Page images
PDF
EPUB

quiétudes, des angoisses qui s'étaient emparées des esprits, du trouble enfin que la République avait jeté dans le pays. Les faits ne sont-ils pas venus démontrer cette irréfutable vérité! La loi du monde, celle des nations comme celle des individus, c'est de ne point se résigner à un sort malheureux sans tenter au moins tous les efforts possibles pour en secouer les étreintes. On cherche avec ardeur le remède au mal; on caresse la moindre lueur d'espérance; on la poursuit aussi longtemps qu'on croit pouvoir en faire une réalité heureuse. La France, dans sa détresse de 1848, cherchait, avec avidité, la planche de salut qui pouvait encore s'offrir à elle. La République, même humanisée par la sagesse relative du général Cavaignac, ne lui offrait que des horizons troublés; la masse de la nation voulait, à tout prix, se séparer de cette forme de gouvernement, et elle tournait de tous côtés ses regards pour essayer de découvrir un sauveur.

La préférence marquée du pays était en faveur de l'idée monarchique. Mais quelle monarchie était possible? Quel prince aurait assez de dévouement pour accepter une situation aussi grosse de périls, assez de popularité, assez de force, assez d'autorité pour triompher des difficultés inséparables d'une restauration?

La branche aînée des Bourbons était poursuivie, dans le pays, par une série d'abominables calomnies qu'on avait réussi à faire passer dans la croyance populaire. Renverser la République au profit de la légitimité était une irréalisable entreprise. Ce

n'était point de ce côté que pouvait venir le salut. La famille d'Orléans descendait du trône. Les colères qui l'avaient poursuivie étaient encore trop vivaces pour qu'on pût songer au retour de l'un de ses princes. Si capables qu'ils fussent, c'eût été une provocation; seuls, les enfants perdus du parti caressaient cette espérance; mais l'opinion n'était point avec eux, et, comme on ne voulait qu'une solution pratique, comme on n'entendait agir qu'au profit du pays et nullement dans l'intérêt d'un homme ou même d'une dynastie, on écarta, d'un accord presque unanime, toute combinaison orléaniste.

Il n'était point nécessaire de faire un grand effort d'imagination pour découvrir quelle autre dynastie pouvait donner un souverain au pays. La légende napoléonienne était encore toute vivante dans le peuple. L'éclat des victoires de l'Empire avait eu assez de puissance pour effacer jusqu'aux douleurs de sa défaite; on ne parlait que des grands jours de Rivoli, de Marengo, d'Austerlitz, d'Iéna, de Friedland, de Wagram. Les acteurs de cette grande épopée remplissaient encore nos campagnes; ils y contaient leurs souvenirs, et les enfants des générations nouvelles, en apprenant à parler, apprenaient en même temps à admirer et à glorifier Napoléon. Chaque chaumière avait le portrait du grand homme, l'image de ses batailles, les épisodes populaires de sa vie; c'était, en même temps, et la révélation des sentiments de fierté nationale, de louable patriotisme, et la traduction visible d'une préférence politique ; c'était une profession de foi.

S'il existait un homme qui eût, dans son héritage, la mission de faire revivre l'Empire, celui-là était assuré, à l'avance, d'une immense acclamation populaire. Cet homme existait; il s'appelait Louis-Napoléon Bonaparte; il était le neveu de Napoléon et l'héritier de son trône; il était dans la force de l'âge et pouvait ainsi gouverner de ses propres mains. Le jour où le pays, qui n'avait eu jusque-là aucun intérêt à suivre sa vie, retrouva le souvenir de son existence, ce jour-là, Louis-Napoléon fut le sauveur indiqué, le souverain désigné pour arracher la France aux tourmentes de l'anarchie.

Et en effet, quelle révélation plus significative peut-on trouver du sentiment populaire, que cette manifestation spontanée du suffrage universel au 6 juin 1848. Des élections partielles avaient lieu dans un certain nombre de départements; quelques chauds partisans avaient jeté en avant le nom de Louis-Napoléon comme candidat à un siège de l'Assemblée constituante, et il suffisait de cette étincelle pour faire jaillir la flamme. Quatre départements, dont celui de la Seine, nommaient pour leur représentant le neveu de Napoléon et l'héritier de sa couronne!

Nous n'avons pas à nous arrêter à cette première période de l'élévation de Louis-Napoléon; il serait sans intérêt de montrer ici les ombrages qu'éveillait parmi les républicains cette faveur populaire qui allait invinciblement à lui, les attaques, les calomnies, les persécutions qui le conduisaient à se démettre de son mandat de représentant; nous ne voulons retenir de ces faits que la démonstration des

vérités que ce livre veut mettre en lumière. LouisNapoléon était bien l'homme du pays; le pays le proclamait spontanément. Et quand, plus tard, la volonté de la nation aura mis en ses mains les destinées de la France, à ceux qui tenteraient de méconnaître la sincérité du mandat, nous n'aurions qu'à répondre : reportez-vous à l'élection du 6 juin! Et nous pourrions ajouter encore reportez-vous à l'élection du 17 septembre. Le 17 septembre 1848, en effet, de nouvelles élections partielles avaient lieu et l'héritier de la couronne impériale était encore élu, sans avoir, plus que la première fois, posé sa candidature. Mais cette fois, c'étaient six départements qui le nommaient réprésentant.

Ce jour-là, il fallait se rendre à l'évidence. Le pays allait avec entraînement à Louis-Napoléon; la nation violentait les résistances du Prince, et, malgré le pouvoir, malgré la Chambre, elle l'arrachait à l'exil pour marquer, dans la limite permise, sa volonté de lui confier ses destinées et de retrouver l'ordre sous son autorité. Nous prenons ainsi cette révélation à son origine; nous en suivrons le développement, et quand nous aurons à parler du Deux-Décembre, ce sera le présenter sous son véritable jour que de le montrer comme un acte de soumission à cette même volonté nationale dont les 6 juin et 17 septembre 1848 étaient les premières et éclatantes manifestations.

CHAPITRE II

L'ÉLECTION DU 10 DÉCEMBRE

-

Vote de la Constitution de 1848. Les candidats à la présidence de la République. Le général Cavaignac, MM. de Lamartine, Raspail et Ledru -Rollin, candidats républicains. - Le général Changarnier, M. Thiers, le maréchal Bugeaud, le Prince Louis-Napoléon, candidats contre-révolutionnaires. -Attitude et caractère du Prince. Les chefs des anciens partis se rallient à sa candidature. français. Efforts stériles du Gouvernement pour faire élire le général Cavaignac. La France au 10 décembre. Résultat de l'élection. Quelles conséquences il faut en tirer.

[ocr errors]

[ocr errors]

Son manifeste au peuple

Les hommes de 48 eussent volontiers prolongé leur domination; mais le pays voulait en finir avec ce provisoire, et, quoique l'élection du Président de la République ne fût cependant que la confirmation de la forme républicaine elle-même, il y entrevoyait une issue pour sortir de l'impasse où il se sentait engagé. C'était l'occasion possible d'une manifestation de ses préférences, de l'affirmation de ses volontés. L'élection était donc attendue avec une réelle impa

« PreviousContinue »