorable mission? Cette supposition est une calomnie et un outrage à sa raison et à sa vertu.

Eh! que nous importe le jugement de la postérité? Assurons, par des mesures sages et énergiques, le bonheur de la génération présente; et les hommes libres de tous les siècles et de tous les pays applaudiront

a nos travaux.

Pour moi, soit que je considère, dans cette affaire, les rapports qui rapports qui me lient avec mes commettans, soit que je considère l'in Buence que doit avoir notre jugement sur les destinées de la nation, je

ne suis point effrayé de la responsabilité que j'encours, en prononçant l'arrêt de mort d'un tyran : je me sens assez fort pour la supporter toute entière, parce que je vote sans passion et sans contrainte ; et je trouverai toujours au fond de ma conscience de quoi justifier mon opinion auprès de ceux qui nie demanderont de leur en rendre compte, lors même que j'aurois commis une erreur.

Je propose donc qu'on aille aux voix, par appel nominal, sur cette eette question:

Louis sera-t-il condamné à mort?

Opinion de DURAND-MAILLANE, et ses motifs dans le jugement de Louis Capet.

Je trouve le ci-devant roi convaincu de manoeuvres homicides pour recouvrer son ancienne puissance par tous les moyens que de conseils. perfides lui donnoient, et qu'il a suivis constamment, autant qu'il a été en son pouvoir; ce qu'il n'a pu faire qu'en se rendant coupable du plus honteux des crimes, celui de parjure, qu'attestent de la manière la plus authentique tous ses sermens et toutes ses protestations d'attachement à la constitution.

Je m'attendois que pour défense sur l'accusation d'un crime aussi bas, soit Louis, soit es défenseurs, allégueroient l'état continuel de contrainte et de violence où le ci-devant roi auroit prétendu s'êtretrouvé dans tout le cours de la révolution; et cette défense, qui fut cells de sa fuite en juin 1791, eût-elle fait peut-être sur moi quelqu'impression.

Mais dans cet état même où l'on supposeroit que le roi n'a fait, relativement à la première constitution, que ce qu'il n'a pas été libre de refuser,il ne sauroit mieux s'en prévaloir aujourd'hui pour son inviola bilité, puisqu'il seroit toujours vrai de dire qu'il s'est joué de cette constitution dans un état comme dans un autre, et qu'il n'a jamais tant travaillé à son renversement, que lorsqu'il en proclamoit plus haut le mérité et l'exécution.

Si donc la constitution, qni a déclaré le roi inviolable, qui a réglé les cas de son abdication à la couronne, n'a été pour Louis qu'un voile de plus à ses trahisons, à ses desseins tyranniques, elle ne doit entrer entrer pour rien aussi dans la forme de son jugement; et alors le cidevant roi, considéré nécessairement comme il étoit et tel qu'il étoit avant son acceptation, je ne saurois aujourd'hui être d'un autre avis que celui que j'ai eu dans l'assemblée constituante, à son retour de Varennes. C'étoit alors à mes yeux, comme il me paroît encore dans sa plus grande indignité, un homme à qui la possession a donné un caractere particulier, qui, sans le mettre au-dessus des loix pour la punition de ses crimes, lelie en quelque sorte à la nation, dont il étoit le chef et le premier délégués

Il y a même aujourd'hui pour cet avis une raison de plus dans le décret de la convention, qui soumet tous les actes constitutionnels à la sanction du peuple.

Or, en juillet 1791, j'opinai pour déférer le jugement du ci-devant Toi aux quatre-vingt-trois départemens. J'étois inscrit sur la liste de la parole: la clôture de la discussion a prévenu mon tour; mais mon opinion devint publique par l'impression (1). Elle fut alors la même que celle de Robespierre, dont les principes révolutionnaires, qu'il a su si bien soutenir, ont été constamment les miens, jusqu'à la chûte du trône.

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A cette époque immortelle, j'ai vu tout autrement les objets dans mon patriotisme; sans cesser d'être toujours ardent pour la liberté, j'ai cessé d'être autant alarmé pour elle. Réduit, par la foiblesse de mes moyens, à la fonction paisible, mais très-importante, de juge, et quelquefois d'observateur, dans cette convention, j'y ai vu, depuis. mon arrivée, avec une douleur profonde, des hommes qui ont bien mérité de la patrie, qui, dans le ressentiment d'une joie commune devoient être unis plus que jamais, pour assurer nos triomphes ; je les vois divisés entr'eux, et pourquoi? Je n'ose croire à tout ce que j'entends; mais une chose m'a frappé depuis que je suis ici. Sans roi, comme sans royauté, et marchant tous sous le drapeau de la république, j'ai été autant surpris qu'affligé de voir faire encore dans cette enceinte les mêmes distinctions de côté gauche et de côté droit, de montagne et de vallée. Eh! certes, quel est celui d'entre nous qui peut se dire plus républicain qu'un autre, plus ami du peuple, défenseur plus zélé de ses droits? Titres vains et usés pour des insurrections, depuis que nous n'avons plus devant nous ni roi, ni clergé, ni noblese, pas même des aristocrates qui osent les défendre. S'il existe des partis, des factions, je l'ignore, parce que peut-être je n'y prends, pour mon compte, aucun intérêt; je sais seulement que quiconque, en place ou simple citoyen dans une république, fixe l'attention du peuple jusqu'à donner, même innocemment, des inquiétudes ou de l'ombrage à la société, est un mauvais républicain, s'il ne se dévoue de lui-même à l'oubli, pour le bien général. Au surplus, les partis sont inévitables, et plus inévitables encore dans une république, que les intrigues dans les cours des rois ; la raison est que dans l'exercice de la liberté, on se fait plus aisément illusion sur le mérite de ceux qu'on croit plus propres à la mieux défendre. Plusieurs aussi s'en croient plus dignes, parce qu'ils ont la parole plus hardie, ou le tempérament plus chaud. Mais, quoi qu'il en soit à cet égard, si ces partis, dans des temps calmes, ne sont, suivant les publicistes, qu'un bien, parce qu'en s'observant ils empêchent le mal, ils sont (s'il y en a) très-dangereux dans les circonstances où nous sommes. Ils seroient criminels dans cette assem blée, ou nous n'avons à nous occuper, en nous oubliant nous-mêmes, que du bonheur public; et en effet, quel malheur pour la nation, quelle honte, quelle responsabilité pour nous, si, par nos divisions, par une guerre intestine et fratricide, nos succès et toutes nos victoires

f1) Journal du Creuzet, no. 60.

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le

ne tournoient qu'au détriment de la chose publique! Faudroit-il done qu'après avoir de concert terrassé le tyran, de manière à n'avoir jamais rien à craindre, ni de lui, ni des siens, nous nous fissions maintenant la guerre entre nous de peine qu'il , pour genre mérite? J'admets donc que les membres de cette convention ont reçu de leurs commettans le pouvoir de juger le. ci-devant roi; mais le mandat de juger n'est pas le jugement, et un délégué de fut jamais au-dessus de son délégant. Or, en jugeant, les uns disent que sans la mort du roi, et sans une mort prochaine, tout est perdu, ce qui les porte à la prononcer dès-à-présent pour l'intérêt suprême du salut public; les autres ne voient, au contraire, que les plus grands malheurs dans cette mesure. Elle est, disent-ils, de toutes la plus impolitique, la plus funeste dans ses suites, et viole dans sa forme les droits du souverain, à qui il faut laisser tout au moins la sanction du jugemeut, si on ne veut lui renvoyer l'application de la peine.

Dans cette opposition de sentimens, balancés par des motifs que je ne retracerai pas ici, mais que j'ai bien pesés, en y ajoutant les miens, je ne vois rien que de naturel et dans l'ordre. C'est une diversité d'idées dans le choc et la liberté de la discussion, qui ne sauroit intéresser, ni les intentions, ni la personne des opinans.

Pour moi, qui suis sans liaison, sans prétention, comme sans crainte, qui n'ai pas dévié d'un seul point,'un seul instant, de la ligne droite dans la révolution, à partir dès avant même les états-généraux, je ne me ferai pas le tort de croire qu'aucun vrai républicain m'en veuille comme à un manvais citoyen, parce que, trouvant Louis Capet coupable, comme je l'ai dit, je déclare, en mon ame et conscience, qu'après avoir tout examiné, et dans l'ordre judiciaire et constitutionnel, et dans les vues de politique et de sûreté générale, ce qui entre -la-fois dans la forme de ce jugement, mon avis est que, quelque jugement que la convention rende dans la cause de Louis Capet, elle le soumette à la sanction du peuple français, c'est-à-dire, du souverain, de qui le ci-devant roi avoit reçu ses pouvoirs et son

caractère.

On sera peut-être plus étonné, quand la nouvelle constitution sera mise à la discussion, d'y voir proposer que l'on soumette à la sanction du peuple, non pas seulement les actes ou les décrets constitutionnels, mais encore toutes les loix indépendantes de la constitution, mais principales, mais générales dans leurs dispositions. Sera-t-on moins étonné, si l'on y démontre que le gouvernement représentatif, dans un grand comme dans un petit état républicain, est de tous le plus oppressif, quand il est absolu dans sa représentation; si l'on y démontre que la volonté des hommes libres, ne pouvant pas plus être représentée dans un grand que dans un petit état républicain, elle doit être nécessairement exprimée individuellement et expressément par un mode ou par un autre, mais différent du mode représentatif pour toutes les loix; parce qu'il n'en est aucune qui, à-la-fois, ne captive et ne protège la liberté nationale, quand sa disposition est commune à tous les citoyens?

On ne sauroit donc faire céder un principe aussi salutaire, aussi

Facré, à des considérations particulières. Sous le même rapport, on ne sauroit pas faire prononcer le peuple sur le sort de celui dont on disoit ci-devant si veut le roi, si veut la loi. Je ne ne doute point aussi que le peuple, qu'on cherche toujours à mettre dans sa cause, si mauvaise qu'elle soit, dans un temps de révolution, ne distingue et ne reconnoisse dans cette occasion ses vrais amis, ou les vrais défenseurs de ses droits.

Dans les défenses qui paroissent pour Louis, on insiste principalement sur deux moyens, 1°. les termes de la constitution; 2°. l'amnistie pour tout ce qui a précédé l'époque de son acceptation de la part du roi.

Dans la réponse que les comités sont ou doivent être chargés de faire dans le détail à ces défenses, on ne manquera pas de refuter ces deux moyens; mais ils ne sauroient le faire par un argument plus fort que' celui sur lequel j'ai fondé mon opinion.

Le ci-devant roi n'a jamais voulu de cette constitution, ni dans un temps ni dans un autre. Avant comme après son acceptation, avant comme après l'amnistie générale, il a machiné contr'elle et- par des actes et par des relations dont on a des preuves écrites et notoires, que de simples négations ne sauroient détruire. Il ne peut donc se préva loir, ni des cas exprimés dans cette constitution, ni de l'inviolabilité qu'elle lui donne, ni enfin de l'amnistie dont elle fut suivie : frangent fidem non debetur fides.

Je ne considère donc ici le ci-devant roi que comme la nation réunio l'a trouvé en 1789. Alors, l'assemblée nationale a établi sa propre souveraineté ; elle l'a rappelée à Louis VVI, qui l'a reconnue; on doit du moins le supposer sur sa parole tant de fois répétée, et avec la plus grande solemnité. Si ce n'étoit donc de sa part qu'une dissimulation, elle lui ôte jusqu'au moyen de défense qu'il pourroit tirer d'un engagement réciproque.

Cet engagement, tel qu'il fut rédigé sur la fin de l'assemblée constituante, n'a point lié irrévocablement la nation; parce que sa souve raineté inaliénable et imprescriptible la laisse toujours maitresse de changer ou de modifier son gouvernement: mais Louis, son premiet fonctionnaire, s'étoit lié sans retour envers elle par son acceptation. Si, encore une fois, cette acceptation n'a été de sa part qu'une grimace outrageuse à la majesté du peuple, ce n'est, ni une irrégularité dans la forme, ni une injustice au fond la nation " que le punisse de son parjure et de ses trahisons, comme s'il n'avoit point accepté.

Mais à qui est-ce à prononcer cette punition? Si c'est aux représen tans du souverain, comme la convention nationale l'a décidé par son décret du 6 décembre dernier, c'est au souverain lui-même à mettre le dernier sceau à son jugement, pour son exécution.

Les questions seront ainsi posées :

1°. Louis est-il coupable, ne l'est-il pas ?

29. La convention jugera-t-elle définitivement, ou soumettra-t-elle son jugement à la sanction du peuple?

3. Sielle renvoie son jugement à la sanction du peuple, pronon

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