Page images
PDF
EPUB

portait avec lui se résumait en un mot : c'était le salut.

Mais pour les légitimistes et les orléanistes, que d'objections n'y avait-il pas à faire contre une telle candidature! Ils ne jugeaient ni prudent ni possible d'engager la lutte à leur profit direct; ce qu'ils voulaient, c'était, à la fois, empêcher l'affermissement de la République et réserver l'avenir; c'était par conséquent éviter l'élection du général Cavaignac, et trouver, pour lutter avec avantage contre lui, un candidat qui eût, dans l'opinion, une force suffisante. Le doute n'était plus possible, le Prince était le candidat par excellence, Mais, avec lui, l'avenir que rêvaient ces monarchistes n'était-il pas compromis?

Si ce nom de Napoléon était une force, il était en même temps un péril; que serait l'avenir entre les mains du Prince devenu chef de l'État? Si ces mêmes monarchistes voulaient renverser le général Cavaignac et la République avec lui, ils ne voulaient, à aucun prix, servir de marchepied à un Président qui pût faire souche dynastique, à un prétendant qui pût, par sa valeur, son habileté et l'autorité qu'il prendrait sur le pays, substituer, un jour, une couronne à son pouvoir passager.

Par ses origines et par ses aspirations, Louis-Napoléon était sans doute un prétendant; mais un examen approfondi de l'ensemble de sa situation confirmait-il réellement les appréhensions que son nom pouvait éveiller? Le pays verrait-il en lui l'étoffe d'un souverain? Le Prince avait-il les qualités nécessaires pour conquérir le rang suprême? Le pou

voir, en ses mains, serait-il une condition de force et un levier favorable à ses desseins? Serait-il au contraire une épreuve funeste, et deviendrait-il la ruine des ambitions qu'on devait lui supposer? Telles étaient les questions que se posaient les chefs des partis. Les opinions étaient très partagées; la controverse était des plus vives. L'impression qui domina, et que M. Thiers contribua à faire accepter, fut celle-ci le Prince est un honnête homme, enclin aux illusions, plus près des rêves que de la réalité. Élevé dans l'exil, étranger aux mœurs, au tempérament du pays, il n'a aucune des conditions qui permettent de prendre de l'autorité. La science du gouvernement lui fait défaut; il sera contraint, dès lors, de recourir aux lumières des hommes expérimentés. Il paraît accessible aux conseils et l'influence peut ainsi s'acquérir facilement sur son esprit. En résumé, il semble fait pour la subordination plutôt que pour la résistance; on peut en faire un instrument, et on n'a point à redouter sa prépondérance.

Que le Prince l'ait ou non voulu, que cela ait été le fruit d'un calcul ou la conséquence de sa nature laissée à elle-même, toujours est-il que ses rapports avec les hommes politiques de l'époque entretinrent, au lieu de les dissiper, les illusions qu'ils s'étaient faites sur son compte. Ses allures étaient d'une extrême modestie; elles dénotaient la timidité. Le plus souvent il écoutait, et toujours avec un sourire encourageant. L'expression de son visage était la mélancolie; elle autorisait à supposer, en lui, une

sorte de naïveté politique, l'indifférence plutôt que la résolution. Il paraissait apprendre au commerce des autres; la vérité, c'est qu'il observait et s'initiait à un rôle où tout était nouveau pour lui. Quelque Nestor des anciens partis tentait-il d'affecter, vis-à-vis de lui, un air de protection et de supériorité, il ne semblait point s'en apercevoir. Il ne voyait que ce qu'il voulait voir, il ne se soumettait pas, mais il se dérobait. Essayait-on de pénétrer son sentiment, de savoir l'accueil qu'il faisait à un conseil donné, à une opinion émise, on cherchait en vain à rompre son silence s'il tenait à le conserver; on avait alors de lui une parole aimable au lieu d'une réponse. Sa douceur et sa bienveillance étaient telles qu'elles interdisaient l'insistance. S'il le jugeait opportun, il se replaçait à son rang de prince, de fils de roi, d'héritier d'un grand trône, sans faire, cependant, rien qui fût réellement appréciable pour l'œil le plus exercé. Sa nature, en cela, le servait merveilleusement, et il pouvait ainsi se grandir, quand besoin était, sans qu'on pût jamais lui prêter une pensée hautaine. Les égards qu'il montrait aux hommes considérables qui l'approchaient faisaient croire à chacun d'eux qu'il était, de sa part, l'objet d'une préférence personnelle. On quittait le Prince croyant avoir fait, sur son esprit, une impression décisive et avoir conquis à la fois son amitié et sa confiance. C'est bien cette conviction qu'emportèrent, de leurs entretiens avec Louis-Napoléon, les grands du jour, MM. Thiers, Molé, Changarnier les premiers. Dans leurs rapports ultérieurs avec lui, ce

fut, à la fois, et la cause de leur faiblesse et la raison de sa supériorité.

Pour les présomptueux de cette pléiade politique, le Prince fut longtemps un homme de peu de portée. Pour les observateurs plus attentifs, il resta une énigme. Peu de personnes, à coup sûr, oseraient prétendre qu'elles ont, dès le début, pénétré cette impénétrable nature; beaucoup de ceux-là mêmes qui, plus tard, ont vécu près de lui n'ont réussi à se former qu'une opinion incomplète sur son compte. Le temps, les grandeurs, le mouvement considérable qui se fit autour du Prince, devenu Empereur, ne modifièrent sensiblement ni ses apparences premières, ni sa nature elle-même; son instruction, déjà solide, se compléta par la pratique des hommes et des choses; les manifestations de sa pensée prirent un caractère d'élévation qui devint la véritable éloquence; ses proclamations, ses discours du trône, toujours ses œuvres personnelles, montrent en lui le profond penseur et l'homme d'État philosophe. Son imagination ne subit point l'effet ordinaire de l'âge : elle resta son principal écueil, et c'est à la prédominance trop exclusive de cette faculté, au culte exagéré qu'il avait pour les inspirations qui venaient d'elle qu'on doit attribuer les fautes principales de son règne. Il conserva toujours sa répugnance pour le conseil et le contrôle, et si, malgré sa tendance instinctive à résister à toute domination, il finit par en subir, et des plus pernicieuses, il fallut, à ceux qui surent prendre cet ascendant sur lui, une extrême habileté ou, plus exactement, l'usage exagéré de ces

moyens trop souvent infaillibles près des trônes, la louange et l'adulation.

Président ou empereur, Louis-Napoléon ne se départit jamais de sa douceur, de sa bienveillance, ni surtout de sa bonté qui resta le trait saillant de son caractère; il ne se défit pas plus de son indifférence, et l'opiniâtreté qu'on rencontra parfois en lui ne devint point, à vrai dire, cette réelle fermeté qu'on s'est plu à lui croire. On verra plus tard que si ces hautes qualités n'étaient pas dans les habitudes ordinaires de son esprit, il sut les trouver aux heures solennelles. Dans les graves événements, on put admirer son sang-froid et sa complète possession de lui-même. Dans les dangers suprêmes, en face de la mort, on le trouva toujours impassible et courageux jusqu'au dédain du péril. L'histoire ne placera pas cette figure à un rang ordinaire; si elle a, pour certains actes du Prince que nous verrons devenir l'Empereur Napoléon III, des sévérités, sur lesquelles il ne nous conviendrait pas de donner ici l'éveil, elle aura de justes hommages pour les grands côtés de sa nature; elle fera la part des temps, des difficultés inextricables au milieu desquelles Louis-Napoléon a commencé, conduit et terminé son règne, et elle ne pourra méconnaître cette incontestable vérité, que, de 1849 à 1870, la France a trouvé, par lui, plus de vingt ans de prospérité.

Il faut louer la clairvoyance de ceux qui ont su entrevoir cet heureux horizon au milieu des obscurités de cette époque troublée de 1848. Ce sont ces perspectives pressenties qui rallièrent à la candida

« PreviousContinue »