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royauté, introduire dans notre législation, avaient pris une forme légale. A la chute de l'Empire, le frère de l'infortuné Louis XVI lui-même reconnaissait et développait, en prenant la couronne, ce qu'on appelait les conquêtes de la révolution, et, sous ce monarque habile, la France s'essayait à la pratique de ses institutions nouvelles.

Mais on ne conduit point impunément un peuple à l'état d'effervescence auquel il était arrivé de 1789 à 1793. Les libéraux avancés de 1815 ne se contentèrent plus d'un pouvoir où tous les intérêts étaient garantis, où toutes les libertés compatibles avec l'ordre étaient proclamées par la Charte. La révolution prenait alors le caractère qu'elle n'a plus quitté : on peut dire qu'elle jetait le masque. Ceux qui la dirigeaient, comme ceux qui se traìnaient à leur suite, laissaient voir leurs véritables mobiles: satisfaire les appélits d'ambitieux de toutes classes. C'est en effet pour escalader le pouvoir que quelques ambitieux, en 1830, ont renversé le trône et c'est pour le leur arracher que d'autres, en 1848, ont brisé la couronne de Louis-Philippe et ramené notre malheureux pays à des jours d'épreuves et de douleurs.

La révolution de 1830 n'avait fait, aux yeux des masses, que substituer une couronne à une autre; le froissement de la défaite ne se rencontrait, à vrai dire, que parmi les classes élevées. Le peuple ne se sentait atteint que dans certaines contrées particulièrement dévouées à la famille des Bourbons. La majorité de la nation restait indifférente. Entre la Charte de 1814 et celle de 1830, il n'y avait pas, pour

le peuple, de différences appréciables; c'était pour lui un simple changement de règne; ce n'était point une perturbation dans ses habitudes. Les lois fondamentales de l'État restaient les mêmes; on se sentait protégé; on n'en demandait pas davantage. La foi dynastique était éteinte; la soif du repos, de la paix, de la sécurité avait pris la place des opinions politiques; les craintes éveillées par les premières nouvelles de la révolution triomphante avaient été dissipées; la satisfaction d'avoir échappé à des éventualités périlleuses créait presque partout une véritable allégresse.

D'ailleurs, il faut bien reconnaître que la jeune génération subissait l'entraînement irréfléchi de la liberté, et que sa joie était sincère. La presse avait déjà exercé ses ravages. Les principes essentiels de notre état social étaient battus en brèche. 1789 et 1793 avaient légué un héritage de haine contre la noblesse et le clergé; cette haine trouvait une satisfaction dans les événements qui venaient de s'accomplir. On peut dire que 1830 était le triomphe du mal sur le bien.

En 1848, la secousse était autrement violente qu'elle ne l'avait été en 1830; on voyait tout menacé : le mot seul de République jetait une profonde alarme. On n'était pas assez loin de 1793 pour ne pas en craindre le retour. Par excès de maladresse, les gouvernants d'alors étaient allés chercher, dans l'arsenal des mauvais jours, tout ce qui pouvait en faire revivre le souvenir. Tout faisait peur dans cette exhibition du passé, jusqu'à cette affectation plus ridicule que

dangereuse de reprendre le vocabulaire suranné de 1793. On croyait ainsi républicaniser le pays; on s'en aliénait la confiance. Mais on ne s'en tenait pas aux mots; on voulait reprendre la révolution là où la courageuse initiative du premier consul l'avait forcée de s'arrêter. On avait inondé le pays de commissaires qui jetaient partout la crainte et dont la plupart prêchaient les doctrines les plus subversives. Quelques députés de la gauche de la dernière Chambre et quelques républicains honnêtes avaient accepté ce mandat. Heureux étaient les départements où s'exerçait leur action préservatrice. Mais ce n'était là qu'une faible exception, et, pour la plupart, ces agents improvisés sortaient de quelque échoppe mal famée; les uns, fruits secs du barreau ou du journalisme; les autres, simples piliers d'estaminets, orateurs de carrefours, anciens condamnés politiques. De tels hommes donnaient une triste idée du pouvoir qui les accréditait. Le Gouvernement provisoire voulait naturellement inaugurer la République avec des républicains de la veille, selon l'expression du temps; ceuxlà qui avaient été à la lutte entendaient avoir part aux dépouilles; il fallait les subir. Ces gens à figures sinistres, à coutumes vulgaires, n'avaient que la violence et la menace à la bouche; ils traitaient leurs départements en pays conquis. Où ne devait pas aller le gouvernement avec de pareils auxiliaires! Telle était la réflexion que l'on se faisait d'un bout à l'autre de la France.

La République de 1848 avait été plutôt une surprise que le triomphe de l'idée poursuivie par les

promoteurs du mouvement. La Chambre ne voulait obtenir qu'une réforme; les chefs de l'opposition n'aspiraient qu'à prendre les places de ceux qui les occupaient; mais, une fois de plus, apparaissait cette vérité que nous affirmions plus haut: ce ne sont point ceux qui déchaînent les tempêtes populaires qui sont maîtres d'en arrêter ou d'en diriger le courant. La gauche de la Chambre, qui comptait à sa tête MM. Thiers, Odilon Barrot, Duvergier de Hauranne, et autres notabilités parlementaires, était débordée, traitée en suspecte ou en ennemie. C'était la première et juste punition de ses fautes. En quelques heures, l'escamotage était fait au profit des audacieux.

Mais de même que la Monarchie représente et favorise l'ordre et la stabilité dans le pouvoir, de même la République amène avec elle l'effervescence et l'instabilité. La mutabilité est son essence; c'est sa raison d'être. Sous prétexte de perfectionnement, le remaniement des institutions est con tinuel; le changement dans les doctrines les plus essentielles ellesmêmes est incessamment en question et les mutations dans les personnes suivent naturellement ces transformations. Toutes les ambitions, sous ce régime, étant de droit en éveil, une crise est à peine terminée qu'une autre crise commence. Le dogme essentiel de la République, c'est le dogme de l'agitation.

La crise de 1848 donnait, de cette vérité, de nombreux et successifs exemples. A peine l'émeute avaitelle triomphé à Paris, grâce à cet engin révolutionnaire d'invention moderne qu'on appelait la garde

nationale, que cette garde nationale elle-même don-nait le signal de la réaction. La fameuse manifestation dite des Bonnets à poil, manifestation sans armes et vraiment imposante, était, à l'adresse du Gouvernement provisoire, une sommation de rentrer dans les pratiques d'un gouvernement modéré. Aux emportements de la première heure, succédait alors une modération relative. M. de Lamartine avait le courage de remplacer le drapeau rouge par le drapeau tricolore; mais, peu après, le contre-mouvement s'opérait et les journées de juin, cette immense éclosion de la guerre fratricide, montraient à la France à quels périls elle était exposée, à quels forcenés elle avait affaire, à quels bouleversements les vrais républicains voulaient la conduire. Puis, après la victoire de l'armée sur l'émeute, la réaction reprenait encore le pouvoir; c'était bien le tableau de la République et de ses incessantes vicissitudes qui se déroulait ainsi aux regards attentifs et consternés du pays.

Nous ne dirons rien que d'absolument logique en affirmant que ces révolutionnaires de métier, ces agitateurs par tempérament et par éducation se montraient ainsi, sans le vouloir, les plus utiles promoteurs de l'Empire, les préparateurs inconscients mais efficaces de la grande journée de réaction du Deux-Décembre. Plus, en effet, nous avancerons dans ce récit et plus nous reconnaîtrons que la nomination du prince Louis-Napoléon à la Présidence, le Deux-Décembre et l'Empire lui-même sont la résultante des excès de 1848, des agitations, des émeutes qui en avaient été la conséquence naturelle, des in

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