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Justinien, comme on sait, est le dixhuitième empereur chrétien. On peut justement présumer que de son temps le christinianisme avait acquis toute sa consistance, qu'il était dans la plus grande ferveur, et que les lois en étaient parfaitement connues. On sait aussi que ce prince avait le plus profond respect pour la religion. Ecoutons ce qu'il statue sur les mariages; c'est par de semblables recherches que nous par viendrons à déterminer l'époque où les papes soumirent l'union conjugale à leur pouvoir.

« Nous croyons, dit ce prince, qu'il est expédient de régler d'une manière convenable les divers cas dont nous avons acquis la connaissance par une suite non interrompue d'expériences sur le fait des procès. Le motif qui nous porte à travailler à la rédaction de la présente loi, concernant les mariages, c'est le grand nombre de causes que l'on porte journellement au pied du trône sur cette matière; car, nonobstant que les anciennes lois et celles que nous avons nous-mêmes promulguées, établissent la validité des mariages par le seul consentement des parties, sans qu'il soit bescin de les constater par aucun acte portant constitution de dot, nous voyons cependant qu'il ne s'en fait pas moins un nombre prodigieux de faux contrats dans toute l'étendue de notre domination; parce que des témoins, assurés de l'impunité, emploient le mensonge pour forger des mariages qui n'ont aucune réalité, sous prétexte que des personnes se traitent d'époux.... C'est donc pour obvier à de tels abus, que nous avons jugé à propos de faire les règlemens suivans:

« Lorsqu'il s'agit de personnes de haut rang, comme nous, ainsi que ceux qui sont revêtus de la dignité de sénateurs, on autres de la première distinction, loin d'admettre que les mariages se fassent sans formalités, nous voulons qu'il y ait un contrat portant constitution de dot et do'nation à cause de noces; observant en outre, à cet égard, toutes les clauses qu'il convient de stipuler entre personnes qualifiées

« Quant à ceux qui exercent des emplois militaires, les gens d'affaires, et autres qui tiennent un état honnête, ils sont jugés

mariés légitimement, quoiqu'ils ne passent point de contrat, pourvu toutefois qu'ils prennent les mesures convenables pour rendre leur union authentique et valide. Pour cet effet ils se rendront à quelque église, et protesteront de leur alliance en présence du desservant, qui, conjointement avec trois ou quatre de ses clercs, dressera l'acte de cette protestation, lequel sera daté de l'indiction, du jour, de l'année de notre règne et du consulat, auxquels sont comparus devant lui, dans l'église tel et telle, qui se sont pris mutuellement pour époux. Cet acte sera délivré aux contractans, s'ils le desirent, sigué d'eux, du desservant, ét de trois clercs ou d'un plus grand nombre, si l'on veut, mais jamais moins de trois personnes sinon ledit acte sera déposé dans les archives de l'église, c'est-à-dire, dans l'endroit où l'on serre les vases sacrés, pour la sûreté dudit dépôt, comme étant la seule preuve du mariage contracté par le consentement mutuel des parties, lorsqu'il n'y a point d'autre écrit qui puisse le constater. Lorsque l'on aura pris de telles mesures, nous voulons que le mariage tienne, et que les enfans qui eu proviendront soient estimés légitimes. Mais ceci n'aura lieu que dans le cas du défaut de contrat portant constitution de dot et donation, à cause de noces car, comme nous nous défions du rapport des seuls témoins, c'est ce qui nous a déterminé à régler la présente disposition.

« A l'égard des personnes de condition abjecte, et dont la fortune est bornée, nous leur accordons une pleine liberté, ainsi qu'aux labourcurs et aux soldats, qui, uniquement occupés de la culture et de la guerre, sont dans une parfaite ignorance des lois; ils pourront convenir entre eux et se marier, sans aucune formalité ni contrat, et leurs enfans n'en seront pas moins légitimes.

Justinien, en prescrivant des formes au mariage, ne prétendait pas qu'il fût essentiellement indissoluble; il voulait seulement que le divorce fût régi d'une manière avantageuse aux mœurs, et à l'honnêteté publique; de là cette foule de cas exprimés dans ses novelles, et qui variaient à raison de la connaissance qu'il acquérait du besoin des sujets de l'empire tous cas

d

dont l'effet était de produire la dissolution absolue du mariage, et de rendre la liberté aux époux sépares, d'en contracter un nou

yeau.

Avant Justinien, Théodose et Valens portèrent une loi par laquelle ils déclarèrent que le défaut de donation, de contrat, de toute solennité, n'atténuait pas un mariage contracté entre personnes d'égale condition, en présence de leurs amis. Cette loi est du mois de février 428, et se trouve au Code. (L. 22, de nuptiis.) En voici les termes :

« S'il n'y a point de donation à cause de noces, ni d'actes portapt constitution de dot, quand bien même on aurait omis, en se mariant, toute pompe et cérémonie, il n'en faut pas pour cela conclure l'invalidité du mariage, s'il est fait d'ailleurs avec les conditions requises, ni refuser la légitimité aux enfans qui en proviendront, d'autant qu'il n'y a point de loi qui mette obstacle à l'union formée entre personnes d'égale condition, et qui a pour base le consentement des parties et le témoignage de leurs amis. >>

Lorsque les gens mariés, sans alléguer aucun motif, prétendaient néanmoins se séparer l'un de l'autre, celui qui intentait la querelle était puni, comme nous l'avons vu; mais la volonté mutuelle équivalait seule à tous les griefs; et, conformément à la raison, opérait le divorce d'une union à laquelle les parties renonçaient d'un

commun accord.

Si la loi de la répudiation était sagement portée contre des coupables qui souillaient le lit nuptial, contre des personnes incapables de satisfaire aux obligations du mamariage, et sur lesquelles on ne pouvait trop attirer l'animadversion publique, pour éviter qu'elles ne communiquassent leur corruption ou leur stérilité aux autres branches de la société, il n'était pas moins essentiel de secourir ceux que des raisons secrètes désunissaient; ou qui, par respet pour eux et pour le public, aimaient mieux être les victimes d'un chagrin dévorant, que d'en divulguer les causes. La voie du divorce opéré par le consentement mutuel des parties, était ouverte à ceux-ci; et elle s'accorde d'autant mieux avec la saine politique, qu'en brisant également un joug

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On a vu, dit Justin, des époux mal assortis, se tendre réciproquement des embûches, et employer jusqu'au poison, et d'autres moyens violens, pour s'arracher la vie, sans que les enfans nés de leur mariage fussent un motif assez puissant pour vaincre leur antipathie. Comme de semblables procédés sont tout à fait contraires à nos mœurs, nous établissons la présente loi, par laquelle nous statuons qu'il sera permis, comme autrefois, de dissoudre les mariages, pourvu que ce soit du consentement mutuel des deux parties; et que, conformément à la volonté de l'empereur notre père, il ne sera plus infligé aucune peine aux époux qui peine aux époux qui se divorceront d'un commun accord: car, si l'affection mutuelle fait le mariage, il est juste que l'opposition des caractères en opère la dissolution, pourvu que cette contrariété soit suffisamment prouvée dans l'acte du diporce. Nous déclarons au surplus que tous les autres objets de la présente loi, ainsi que ceux stipulés par les sacrées constitutions de l'empereur notre père, au sujet des mariages entre personnes libres, des causes qui autorisent le divorce des époux, qui, n'ayant point de raison plausible, se séparent sans le consentement mutuel

que

que nous jugeons nécessaire pour cette dissolution et enfin des peines encourues par les infracteurs, sortiront leur plein et entier effet. » Contigit enim ut ex his non nulli ad mutuas insidias procederent, venenisque et aliis quibusdam, quæ lethalia essent, uterentur, in tantum, ut sæpè neque liberi qui ipsis communiter nati essent, illos in unam eamdemque voluntatem conjungere potuerint. Cùm itaque hæc à nostris temporibus aliena judicaremus, ad præsentem sacram legem respeximus, per quam statuimus, prout olim juris fuit, matrimoniorum solutiones ex consensu fieri liceat; et ne ampliùs patris nostri sanctione in eos qui consensu matrimonia dirimunt, constitutæ pœnæ in usu sint. Si namque mutua affectio matrimonia conficit, meritò diversa voluntas eadem per consensum dirimit ; modo hanc missi repudii libelli satis declarent. Cæterum illud manifestum sit quòd alia omnia quæ legibus, et præcipuè sacris nostris, patris nostri constitutionibus de matrimoniis liberis, et causis per quas dirimere matrimonium permissum est, aut de iis etiam qui nullâ de causâ (non tamen ex communi voluntate et consensu, quomodo præsens nostra lex constituit), matrimonium solvunt, et de constitutis in illos pœnis cauti sunt, ex præsenti etiam nostrâ lege obtinebunt, suamque per omnia vim habebunt. (Novel. 23, præfat. et cap. 1.)

Les papes firent de temps à autres quelques tentatives auprès des empereurs d'Orient, pour soumettre exclusivement le mariage à leur juridiction. Ils obtinrent enfin de Léon VI, qui parvint au trône en 886, et régna jusque dans le dixième siècle, qu'à l'avenir la bénédiction du prêtre serait une formalité indispensable du mariage. Ce prince érigea cette solennité en loi, mais sans porter atteinte à la faculté qu'avaient les époux de se séparer : bien loin de là, il rappelle dans la constitution tous les cas qui autorisent le divorce, et indique la folie d'un des conjoints comme un motif capable de les délier, et de rendre à l'autre la liberté de passer à de nouvelles noces. (Consultez les Constitutions de Léon VI, 31, 32, 111, 112, etc.)

Empire d'Occident.

6. Rien de mieux constaté que l'exisTome XII.

vers

tence du divorce dans l'empire d'Orient, depuis Constantin, qui le premier embrassa la foi dans le quatrième siècle, jusqu'au temps des successeurs de Léon VI, la fin du dixième siècle. L'usage n'en était pas moins en vigueur dans l'empire d'Occident et dans la France, dont plusieurs rois furent empereurs.

Toute l'histoire atteste des divorces de plusieurs de nos rois ; et il ne faut pas croire que la raison d'état seule opérait leur séparation. Le divorce fut pendant long-temps parmi nous une voie ouverte aux citoyens de toutes les classes; la preuve s'en trouve dans un des articles des Capitulaires de Charlemagne. Comme les empereurs d'Orient, ce prince s'appliqua à la réformation du divorce légal; et, pour parer à l'arbitraire, qui dégénère toujours en abus, il enjoignit aux ecclésiastiques de son empire d'avertir les peuples qu'un mariage légitime, c'est-à-dire, contracté du consentement mutuel des parties, et revêtu des formalités requises, ne pouvait être rompu que par l'adultère où serait tombé l'un des conjoints, à moins toutefois que le mari et la femme n'y consentissent expressément. Adnuntiet unusquisque presbiterorum publicè plebi ab illicitis connubiis abstinere, secundùm domini mandatum legitimum conjugium nequaquàm posse ullâ occasione separari, exceptâ causâ fornicationis, nisi consensu amborum ; et hoc propter servitium Dei. (Baluz., L. 6, cap. 191.) Il est donc vrai qu'au temps de Charlemagne, l'adultère d'un des conjoints, ou la dissolution du mariage. le consentement des deux parties, opérait

L'on ne doit pas s'étonner si l'histoire n'a pas conservé les noms des personnes qui ont divorcé dans ce vaste espace de temps écoulé entre la naissance du christianisme et le dixième siècle : le divorce était un usage commun, et par là ne pouvait faire époque. Les historiens se sont contentés de remarquer ceux des personnages illustres qui s'en sout servis, et d'observer qu'alors la chose était praticable et pratiquée : ils n'en peuvent pas dire davantage.

Pour s'assurer que la suppression du divorce parmi les chrétiens fut souven! l'ou

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En effet, on voit Lothaire, roi de Lorraine, son arrière petit-fils, répudier sa femme, qu'il n'aimait pas, pour épouser Valtrade qu'il adorait. Ses états sont livrés au premier qui voudra les envahir. Il semble qu'on veuille servir la passion de ses deux oncles, Louis, roi de Bavière, et Charles le Chauve, roi de France, dont on respectait encore la puissance. Depuis cet événement, plusieurs rois de France, de la seconde et de la troisième race, ont fait usage du divorce, mais ils avaient recouvré une portion trop considérable de leur antique puissance, pour rencontrer une opposition ouverte à leurs volontés : on se tint dans les bornes de la remontrance.

Contradiction.

8. Il serait assez difficile de concilier la conduite politique tenue sur le fait du divorce à diverses époques. On voit applaudir à une suite considérable de princes qui promulguent une infinité de lois favorables au divorce, et contraindre d'autres souverains à abroger ces mêmes lois. On Lothaire; de nos jours encore, on est canonise Charlemagne, on excommunie blamé pour pratiquer un usage reçu avant le dixième siècle, où Léon VI permit d'ajouter au contrat civil du mariage une cérémonie d'ostentation! on est blàmé pour faire ce qui s'est pratiqué sans cesser de présentés comme tels à la vénération des paraître de saints personnages, et d'être peuples.

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Sainte Fabiole, dont quelques-uns placent la mort à la fin du quatrième siècle, et que saint Jérôme appelle la gloire des chrétiens, l'étonnement des idolâtres, le regret des pauvres et la consolation des so

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litaires était de l'ancienne famille de Fabia, illustre dans Rome dès le temps de la république, qui dut son rétablissement à Fabius Maximus, l'un de ses aïeux; ses parens l'ayant mariée à un homme d'une vie déréglée, et ue pouvant le corriger, elle prit le parti de le quitter. Ce qu'il y a de singulier, c'est que, quoique Fabiole la cause de leur divorce, que de ternir la eût mieux aimé se voir soupçonnée d'être réputation de son époux, elle fit, peu de temps après, une nouvelle inclination, et, quoiqu'elle fût femme chrétienne, d'honneur et de piété, profitant du bénéfice des . . lois, elle convola à de secondes noces.

Cet exemple n'est pas unique : ouvrez l'Histoire ecclésiastique de Fleury, les Vies des Saints de Baillet, vous trouverez un grand nombre de noms de chrétiens de l'un et de l'autre sexe qui ont été canonisés,

quoique ayant fait usage du divorce. Canoniser les uns, fulminer contre les autres dans les mêmes cas, n'est-ce pas tomber en contradiction avec soi-même ? N'en est-il pas ainsi lorsque l'on autorise publiquement le divorce chez un peuple chrétien, pendant qu'on le proscrit et qu'on use d'excommunication à ce sujet contre un peuple voisin également chrétien?

En France, les pontifes fulminaient contre le divorce. Quoiqu'il y soit autorisé maintenant, sans l'autorité du gouvernement, quelques prètres refusent la bénédiction nuptiale aux personnes divorcées qui passent à de nouvelles noces. En Pologne, où la religion chrétienne a conservé tout le zèle d'une première ferveur, où les prêtres ont une grande puissance, le divorce est pratiqué par le peuple et toléré par les prêtres, qui ne répugnent pas à administrer la bénédiction nuptiale aux personnes divorcées qui veulent ajouter cette cérémonie religieuse au contrat civil qui les unit.

<< On voit constamment à Varsovie, dit M. l'abbé Coyer (Histoire de Jean Sobieski, tome 1, pag. 116), un nonce apostolique, avec une étendue de pouvoirs qu'on ne souffre point ailleurs; il n'en a pourtant point assez pour maintenir l'indissolubilité du mariage; il n'est pas rare en Pologne d'entendre dire à des maris: Ma femme qui n'est plus ma femme. Ce sont les évêques qui jugent ces divorces, conformément aux lois du royaume. L'église, en Pologne, remarie à d'autres ceux qu'elle a séparés, dit un judicieux auteur de notre temps. (Des corps politiques, L. 1, chap. 8, page 74, édit. de 1754.) Quelqu'un demandera, ajoute-il, pourquoi le reste des états catholiques n'obtiendrait pas la même liberté

d'une mère commune. »

Jamais aucun peuple chrétien n'a été tant tourmenté que l'ont été les Polonais et qu'ils le sont encore dans leur état actuel de dégradation et de misère. Jamais nation ne fut plus soumise au pape. « Prenant sur elle de faire ses rois, dit l'abbé Coyer (Ibid.), elle n'ose pas les proclamer sans la permission de l'évêque de Rome.» Cependant elle a toujours le droit de rompre les mariages quand les époux ne veulent plus qu'ils subsistent, ainsi que

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Il n'est pas nécessaire en Pologne qu'il existe un de ces cas graves qui dissolvaient le mariage dans les dix premiers siècles de l'église, pour opérer le divorce. Outre l'adultère, l'absence affectée, l'impuissance, l'antipathie, la violence des parens, les degrés de consanguinité, etc., il est un moyen efficace pour dissoudre le mariage: de mauvais traitemens, ou la menace seulement bien prouvée, suffisent pour produire cet effet; et l'on juge aisément que ce moyen de divorcer n'est pas employé par les grands de Pologne.

Opinion des pères de l'église.

9. La décision la plus violente qui existe contre le divorce, celle qui paraît arrêter tous les casuistes de nos jours, c'est ce précepte de Jésus-Christ : « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère » : Quicumque dimiserit uxorem suam et aliam duxerit, adulterium committit super illam. ( S. Marc, cap. 10.) Mais cet oracle n'est-il pas adouci et expliqué par ce que dit J. C. en S. Matthieu (cap. 51):

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Quiconque renvoie sa femme pour tout autre autre cas que l'adultère, et en épouse une autre, fornique»: Quicumque dimiserit uxorem suam, NISI OB FORNICATIO

NEM, et aliam duxerit, machatur.

Qu'on y prenne garde les deux évanlistes racontent le même précepte; des deux côtés c'est le même fait, ce sont les mêmes l'autre les rapportent comme étant sorties de idées, ce sont les mêmes paroles, et l'un et la bouche du sauveur du monde. Il n'y a qu'une seule différence; c'est que S. Marc donne le précepte sans modification, au lieu que S. Matthieu le présente avec un lénitif consolant pour tout autre cas que l'adultère, dit-il. L'adultère, selon saint Matthieu, était donc une cause de divorce; et dans ce cas, non seulement J. C. autorisait le divorce, mais il permettait d'épouser une

:

autre femme.

Le passage que l'on vient de voir est d'autant plus concluant, que l'évangéliste

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