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CHAPITRE XXVII

CONCLUSION

COUP D'EIL SUR LE DEUX-DÉCEMBRE.

Quels sentiments a éveillé le Deux-Décembre dans la nation? - Qui l'a approuvé, qui l'a condamné ? Qui l'approuve qui le condamne aujourd'hui? - Quel sera le jugement d l'histoire ? Ce que font les révolutionnaires en juillet 1830, en février 1848, en septembre 1870 et le 18 mars 1871.

Quels sont leurs mobiles? - Quelles origines ont leurs pouvoirs? Contraste avec le Deux-Décembre.- Résumé.

Nous avons pris soin, dans notre préface, d'avertir nos lecteurs que tout en écrivant, dans ce livre, l'histoire de la présidence de Louis-Napoléon, nous avions eu pour principal objectif le grand acte du Deux-Décembre. Il domine, en effet, toute cette. période de notre histoire contemporaine, et, à ce titre, il n'est pas sans intérêt de résumer en quelques mots les impressions qu'il doit faire naître.

Nous avons montré quel enchaînement de circonstances avait fatalement engendré le Deux-Décembre; nous avons dit quelles avaient été ses conséquences,

quelles transformations il avait apportées dans le régime constitutionnel de la France; examinons maintenant, avec impartialité, par quels sentiments il fut accueilli dans la nation. Nous chercherons, en même temps, quelles sont, aujourd'hui, les appréciations sur ce grand épisode. Nous essayerons, enfin, de prévoir ce que sera, sur lui, le jugement de l'histoire, quelle part lui sera faite dans cette série d'événements qui, depuis le commencement du siècle, changèrent si fréquemment la forme du gou

vernement.

Et d'abord, quel a été l'accueil?

Pour en juger sainement, il convient de se placer à quelques jours de la lutte, c'est-à-dire après les faits accomplis, alors que le pays, dégagé des inquiétudes qu'avait fait naître l'émeute, pouvait se prononcer dans la plénitude de sa liberté. A ce moment, l'accueil fait au Deux-Décembre se résume en un mot ce fut une immense ovation.

En France, depuis que les troubles et les révolutions ont mis périodiquement tous les intérêts en péril, il s'est créé, en dehors de toute préférence politique ardente, un groupe considérable qui réunit, du plus opulent au plus humble, tous ceux qui possèdent, tous ceux qui sont en voie d'acquérir. Ce groupe a pour première aspiration la tranquillité; il veut, avant tout, l'ordre et la paix; il s'est donné, lui-même, le nom qui traduit le mieux ses instincts, il s'appelle le parti conservateur. Par suite du morcellement du sol, il réunit numériquement, à lui seul, plus de la moitié du pays.

On peut dire que le parti conservateur applaudissait unanimement au succès de Louis-Napoléon.

La légende napoléonienne existait encore dans toute sa force; elle avait ses fanatiques, et leur joie bruyante se mêlait aux applaudissements du parti conservateur. Les uns voyaient enfin reparaître la sécurité perdue; les autres saluaient le retour d'une dynastie restée populaire malgré ses malheurs. C'était de cet ensemble imposant que venait l'ovation, et elle était d'autant plus éclatante que le parti vaincu subissait silencieusement sa défaite.

Quelle appréciation domine aujourd'hui sur le DeuxDécembre?

Si le ressentiment reste au cœur de plusieurs de ceux qui en ont souffert, nous n'avons point à nous en étonner, c'est la loi de la nature; et si l'élévation de l'esprit permet quelquefois de se soustraire aux rancunes vulgaires, ce n'est pas dans les rangs de la démagogie qu'il faut s'attendre à trouver ces louables exceptions. Mais, tous les gens sensés, tous les hommes modérés, un grand nombre même des vaincus de cette époque, la masse du pays en un mot, ne jugent-ils pas aujourd'hui que le Deux-Décembre fut une patriotique entreprise, que ce fut un jour de délivrance et que les dix-huit ans de prospérité qui en furent la conséquence formeront, dans l'histoire du siècle, l'une de ses plus mémorables pages?

En vain nous dirait-on que la majorité donnée de nos jours aux républicains est la condamnation du Deux-Décembre. Ce serait commettre une grave erreur que de tenir un pareil langage, et montrer

qu'on connait mal le sentiment intime du pays. Il importe, pour l'avenir surtout, de faire justice d'une telle interprétation.

Ce qui constitue, aujourd'hui, la majorité républicaine, ce ne sont pas les républicains proprement dits. Cette opinion, au point de vue doctrinal, n'a que de rares partisans. La majorité républicaine se compose des éléments les plus dissemblables. Elle compte, de droit d'abord, les révolutionnaires de profession, les besogneux avides de places lucratives, les déclassés et les envieux : c'est là son noyau militant. Elle renferme, ensuite, le groupe pacifique et peu nombreux des croyants à la forme républicaine, des doctrinaires de la démocratie; tous ceux-là, à coup sûr, protestent énergiquement contre ce qu'ils appellent avec horreur le crime du Deux-Décembre. Mais, ce qui fait le nombre dans la majorité républicaine, et ce qui par conséquent fait sa force, c'est une fraction malheureusement importante du parti conservateur, qui, par un sentiment mal compris de sa tranquillité, préfère vivre dans un malaise qui n'est pas encore la ruine, plutôt que de chercher le salut dans une revendication énergique qu'il ne sépare pas de quelques risques passagers. Le fait existant, tel est, pour ces conservateurs égarés, le gouvernement qu'il faut soutenir. Ils ne l'aiment pas, mais ils le subissent; ils se résignent, et traduisent cette résignation par un concours électoral d'où sortent les majorités républicaines et révolutionnaires de nos assemblées.

Qu'on ne nous dise pas que ces adhérents, par

crainte, ces républicains d'occasion, professent pour le Deux-Décembre un sentiment de répulsion ou de haine. Non, ils regrettent silencieusement, les uns la Monarchie, les autres l'Empire, et ils applaudiraient au retour d'un passé qui avait leur préférencé, s'ils se réveillaient un jour sous la Monarchie restaurée ou sous l'Empire rétabli. Quand, devant ceux-là, on parle du Deux-Décembre, ils répondent par un soupir d'envie; ils gémissent de n'avoir pas à saluer -un pareil fait accompli.

Nous sommes incontestablement en droit de dire qu'aujourd'hui, à plus de trente ans de distance du Deux-Décembre, la partie saine de la nation applaudit encore à ce grand acte et aux bienfaits qu'il a engendrés. Elle ne fait ainsi que devancer le jugement de l'histoire.

L'histoire en effet rendra à ce grand événement, son caractère véritable; elle tiendra compte de la situation faite au pays, des dangers qui l'attendaient, des conspirations qui menaçaient le pouvoir et la vie du Prince; elle appréciera le but qu'il voulait atteindre; elle saluera le succès qui a couronné son œuvre; elle enregistrera solennellement, pour les livrer aux générations futures, ces immenses et successives acclamations d'un peuple entier qui, dans sa pleine liberté, dans sa toute-puissance constituante, disposait de ses destinées, et rendait le pouvoir à la dynastie fondée, par ses suffrages, au commencement du siècle. Ce n'est pas l'histoire qui prendra, dans ses pages, ce mot que nos ennemis voudraient rendre injurieux et qui ne fait que traduire leur haine et

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