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verrons qu'elles y demeuraient plusieurs heures encore, et qu'il fallait de nouvelles et pressantes invitations de ma part pour les en faire sortir.

On pourrait se demander pourquoi, dans une question aussi grave, mes demandes de troupes s'arrêtaient au général en chef de l'armée de Paris, pourquoi je ne portais pas plus haut la question, pourquoi je ne m'adressais pas directement au ministre de la guerre et au Chef de l'État lui-même. A cette observation voici la réponse : le 2 décembre, et à l'occasion des retards dans l'envoi des troupes à la mairie du Xe arrondissement, il avait été convonu, entre le général de Saint Arnaud et moi, que toutes mes réquisitions et demandes de troupes seraient adressées au général Magnan qui devait, selon les circonstances, en référer ou non au ministre. Je ne faisais donc que me conformer aux conventions arrêtées. En dehors de cela, il faut ajouter que la plupart de mes dépêches, les plus importantes surtout, étaient expédiées à quatre exemplaires destinés, l'un au Prince, les trois autres à MM. les ministres de la guerre et de l'intérieur et au commandant en chef de l'armée de Paris. Le gouvernement était donc informé du conflit qui se produisait; il avait sous les yeux toutes les pièces du débat.

Les deux lettres du général Magnan résumaient le système militaire que je condamnais et contre lequel je ne cessais de lutter. Qui de nous avait avec lui la vérité? Dans ma conviction, on pouvait pré

venir la journée du 3, et par cela on et conjuré la journée du 4.

On le voit donc, tout en ayant un but nous différions absolument sur les procéd propices pour l'atteindre. Je reste conva tous mes avis avaient été suivis en temps aurions eu à ajouter à notre triomphe c lante satisfaction d'avoir accompli notre effusion de sang.

LES PRÉPARATIFS DE L'INSURRECTION

Les espérances des insurgés. Les faux bruits et les plaArrêté sur les rassemblements.

cards révolutionnaires.

Le mode de votation sur registres. Protestations que
Les questions de M. de Morny;

cette décision soulève.

ses instructions; un échange de dépêches inutiles. Les armes prises à domicile. — Pillage des maisons aux abords des barricades.

La journée du 2 décembre avait jeté un tel effarement dans le camp des révolutionnaires que la nuit qui l'avait suivie leur avait à peine suffi pour ranimer les courages abattus et reformer un faisceau des éléments actifs d'une insurrection. Le fait dominant de cette journée du 2 décembre, avait été la résistance des parlementaires. Nous avons vu que le lendemain, 3 décembre, les excitations de la veille avaient porté leurs fruits. Ce n'était pas encore avec l'espoir d'un succès immédiat que la lutte avait été engagée. On n'avait eu d'abord pour but que d'animer

et d'entraîner les indécis par

l'exemple. On s'était

bercé ensuite d'une bien autre espérance! On avait

rêvé le retour des trahisons de 1830 et de 1848. De ce fait que, dans certains régiments, plusieurs officiers étaient restés dévoués aux généraux arrêtés, on tirait cette trompeuse conséquence que quelques bataillons feraient défection et qu'insensiblement le reste de l'armée imiterait cet exemple. Cette illusion était donnée partout comme une certitude et en même temps les faux bruits les plus invraisemblables étaient répandus avec une simultanéité merveilleuse. Ceux surtout relatifs à l'attitude de la province avaient réussi à monter les imaginations. Les déclamations des chefs encore libres de la Montagne, leurs proclamations, leurs appels aux armes, les convocations du ban et de l'arrière-ban des sociétés secrètes avaient également porté leurs fruits, et, le 4 décembre, on était en mesure de livrer bataille. On songeait déjà aux lauriers de la troisième journée, toujours comme en 1830 et en 1848.

Nous ne suivrons pas, dans toutes les réunions nocturnes, ces prudents fauteurs de l'émeute, quoique nous ayons eu, parmi eux, d'invisibles surveillants. Le récit de leurs discours serait sans intérêt. Ce n'étaient que les éternelles redites des péroreurs de carrefours. Il suffira d'en connaître les principaux résumés. Les placards qui les donnaient s'étalaient, à la pointe du jour, sur les murs de Paris.

Le grand citoyen Victor Hugo était pour les émeutiers l'écrivain par excellence, et c'est sans aucun doute pour leur conserver plus sûrement le rédacteur de leurs pompeuses proclamations, pour éviter tout trouble possible dans ses inspirations, qu'il se

tenait, avec autant de précaution, éloigné du danger. Tout en appelant les ouvriers aux armes, il se gardait bien lui-même de changer sa plume pour un fusil. On attribuait au grand poète le factum suivant :

Vive la République !

« Vive la Constitution!
« Vive le suffrage universel!
« Louis-Napoléon est un traître !
« Il a violé la Constitution!

« Il s'est mis hors la loi!

« Les représentants républicains rappellent au peuple et à l'armée l'article 68 et l'article 110, ainsi conçus :

« L'Assemblée constituante confie la défense de la présente Constitution et les droits qu'elle consacre à la garde et au patriolisme de tous les Français.

« Le peuple, désormais, est à jamais en possession du suffrage universel, il n'a besoin d'aucun prince pour le lui rendre, et châtiera le rebelle; que le peuple fasse son devoir! Les représentants marcheront à sa tête.

« Michel de Bourges, Schoelcher, le général Laydet, Mathieu de la Drôme, Brives, Brémond, Joigneaux, Chauffour, Cassal, Gillaud, Jules Favre, Victor Hugo, Emmanuel Arago, Madier de Montjau aîné, Mathé, Signart, Rongeat de l'Isère, Viguier, Eugène Sue, Esquiros, Deflotte.

« Esquiros est mort sur la barricade au faubourg Saint-Antoine. »

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