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rendus. Il le prie de garder quatre de ces billets montant à 3,984 fr., de les négocier, et d'en employer la valeur à fournir des aliments et à faire apprendre un métier à un enfant naturel qu'il avait eu de la demoiselle Crétin; d'en remettre un au sieur Clavelin, son médecin; un autre au sieur Jeanniot, son perruquier, et le troisième au bureau de charité de Lons-le-Saulnier, ville qu'il habitait. Le même jour, le sieur Jeannin remplit ponctuellement les commissions dont il est chargé. Le lendemain, le sieur Thomas fait rappeler le sieur Jeannin, et lui donne une montre, des boucles d'argent et quatorze louis, pour être remis, la montre et les boucles au fils du sieur Denis Regaud, et les quatorze louis à deux femmes qu'il lui désigne, en lui recommandant le secret. Il meurt presqu'au même instant; et ce n'est qu'après sa mort que le sieur Jeahnin remet la montre, les boucles et les quatorze louis aux personnes désignées.

où il était qu'il succomberait prochainement à cette maladie; que les déclarations du sieur Jeannin prouvaient que cette opinion était telle, que toutes les personnes à qui les dons étaient faits avaient pensé de même, puisqu'elles avaient dit que, dans le cas où le sieur Thomas ne fût pas mort, elles auraient été assez honnêtes pour lui rendre ses créances; qu'ainsi, on ne pouvait voir, dans cette espèce de donation, qu'une tradition précaire; que, d'ailleurs, il n'y aurait pas eu d'irrévocabilité; que, par conséquent, la donation manque des deux caractères essentiels pour la rendre parfaite; qu'enfin, la donation que l'on qualifiait de main-chaude, ne paraissait pas pouvoir admettre d'intermédiaire, à raison de l'incertitude qui en résulterait, soit sur la tradition, soit sur l'acceptation;

2o Que dans la supposition même où l'on considérait les dons faits par le sieur Thomas, comme des donations entre-vifs d'effets mobiliers de la Le sieur Bonguyot, frère utérin et unique hé- main à la main, le mode de transmission employé ritier du défunt, informé de ces particularités, par lui ne pourrait produire aucun effet, parce assigne le sieur Jeannin devant le tribunal de que, s'agissant ici d'effets mobiliers incorporels, première instance de Lons-le-Saulnier, et, après la transmission ne pouvait avoir lieu qu'en vertu un interrogatoire sur faits et articles, dans lequel d'une cession ou d'un acte écrit de donation; que le sieur Jeannin les confesse toutes, telles qu'on la signature en blanc du sieur Thomas ne pouvait vient de les retracer, il déclare consentir à ce que tenir lieu de cession, parce que l'usage invoqué les sieurs Moyard, Clavelin, Jeanniot et le bureau par les défendeurs n'avait été introduit et toléré de charité, conservent chacun le billet qui lui a été qu'en faveur du commerce, et que, dans l'espèce, délivré; mais, mettant en cause les sieurs Regaud, aucune des parties n'avait la qualité de négociant; Grélier, d'Arçon, Piard, Rousseau et le tuteur de 3o enfin, que cette cession ne pourrait être valal'enfant naturel, il conclut contre les cinq pre-ble qu'autant qu'il en existerait un acte écrit et miers, à ce qu'ils soient tenus dé lui restituer les régulier, et que les défendeurs n'en produisaient billets qu'ils ont reçus du sieur Jeannin. Il conclut aucun. » également contre le sieur Regaud, en sa qualité de tuteur légitime de son fils, à la restitution de la montre et des boucles. A l'égard du sieur Jeannin, il demande qu'il soit condamné 1o à lui rendre quatorze louis qu'il prétend avoir remis à deux femmes qu'il refuse de nommer; 2° à lui rendre pareillement les 3,984 francs de billets à ordre destinés à l'enfant naturel; 3° à garantir, quant aux autres billets, la solvabilité des personnes auxquelles il a remis les effets, et qui pourraient en avoir touché le montant, et celles des débiteurs de ces mêmes effets, depuis le moment où le sieur Thomas l'avait chargé de les distribuer.

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- «

Le 19 mars 1811, jugement par lequel le tribunal civil de Lons-le-Saulnier accueille toutes les prétentions du sieur Bonguyot, attendu, qu'en admettant la confession judiciaire du sieur Jeannin, telle qu'elle a été faite sans la diviser, et, par suite de cette confession, qu'il fût vrai que le sieur Thomas ait eu la volonté de donner et de charger le sieur Jeannin de faire la distribution de ses dons aux défendeurs, on ne pourra cependant pas réputer ces dons comme faits entre-vifs, parce que l'état de maladie grave dans lequel se trouvait le sieur Thomas, démontrait qu'il ne voulait donner, que dans l'opinion

Point d'appel de ce jugement de la part du sieur Rousseau, ni de celle du tuteur de l'enfant naturel.

Mais les sieurs Jeannin, Regaud, Grélier, d'Arçon et Piard, s'en rendent appelants aux chefs qui les regardent.

Le 15 décembre 1812, arrêt de la cour de Besançon, qui infirme, «< attendu que le sieur Thomas ayant, avant sa mort, transféré aux donataires la propriété des objets qu'il chargeait le notaire Jeannin de leur remettre, on devait considérer le don de ces objets comme fait entre-vifs, et que les dons manuels ne sont soumis à aucune formalité; que vainement, dit-on, à l'égard des billets, que, s'agissant de droits incorporels, la remise du titre était insuffisante, qu'elle devait être accompagnée d'une cession ou transport, pour être translative de propriété, et qu'un endossement en blanc n'avait pas cet effet; qu'il est constant au procès que le sieur Thomas a déposé les billets entre les mains du sieur Jeannin pour en transférer la propriété aux personnes à qui ils étaient destinés ; que c'est dans cette vue que le sieur Jeannin les a remis à ces personnes; que si le sieur Thomas n'a mis au dos de ces effets que des ordres en blanc, il n'en avait pas moins l'in

tention d'en transmettre la propriété aux personnes A l'appui de ce moyen, le demandeur faisait qui étaient l'objet de son affection; que ce n'est valoir les termes de l'article cité, « à dèfaut d'enpas le cas, d'ailleurs, d'appliquer ici la disposi- dossement dans les formes ci-dessus, les lettrestion de l'ordonnance qui ne considérait un en-de-change seront réputées appartenir à celui qui les dossement en blanc que comme un simple mandat; aura endossées», et l'interprétation que leur a, dique cette disposition ne peut être invoquée que sait-il, donnée l'art. 138 du Code de commerce, par les tiers intéressés, par exemple, par les en déclarant que l'endossement non revêtu des créanciers du tireur, en cas de faillite; mais que formalités requises pour lui donner l'effet d'un le tireur ou ses héritiers qui le représentent, ne transport, n'est qu'une procuration. Il convenait peuvent s'en prévaloir, excepté cependant si ces pourtant que sous l'ordonnance de 1673, l'usage héritiers avaient droit à une réserve, et qu'il y fût avait attribué à l'endossement en blanc, l'effet de porté atteinte par la transmission des effets, mais transférer la propriété; mais il soutenait qu'il avait que le sieur Bonguyot n'est point héritier à ré- été restreint entre négociants. serve du sieur Thomas;

Les défendeurs répondaient à ce moyen, que l'endossement en blanc suffit pour approprier l'endosseur, et que la nullité ne peut être opposée que par ses créanciers, ou par ses héritiers à réserve.

3o Violation du principe onsacré par l'ordonnance de 1731, comme par le Code civil, qu'il n'y a point de donation entre-vifs sans acceptation.

Quant aux effets mobiliers remis au sieur Jeannin, pour être distribués aux donataires, qu'on prétend, sans fondement, que les dons manuels ne peuvent pas être faits par l'intermédiaire d'un tiers; qu'il suffit, au contraire, qu'il soit constant que le tiers ait rempli la commission dont il a été chargé, pour que la donation soit valable; que, dans l'espèce, le sieur Jeannin s'est conformé complètement aux intentions du sieur Thomas; que En supposant, disait le demandeur, que les son aveu', qui est indivisible, et qui n'est pas con- dons manuels du sieur Thomas puissent être rétesté, en fournit une preuve suffisante; qu'il est putés donations entre-vifs, encore faut-il, pour indifférent que les objets n'aient été remis aux do- leur validité, qu'il y ait eu acceptation de la part nataires qu'après la mort du donateur; que le des donataires. Or, il ne pourrait y avoir eu acsieur Thomas ne s'en est pas moins dessaisi des ceptation de leur part, qu'autant qu'il y aurait eu objets donnés avant sa mort; et que le sieur Jean-tradition réelle faite à eux-mêmes, du vivant du nin, en se chargeant de les remettre à ceux à qui ils étaient destinés, était le negotiorum gestor de ceux-ci, et avait accepté pour eux la donation qui leur était faite. »

En conséquence furent maintenus, par cet arrêt, les dons d'effets de commerce faits aux sieurs Regaud, Grélier, d'Arçon et Piard; le don de la montre et des boucles fait au sieur Regaud; pareillement celui de quatorze louis fait aux deux femmes que le sieur Jeannin avait refusé de nommer et qu'il représentait; quant au don destiné à l'enfant naturel, comme le sieur Jeannin n'y avait aucun intérêt, et que personne n'avait appelé pour l'enfant du jugement de première instance, l'annulation de ce don n'a pu être révoquée.

Le sieur Bonguyot se pourvoit en cassation contre cet arrêt, et sa requête admise, l'affaire est discutée contradictoirement devant la section

civile.

Il proposait trois moyens de cassation :

1o Violation de l'art. 893 du Code civil, qui ne permet de disposer à cause de mort que par tes

tament.

donateur.

Mais ici, ce n'est point à eux, c'est à un tiers, que la tradition à été faite; et ce n'est qu'après la mort du donateur, que le tiers leur a fait la tradition qui, à leur égard, pouvait, seule, équipoller à l'acceptation. Tandis qu'il a vécu, le donateur a conservé la propriété : donc il n'y a point eu acceptation de son vivant; donc il n'y a point eu donation valable. Prétendre que le tiers à accepté pour les donataires, c'est un fait faux dans l'espèce; car le sieur Jeannin n'était point leur fondé de pouvoirs; il n'a pas même prétendu agir comme leur negotiorum gestor. Ce serait, d'ailleurs, soutenir un système qui entraînerait les inconvénients les plus graves. Si un tiers peut ainsi se dire chargé de faire des dons manuels, un banquier, un agent d'affaires, un dépositaire d'effets quelconques appartenant à une succession, pourra se dispenser de les rendre aux héritiers, sous le prétexte que le défunt l'a chargé de les remettre à d'autres.

Ces inconvénients sont chimériques, répondaient les défendeurs. Si, dans l'espèce actuelle, le sieur Bonguyot est forcé de s'en rapporter à la déclaration du sieur Jeannin, c'est qu'il n'a que son aveu pour preuve du dépôt qui lui a été fait, et que son aveu est indivisible; au lieu que si un pa

Ce moyen, quel qu'en fût le mérite au fond (voyez ci-après no Iv), était écarté par une circonstance décisive c'est que la cour d'appel avait jugé, en fait, que les dons manuels dont il s'agis-reil dépôt était prouvé d'une toute autre manière, sait, avaient le caractère de donation entre-vifs. comme il l'est toujours à l'égard d'un agent 2o Violation, en ce qui concerne les billets à faires, ou d'un banquier, ce serait en vain que le ordre, de l'art. 25 du titre v de l'ordonnance de dépositaire alléguerait, pour se dispenser de ren1673. dre les effets aux héritiers, que le défunt l'a chargé

d'af

verbalement d'en faire des libéralités. Du reste, dès que, pour la validité d'un don manuel, il suffit que la tradition réelle ait lieu du vivant du donateur, il importe peu que cette tradition soit faite aux donataires eux-mêmes, ou à un tiers qui l'accepte pour eux.

Par arrêt du 12 décembre 1815, au rapport de M. Carnot,«<La cour, -attendu, sur le premier moyen, qu'il y a eu tradition réelle, de la part du sieur Thomas, des billets, de la montre et des boucles en question; ce qui suffit pour la validité des donations de cette nature;

« Attendu qu'en effet, ce qui répond au second moyen, l'endossement de billets à ordre, quoique fait en blanc, en transfère la propriété au porteur, sauf l'exception naturelle et nécessaire des cas de faillite, et d'héritiers à réserve;

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Attendu, sur le troisième moyen, qu'il y a eu tradition réelle de la montre et des boucles, quoique les donataires n'en aient été personnellement saisis que depuis le décès du donateur, puisque le donateur s'en était réellement dessaisi, et que le notaire Jeannin avait accepté lesdits objets pour les donataires : — rejette.....

Cet arrêt décide,

1° Que sous l'empire du Code civil, on peut, de la main à la main, et sans acte, donner des effets mobiliers;

2o Que si les objets ainsi donnés n'ont pas été délivrés par le donateur au donataire lui-même, mais à un tiers chargé de les remettre à celui-ci, la donation est valable, si ce tiers l'a acceptée pour le donataire, encore bien que la remise des effets n'ait eu lieu qu'après la mort du donateur; 3o Que si parmi les objets donnés, il se trouve des billets à ordre endossés en blanc, ces billets ne peuvent être réclamés par les héritiers du do

nateur.

Voyez les arrêts rapportés à l'article Avantage indirect.

Mais il nous paraît hors de doute que sous le Code de commerce, la tradition d'un billet à ordre endossé en blanc ne peut en transmettre la propriété au porteur. C'est aussi ce qu'a décidé un arrêt de la cour royale de Metz, du 14 juillet 1818. (Sirey, 1819, 2° partie, page 47.)

On peut objecter, contre le second point jugé par l'arrêt ci-dessus, du 12 décembre 1815, que la montre, les boucles, et les quatorze louis dont l'arrêt de cassation ne parle pas, confiés au notaire Jeannin pour être transmis aux donataires, n'ont été remis par lui qu'après la mort du donateur; que ce notaire n'avait aucune qualité ni pouvoir pour accepter cette donation; que le sieur Thomas est donc décédé propriétaire de ces objets, parce qu'il fallait que la propriété résidât sur la tête de quelqu'un, et qu'elle n'appartenait pas aux donataires, tant qu'ils n'avaient pas accepté; que le notaire Jeannin n'était donc qu'un intermédiaire, un mandataire chargé par le sieur Thomas pour exécuter ses ordres; et que, par conséquent, tant qu'ils n'ont pas été exécutés, le sieur Thomas n'a point été dessaisi, et qu'étant succession. décédé propriétaire, ces objets sont restés dans sa

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Si la cour d'appel de Besançon eût déclaré que On doit remarquer, sur ce dernier point, que ces circonstances ne suffisaient pas pour constater l'arrêt est rendu dans une espèce régie par l'or- que la donation eût été acceptée par les dona-donnance de 1673, sous l'empire de laquelle la taires, la cour suprême eût aussi maintenu cette jurisprudence n'a jamais été bien fixée sur la ques-decision, tout en improuvant les motifs qui lui tion de savoir si l'endossement en blanc de billets auraient servi de base; car, quelle loi eût été à ordre transmettait ou non la propriété entre violée? et l'on sait qu'il faut une contravention l'endosseur et le porteur. Mais cette difficulté ne expresse à la loi, pour que la cour annule. Cepeut exister sous le Code de commerce; car l'ar-pendant, on doit regarder son arrêt comme fixant ticle 138 dit expressément que l'endossement en blanc n'est qu'une procuration. Donc il ne transmet pas la propriété; donc l'endosseur qui veut la transmettre est rigoureusement obligé de dater l'endossement, d'y exprimer la valeur fournie, et le nom de celui à l'ordre de qui le billet est passé. (Ibid, art. 137.)

Voy. Billet à ordre.

les véritables principes, du moins en ce sens, que quand il ne s'agit pas de donations manuelles excessives, ou impugnées de fraude, les tribunaux ne doivent pas les annuler facilement, lorsque le donateur s'est réellement dessaisi, et que, comme dans l'espèce, sa volonté de donner est évidente.

II. Les choses incorporelles, comme les rentes, les créances, ne sont pas susceptibles d'une traSi la valeur n'a pas été fournie, quoique l'en-dition réelle; on ne peut les donner verbalement dossement dise le contraire, la propriété n'en est pas moins transmise, à moins que cette simulation n'ait été employée pour couvrir quelque incapacité ou quelque fraude.

à un tiers; il faut dès lors un acte notarié qui constate la volonté du donateur (Code civil, articles 931 et 948), à moins que les parties n'empruntent la forme d'un autre contrat, de la vente,

par exemple, auquel cas l'acte peut être fait sous] faire ordonnner la remise aux personnes indiseing-privé( voy. Avantage indirect). Tous les auteurs en sont d'accord.

quées pour la recevoir; que la déclaration du curé étant la seule preuve de l'existence et de la quotité du dépôt, ne pouvait être divisée, et que si

Il en est autrement, si les titres des rentes, des créances ou d'autres droits, sont remis aux débi-sous ce rapport elle servait de base à la demande teurs. Cette remise équivaut à une donation, parce qu'elle prouve la libération (Code civil, art. 1282 et 1283); elle a l'effet de la délivrance manuelle d'un meuble corporel.

III. On a vu souvent pratiquer des dons manuels sous la forme d'un dépôt, avec condition d'employer la somme déposée après la mort du déposant. Il est rare que ces dispositions n'aient pas donné lieu à des contestations, lorsque le dépôt a pu être constaté par l'aveu du dépositaire, ou par d'autres preuves.

Lorsque ces dépôts sont destinés à des œuvres pies, ou aux pauvres, et qu'ils sont modiques, eu égard à la fortune du disposant, cette destination a toujours été approuvée par les héritiers qui se respectent et qui ont le sentiment des convenances. Ils commettraient une espèce de sacrilége, s'ils se refusaient à l'exécution des volontés de leur auteur; et s'ils voulaient la contester, ils trouveraient sans doute les tribunaux peu disposés à écouter leurs prétentions.

Cependant, en principe, les choses ainsi déposées appartiennent aux héritiers, car jusqu'à sa mort, le déposant a conservé le droit de les réclamer, et ce droit a passé dans sa succession. C'est la cour de cassation a jugé dans l'espèce suivante:

En 1815, la dame veuve de La Tour, au nom et comme tutrice de sa fille, assigne le sieur Pouzol, curé de Vigan, afin de restitution de diverses sommes et effets dont il avait été constitué dépositaire par feu M. de La Tour, père de la pupille. -Le sieur Pouzol déclare que M. de La Tour, en faisant le dépôt, lui avait exprimé la volonté que les valeurs déposées fussent distribuées aux pauvres jusqu'à concurrence de 10,000 fr.; que les pauvres ayant déja touché 7,380 fr., il leur revenait encore 2,620 fr.; qu'il était prêt à restituer tout ce qui excédait cette somme, mais qu'il se croyait autorisé à retenir les 2,620 fr. pour en faire emploi suivant la destination fixée par le déposant. Le bureau de bienfaisance mis en cause, demanda que la somme de 2,620 fr. lui fût délivrée.

Le 23 janvier 1817, jugement du tribunal civil de Vigan, qui accueille la demande du bureau de bienfaisance,« attendu qu'aux termes de l'art. 1924 du Code civil, lorsque le dépôt cst verbal et qu'il excède 150 fr., le dépositaire en est cru sur sa déclaration, soit pour le fait même du dépôt, soit pour la chose qui en faisait l'objet, soit pour le fait de sa restitution; et que le curé Pouzol ayant déclaré qu'il avait été chargé par le sieur La Tour de distribuer aux pauvres la somme déposée, cette déclaration devait suffire pour en

de la veuve La Tour, elle devait également servir à la faire rejeter, lorsqu'elle devenait contraire ; que l'article 1937 du Code civil faisait un devoir au dépositaire de ne se dessaisir du dépôt que conformément à la destination qui lui avait été donnée; que l'article 1939 décidait, à la vérité, qu'en cas de décès du déposant, la chose déposée ne devait être remise qu'à son héritier, mais que cet article ne devait s'appliquer qu'aux dépôts faits sans destination. >>

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Appel par la dame veuve de La Tour; et, le 17 mai 1817, arrêt de la cour royale de Nîmes qui infirme, attendu qu'il est constant, en fait, que le sieur Pouzol a en mains une somme de 2620 f., résidu d'une somme plus forte, dont feu La Tour l'avait constitué dépositaire; - attendu que le déposant demeure toujours maître du dépôt, tant que le dépositaire n'a point rempli la destination pour laquelle il a été fait; que dans ce cas, le déposant est libre de reprendre le dépôt, et le dépositaire tenu de le lui remettre à sa première réquisition; que le même droit est acquis aux héritiers du déposant, suivant l'article 1939 du Code civil; que, pour les exclure de ce droit, il faudrait ou que la destination du dépôt eût été déja accomplie, ou qu'elle eût été irrévocablement fixée par une disposition testamentaire régulière; qu'étant convenu que ni l'une ni l'autre de ces circonstances ne se rencontrent dans l'espèce, il n'y avait aucun motif plausible pour affranchir le sieur Pouzol de l'obligation de restituer le dépôt à la veuve La Tour, lorsqu'elle le lui demandait. »

Pourvoi en cassation de la part du sieur Pouzol et du bureau de bienfaisance, pour fausse application de l'article 1939 du Code civil, et violation des articles 1924 et 1937.

La bonne foi, ont-ils dit, est la base du dépôt, puisque son exécution dépend presque toujours de la fidélité du dépositaire. Aussi l'art. 1924 veutil que, quand le dépôt n'est point prouvé par écrit et que sa valeur excède 150 fr., le dépositaire en soit cru sur sa déclaration, soit pour le fait même du dépôt, soit pour la chose qui en faisait l'objet, soit pour le fait de sa restitution. C'est par suite du même principe que l'article 1937 ajoute que le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir Or, dans l'espèce, le dépôt n'est prouvé que par l'aveu de M. Pouzol; mais cet aveu est indivisible; le dépôt a été fait avec l'indication de personnes pour le recevoir; donc aux termes de la loi il ne pouvait être remis qu'à ces personnes qui sont bien favorables, puis

que ce sont les pauvres. Vainement a-t-on voulu appliquer l'article 1939 qui décide qu'en cas de mort du déposant, la chose déposée ne peut être rendue qu'à son héritier; car, cet article doit être entendu d'une manière concordante avec l'article 1937. L'article 1939 dispose, en général, pour le cas où il n'y a pas eu de personne indiquée pour recevoir le dépôt; mais il ne peut s'appliquer à la cause, où une indication précise a été faite l'article 1937 veut alors que la chose déposée ne soit remise qu'à la personne indiquée: donc l'arrêt qui a décidé le contraire doit être

cassé.

dépôt serait un fidéi-commis qui aurait souvent pour but de cacher des dispositions prohibées. Le législateur a dû écarter soigneusement tout ce qui pouvait favoriser la violation de la loi sur la disponibilité des biens, surtout après lui avoir donné la latitude qu'elle devait avoir dans nos mœurs. On ne peut donc qu'approuver la disposition du projet qui porte, « qu'en cas de mort de celui qui a fait le dépôt, la chose déposée ne « peut être rendue qu'à son héritier. »

Ces motifs du législateur, continuait la défenderesse, pour l'adoption de l'article 1939 et sur le sens que l'on doit y donner, prouvent que la cour de Nîmes a fait de la loi l'application la plus juste, et que, par conséquent, le pourvoi en cassation doit être rejeté.

Le pourvoi des demandeurs, a répondu la dame de La Tour, ne roule que sur une équivoque. Il est bien vrai que l'aveu du dépositaire ne peut être divisé, et que pour le fait du dépôt, comme Par arrêt de la section civile du 22 novembre pour celui de sa restitution, il doit en être cru sur 1819, au rapport de M. Vergès, « la cour, — sa déclaration. Et pourquoi ? c'est qu'alors la vo- attendu que, d'après l'art. 1924 du Code civil, lonté du déposant est présumée accomplie. Mais lorsque le dépôt d'une somme, au-dessus de 150 f. tant que la destination n'est pas accomplie, l'ob- n'est pas prouvé par écrit, le dépositaire et est cru jet déposé reste entre les mains du dépositaire à sur sa déclaration, soit pour le fait du dépôt, la disposition du déposant, et s'il décède avant soit pour celui de sa restitution; -que ces der la restitution, ou l'accomplissement de la destina- nières expressions démontrent que le législateur tion, ses droits passent évidemment à ses héri-a supposé une restitution déja consommée de la tiers, qui, maîtres comme lui-même de la chose totalité du dépôt; que d'après l'art. 1937, le déposée, peuvent en changer la destination, et, dépositaire ne doit restituer le dépôt qu'à celui par conséquent, se faire remettre le dépôt. Et qui le lui a confié, ou à celui qui a été indiqué voilà ce que les demandeurs ont affecté de ne pas pour le recevoir; qu'il résulte, par conséquent, entendre. Ils ont confondu le fait de la restitution de cet article, que celui qui a confié le dépôt avec la destination: cependant la différence est conserve toujours principalement le droit de le grande. Le dépositaire en est cru sur le fait de la réclamer, tant que la destination n'est pas accomrestitution, et s'il dit l'avoir effectuée, il est libéré; plie; - attendu, enfin, que l'art. 1937 veut qu'en il peut de même en être cru sur la destination, cas de mort naturelle ou civile du déposant, la mais dès qu'elle n'est pas accomplie, l'héritier du chose déposée ne puisse être rendue qu'à son hédéposant peut la changer. La raison en est que ritier; que, par conséquent, la dame Leblanc, la destination non réalisée ne confère aucun droit veuve La Tour, tutrice de sa fille, héritière du à la personne indiquée, et que la propriété de la sieur La Tour, qui avait fait le dépôt dont il s'agit chose continue de résider sur la tête de l'héri-au procès, a eu le droit de réclamer la somme tier. C'est ce qu'a fort bien expliqué M. Favard de Langlade, en présentant au Corps législatif le vœu du Tribunat pour l'adoption de l'article 1939. Mais si le déposant, disait-il, décède avant qu'un dépôt ait été rendu, à qui la remise doitelie en être faite?

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Sera-ce à celui qui était indiqué pour recevoir le dépôt sera-ce à l'héritier du dépositaire ?

« Il semble d'abord que la chose déposée devrait être remise à la personne indiquée pour la recevoir, parce qu'elle est censée y avoir une espèce de droit acquis; mais, en y réfléchissant, on voit que le déposant a conservé jusqu'à sa mort la propriété du dépôt, qu'il a pu le retirer à volonté, et que la destination projetée n'ayant pas eu son exécution, il en résulte que l'héritier du déposant lui succède dans la plénitude de ses droits; qu'ainsi le dépositaire ne peut pas, à l'insu de l'héritier, disposer du dépôt en faveur de la personne qui lui avait été désignée, parce que le

Tome II.

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qui restait encore de ce dépôt, entre les mains du sieur Porzol, dépositaire; qu'en le décidant ainsi, la cour royale de Nîmes a fait une juste application de l'art. 1639 du Code civil, et n'a violé ni l'art. 1924, ni l'art. 1937 du même Code : — rejette.....

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L'espèce de cet arrêt se rapproche beaucoup de celle de l'arrêt rapporté ci-dessus, du 12 décembre 1815; car confier une somme à un curé, en le chargeant de la distribuer aux pauvres, ou la remettre à un notaire, en lui disant qu'on la donne à telle personne qui ne la reçoit réellement qu'après la mort du disposant, n'est-ce pas toujours la même volonté, la mème disposition? Cependant l'une a été exécutée, et l'autre n'a pu être maintenue. Quelle en est la raison ? c'est que dans l'arrêt de 1815, la disposition a été considérée comme un don manuel, tandis que dans celui de 1819, elle a été considérée comme un dépôt. Il est bien probable que si la cour de Nîmes eût, ainsi que celle de Besançon, considéré la

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