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rieurs qui constituent des droits irrévocablement acquis.

Et, au contraire, elles régissent sans effet rétroactif, les actes et les droits antérieurs purement éventuels, ou qui peuvent ne se pas réaliser.

II. Quand y a-t-il droit acquis en matière d'hypothèque née avant le Code civil? ou bien, quand l'article 1135 de ce Code peut-il, sans effet rétroactif, s'appliquer aux hypothèques antérieures à sa publication?

Voy. Hypothèque, sect. III, no vIII.

Par quelle loi doit être régi le don mutuel fait sous l'empire d'une coutume ou de la loi du 17 nivose an 2, lorsque le donateur est décédé sous le Code civil?

Voy. Don mutuel, no vii et suivants.

Peut-on, sans faire rétroagir la loi du 17 nivose. an 2, l'appliquer à un douaire stipulé au profit des enfants à naître, par un contrat de mariage antérieur à sa promulgation ?

Voy. Douaire, no ш.

III. Est-ce par la loi existante à l'époque du décès de l'instituant ou donateur, et non par celle existante à l'époque de la donation, qu'il faut régler la quotité des légitimes que les enfants peuvent réclamer par voie de retranchement sur la donation d'un droit d'aînesse conféré par contrat de mariage, si, au moment du contrat, ce droit n'était pas irrévocablement acquis?

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Sous l'empire de la législation féodale, le droit d'aînesse ne pouvait-il se prendre qu'à titre d'héritier? et par suite, le fils aîné noble, qui renonçait à la succession de son père, était-il mal fondé à prétendre dans la donation entre-vifs qu'il lui avait faite, le préciput et les parties avantageuses?

Ces questions ont été affirmativement résolues par un arrêt de la cour de cassation, du 26 août 1818.

En 1780, le prince de Rohan-Rochefort épousa la princesse de Rohan-Guémené.

Leur contrat de mariage, en forme authentique, sous la date du 9 juillet 1780, contient deux dispositions principales bien distinctes.

Par la première, le prince de Rochefort, père, déclara qu'il mariait son fils aîné comme son héritier principal et noble, pour recueillir, en ces qualités, dans sa succession, le préciput et les portions avantageuses qui lui seraient accordés par les coutumes qui régiraient les biens de sa succession, à l'effet de quoi il instituait le futur époux son héritier pour tout ce qui pourrait lui revenir suivant les lois et coutumes.

Par la seconde disposition, le prince de Rochefort fit une donation entre-vifs et irrévocable au futur époux, de la terre de Rochefort et de ses dépendances. Le donateur se réserva la propriéte des bois de haute-futaie et l'usufruit de la terre donnée.

Tome II.

Cette donation fut faite, à la charge par le futur époux, en cas d'acceptation de l'institution contractuelle, d'imputer, sur les droits successifs dans la succession du père, la totalité de la valeur de ladite terre, d'après l'estimation qui en serait faite.

En 1811, le prince de Rochefort est décédé. Ses filles, aujourd'hui demanderesses en cassation, n'avaient pas été dotées; elles ont accepté

la succession sous bénéfice d'inventaire.

Le prince de Rohan-Rochefort a renoncé, au pour la donation qui lui avait été faite de la terre contraire, à l'institution contractuelle, et a opté de Rochefort.

De tout le patrimoine du prince de Rochefort, il ne restait plus, à l'époque de son décès, que ladite terre de Rochefort.

Les demanderesses en cassation ont agi alors en retranchement de la donation de cette terre, pour la légitime à laquelle elles avaient droit aux termes de l'article 298 de la Coutume de Paris.

Elles ont consenti que leur frère prélevât la portion disponible, telle qu'elle était fixée par cette coutume.

Elles ont soutenu qu'il n'avait pas le droit de prélever, en qualité d'aîné noble, le préciput et les portions avantageuses, soit parce que les nouvelles lois avaient aboli ces priviléges, soit parce que, même d'après l'ancienne législation, la renonciation à l'hérédité faisait cesser l'exercice de ces droits.

Le prince de Rohan-Rochefort a soutenu, de son côté, que la terre de Rochefort lui avait été donnée, en qualité de fils aîné noble, et qu'il n'avait renoncé à la succession que pour conserver la totalité des droits et avantages qui lui avaient été assurés par la donation.

Il a ajouté que la répudiation qu'il avait faite des droits héréditaires, était indifférente à des légitimaires qui n'avaient droit, en 1780, qu'au quart de la terre de Rochefort.

Il a offert, en conséquence, à ses sœurs, telle légitime que de droit; mais il a prétendu qu'il était fondé à prélever le préciput et les portions avantageuses.

Par jugement du 18 février 1813, le tribunal civil de Paris a décidé que le prince de RohanRochefort n'avait pas le droit de faire ce prélèvement.

Il a décidé, en second lieu, que le prince de Rohan-Rochefort avait droit à la quotité disponible déterminée par l'article 298 de la Coutume

de Paris.

Il a fixé, en conséquence, la légitime de chacune des demanderesses, à un sixième de la valeur de ladite terre, et il a ordonné de procéder incessamment à la liquidation.

Le prince de Rohan-Rochefort et son épouse ont appelé de ce jugement.

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La cour royale de Paris l'a réformé; elle a fixé Que cette donation lui a été faite par son la légitime de chacune des demanderesses en cas- père, à la charge, en cas d'acceptation de l'instisation à un huitième de la valeur de la terre de tution contractuelle, d'imputer sur les droits sucRochefort, et a autorisé le prince de Rohan-cessifs, la valeur de ladite terre, d'après l'estimaRochefort à prélever le préciput et les portions tion qui en serait faite; avantageuses.

Cette cour a considéré que la donation de la terre de Rochefort avait été faite au fils aîné par suite de son institution comme héritier principal et noble, pour recueillir dans la succession du père le préciput et les portions avantageuses.

«

Attendu que, d'après l'article 16 de la Coutume de Paris, d'après l'opinion générale des commentateurs de cette Coutume, et d'après une jurisprudence invariablement observée sous l'empire de la législation féodale, le fils aîné n'avait, dans les familles nobles, le droit de prendre le préciput et les portions avantageuses, qu'à titre d'héritier;

Il a été considéré, en second lieu, que le prince de Rohan-Rochefort, ainsi investi à titre universel, devait profiter de ses droits d'ainesse sur la « Que le prince de Rohan-Rochefort, héritier terre de Rochefort, quoiqu'il eût renoncé à l'in-institué dans son contrat de mariage par son père, stitution contractuelle, ou à la succession, à défaut a renoncé à la succession paternelle ouverte en d'autres biens existants; 1811;

Que cette renonciation ne pouvait avoir d'autre résultat que de conserver à la donation tous ses effets;

Que l'action en retranchement de la légitime, dérivant de la donation elle-même, et de la réserve dont la loi, à cette époque, l'a grevée, elle ne peut être régie tout à la fois par la loi de la donation et par la loi contraire de la succession;

Que la forme et les effets des donations entre vifs devaient être déterminés et réglés par la loi en vigueur au temps de la donation;

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Que cette renonciation l'aurait privé, dans le temps même où les lois féodales étaient en vigueur, du droit de réclamer, en qualité d'aîné, le préciput et les portions avantageuses;

« Qu'en faisant produire à la donation particulière de la terre de Rochefort, quant au préciput et aux portions avantageuses, des effets exclusivement réservés par la loi et par ledit contrat à l'institution, la cour royale de Paris a dénaturé l'essence de ce contrat, et s'est mise en opposition tant avec les dispositions de la Coutume qu'avec la volonté du père;

Que le prince de Rohan-Rochefort, donataire « Qu'en effet le privilége du droit d'aînesse a en 1780 de la terre de Rochefort, avait été irré- été tellement concentré dans l'institution par l'invocablement saisi de la propriété de cette terre, stituant lui-même, qu'il a imposé à son fils aîné sauf la réserve fixée au quart pour les légitimai-la condition expresse de ne pas cumuler les avanres, par les articles 9 et 12 de la Coutume de tages de l'institution avec ceux de la donation, et Montfort..... d'imputer, au contraire, la donation sur sa part héréditaire

Violation formelle de l'article 16 de la Coutume de Paris.

Contravention, en outre, aux lois des 15 mars 8 avril 1791, et à l'article 745 du Code

1790, civil.

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« Qu'il implique que l'institué qui n'aurait pu cumuler les deux avantages de l'institution et de la donation, même en acceptant l'institution, puisse les cumuler en y renonçant ;

« Attendu, en second lieu, que le prince de Rochefort est décédé en 1811; qu'à cette époque, soit en vertu des lois des 15 mars 1790 et 8 avril 1791, soit en vertu de l'article 745 du Code civil, les droits d'aînesse et de masculinité dans les successions étaient abolis;

«

Que, par conséquent, le droit de prendre, à titre successif, en vertu du privilége d'aînesse, le préciput et les portions avantageuses, n'existait plus, lors du décès du prince de Rochefort;

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Que la loi du 18 pluviose an v, n'a conservé que les avantages irrévocablement acquis antérieurement aux lois qui en avaient prononcé l'abolition;

"

Qu'on ne peut considérer comme irrévocablement acquis, du vivant du père, un droit d'aînesse qui était essentiellement subordonné à l'ouverture de la succession, et dont plusieurs événements pouvaient détruire les effets;

Qu'aussi le prince de Rochefort père s'est-il

référé lui-même dans ledit contrat, quant à l'in-même au cas de jouissance commencée sous l'emstitution, aux droits et coutumes qui seraient en vigueur lors de l'ouverture de la succession; «Que, dans cet état de choses, l'action en retranchement de la donation, pour cause de légitime, devait être jugée d'après les dispositions de l'article 298 de la Coutume de Paris, et qu'il n'y avait lieu à accorder le prélèvement, ni des portions avantageuses, ni du préciput;

« Qu'en décidant le contraire, la cour royale de Paris a violé l'article 16 de la Coutume de Paris, et les autres lois ci-dessus citées;

« La cour casse et annule l'arrêt de la cour royale de Paris, du 29 janvier 1814, etc.

Fait et jugé, etc. Section civile, etc. » On voit que notre première question n'a été résolue contre l'aîné noble, qui réclamait son droit d'aînesse, que parce que les effets de ce droit étant subordonnés à l'événement, et aux chances d'une succession future, ne constituaient pas un droit irrévocablement acquis, quand les lois nouvelles ont supprimé les droits d'aînesse. Ces lois ont, en conséquence, pu être appliquées, sans effet rétroactif, à un contrat antérieur qui ne donnait que l'expectative d'un avantage non réalisé au moment de leur publication.

IV. Les lois, quant à la matière qui nous occupe, se divisent en deux classes: les unes ont pour objet principal les personnes, et se nomment lois personnelles, ou statuts personnels, comme disent les anciens jurisconsultes; les autres ont pour prin cipal objet les biens, et s'appellent lois réelles

ou statuts réels.

Les lois personnelles ou qui réglent la capacité civile ou l'état des personnes, saisissent l'individu et ont leur effet du jour de leur promulgation. En cela, elles n'ont aucun effet rétroactif, parce que l'état civil des personnes étant subordonné à l'intérêt public, il est au pouvoir du législateur de le changer ou modifier, selon les besoins de la société; et l'influence qu'il a sur les biens n'étant qu'un effet de cet état, est subordonnée aux mêmes variations que l'état lui-mênie, parce que cette influence n'est que secondaire.

pire d'une loi dont les dispositions, relativement' à la durée de l'usufruit, différaient de celle du Code; non pas en ce sens que ce qui est échu et acquis, quant aux biens avant le Code, soit rétracté par l'effet de sa publication, mais en ce sens que, pour l'avenir, la loi personnelle étendra secondairement son effet sur les biens. C'est la décision expresse de deux arrêts de la cour de cassation, l'un du 13 mars 1816, à mon rapport, l'autre du 11 mai 1819, au rapport de M. Lasaudade. (Sirey, 1816, page 425, et 1819, page 446.)

Les lois réelles ne régissent que les conventions passées sous leur empire; elles ne s'appliquent aux conventions antérieures qu'autant qu'elles ne seraient pas irrévocables, soit par l'effet d'une stipulation expresse, soit par l'effet de la loi du temps du contrat.

Cela est vrai lors même que les droits ne s'ou vrent ou ne produisent leur effet que depuis la loi nouvelle; lors même qu'ils étaient soumis à des conditions qui ne s'accomplissent, ou à des événements qui n'arrivent qu'après la nouvelle loi; lors même qu'ils n'étaient pas accompagnés de la saisine des biens sur lesquels ils étaient établis, et qu'ils pouvaient être altérés ou même entièrement détruits dans leurs résultats par des actes qu'autorisaient également les lois anciennes et la loi nouvelle; en un mot, dès qu'il y a droit acquis, il continue d'obtenir ses effets ou commence à les obtenir sous la loi nouvelle, comme si elle n'était pas intervenue.

Voy. Lois, sect. 111.

VI. Il y a cependant deux observations à faire sur ce principe.

La première, c'est que le mode d'exécution d'un contrat ancien, peut, sans effet rétroactif, être réglé par la loi nouvelle.

Ainsi, les débiteurs de rentes constituées avant le Code civil, peuvent être contraints au rachat aux termes de l'article, 1912 du Code, tout aussi bien que les débiteurs de rentes créées depuis le Code, s'ils cessent de payer les arrérages pendant deux ans, encore bien que la loi du temps du contrat ne conférât pas un pareil droit au créan

Ce principe, d'une grande importance, est consacré par de nombreux arrêts de la cour de cassation, et notamment par celui du 12 juincier. 1815, rapporté à l'article Autorisation de la femine mariée, no viii.

Par exemple, la femme mariée avant le Code civil, sous la Coutume de Normandie, ou dans les pays régis par le sénatus-consulte Velleïen, peut, depuis le Code, valablement cautionner son mari avec la seule autorisation de celui-ci ; et c'est ce qu'a jugé, entre autres, un arrêt de la cour régulatrice du 27 août 1810, rapporté eod. loc.

De même aussi, l'article 384 du Code civil qui règle la durée de l'usufruit légal des père et mère sur les biens de leurs enfants, a dû être appliqué

Voy. Prêt, sect. 11, § II, n° vi et suiv. Ainsi encore, le mode de paiement d'un douaire contractuel stipulé avant le Code civil, peut être réglé par ce Code saus effet rétroactif.

Voy. Expropriation forcée, § 11, no 11.

De même aussi, tous les procès, tous les actes d'exécution faits depuis la mise en activité du Code' de procédure civile, doivent être faits ou instruits suivant les règles tracées par ce Code, sans distinguer si les actes faits ou les contrats auxquels ils se rattachent, sont antérieurs ou postérieurs à sa publication. (Code de procédure, article 1041.)

VII. La seconde observation concerne les lois de son mariage un enfant qui fut nommé Alfredinterprétatives ou déclaratives. Gisson Grimod d'Orsay.

pre

L'effet de ces lois étant d'annoncer que la inière a toujours dû être entendue dans tel sens et exécutée de telle manière, il en résulte que les droits non acquis irrévocablement, les contesta tions non encore jugées en dernier ressort, doivent être réglés d'après l'interprétation donnée; mais il n'en résulte point que les contrats ou les jugements revêtus d'un caractère irrévocable puissent être anéantis sous prétexte de l'erreur qui les a dictés il n'y aurait tout au plus alors qu'une erreur de droit contre laquelle personne n'est relevé pour les choses consommées.

Un arrêt de la cour de cassation, du 3 août 1812, au rapport de M. Cochard, a consacré ce principe de la manière la plus formelle, en jugeant que la loi du 9 brumaire'an vi, relative aux domaines congéables, ayant ordonné que le premier décret du 21 juin 1791 serait exécuté, et ayant considéré celui du 27 août 1792 comme une erreur échappée au législateur, erreur rectifiée par cette dernière loi, il ne pouvait produire aucun effet sur les droits non irrévocablement acquis dans l'intervalle de sa publication au 9 brumaire an vi. (Bulletin civil, pag. 247.)

On en trouve un autre exemple dans un arrêt rendu sous l'empire du Code civil et qui a implicitement décidé que les dispositions de ce Code qui proclament des règles anciennes, mais appliquées d'une manière peu uniforme, fixent le sens dans lequel ces règles doivent être appliquées aux faits antérieurs.

Cet arrêt juge en outre 1° que la maxime suivant laquelle chacun doit s'enquérir de la capacité de la personne avec qui il contracte, ne s'applique pas rigoureusement aux étrangers à l'égard des nationaux frappés par une loi politique; qu'ainsi une Allemande épousant un Français en Allemagne a très-bien pu ignorer qu'il était, comme émigré, frappé de mort civile, et que par suite sa bonne foi assure à son mariage les effets civils, aux termes de l'art. 201 du Code civil;

2o Que lorsqu'un mariage a été contracté entre deux personnes dont l'une est frappée de mort civile, la bonne foi de l'autre, qui suffit pour produire les effets civils en faveur des enfants issus du mariage, suffit également pour leur donner le droit de successibilité dans la famille de l'époux de mauvaise foi, comme dans celle de l'époux de bonne foi. Voici l'espèce :

Le général d'Orsay se trouvait inscrit sur la liste des émigrés, lorsqu'en l'an VII il épousa, à Francfort-sur-le-Mein, la demoiselle de Francquemont, née à Louisbourg dans le duché de Wurtemberg.

En l'an vIII, il rentra en France en vertu d'une autorisation provisoire du gouvernement, et il s'établit à Paris, où, le 15 pluviose an ix, il eut

Le 8 frimaire an x, la dame de Croy, veuve de Trasignies, tante du général d'Orsay, mourut à Aire, département du Pas-de-Calais, laissant par testament le sieur Duval pour son légataire universel.

Le sieur Duval, considérant le mineur d'Orsay comme devenu, par la mort civile de son père, héritier légitime de la veuve de Trasignies sa grande tante, lui fit nommer pour tutrice la dame d'Orsay sa mère, obtint de celle-ci la délivrance de son legs, se mit en possession des biens, et en vendit une partie.

La dame de Trasignies, étant morte sous l'empire de la loi du 4 germinal an vIII, n'avait pu disposer que de la moitié de ses biens au préjudice de ses héritiers légitimes.

En vertu de cette loi, le sieur de La Tour, agissant en vertu d'une délibération du conseil de famille, comme tuteur ad hoc du mineur d'Orsay, héritier bénéficiaire de la dame de Trasignies sa grande tante, forma, le 6 août 1810, contre le sieur Duval, une demande en délaissement de la moitié des biens de la succession, et appela les acquéreurs dans l'instance en déclaration de jugement commun.

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Le sieur Duval et les acquéreurs soutinrent que le tuteur était non-recevable dans sa demande, attendu que, son mineur étant né du mariage contracté pendant la mort civile du genéral d'Orsay, et sa naissance ayant eu lieu pendant cette mort civile, il n'avait pu succéder à la dame de Trasignies, décédée pendant cette même mort civile.

Le tuteur répondit, entre autres choses, que le général d'Orsay était en Allemagne depuis longtemps avant l'émission des lois françaises sur l'émigration; qu'il ignorait, lors de son mariage fait à Francfort-sur-le-Mein, qu'il fût inscrit sur la liste des émigrés; que particulièrement, la demoiselle de Francquemont, étant étrangère à la France, n'avait pu avoir connaissance qu'il fût en cet état; que, dans tous les cas, la bonne foi où elle était donnait, au mineur d'Orsay, issu de leur mariage, la légitimité et le droit de succéder à la dame de Trasignies sa grande tante.

Par arrêt du 22 février 1812, la cour de Douay jugea que le sieur d'Orsay père, étant mort civilement, n'avait pu donner à son fils une existence civile et une capacité de succéder qu'il n'avait pas ;

Que le mineur d'Orsay se prévalait vainement de la bonne foi de sa mère, parce que cette honne foi, en la supposant existante, avait bien pu lui conférer le droit de légitimité et de successibilité dans la ligne de la mère, mais n'avait pu lui conférer le droit de succéder dans la ligne du père avant l'obtention de l'amnistie, qui, seule, avait rendu le père et le fils à la vie civile: en consé

quence, la cour de Douay déclara le tuteur du que ceux qui avaient jugé en sens contraire, il mineur d'Orsay non-recevable dans ses demandes. n'en résultait pas moins qu'il y avait diversité dans Le tuteur a demandé la cassation de cet arrêt, la jurisprudence; que par suite, en supposant pour violation de la maxime filius et legitimus, même que le Code civil érige en loi le principe ergò hæres, des lois 57, § 1, D. De ritu nuptia- contraire, on ne pouvait casser l'arrêt pour avoir rum, et 4 au Code, De incestis et inutilibus nup-jugé dans un sens plutôt que dans l'autre. tiis; des chapitres Cùm inter et Ex tenore des Décrétales, titre Qui filii sint legitimi; de la jurisprudence générale des arrêts, et des articles 201 et 202 du Code civil.

Il a fait observer que, suivant ces lois, la légitimité est indivisible, et produit la successibilité, à moins d'exception contraire établie par une loi positive;

Que, d'après ce principe, lorsque l'un des époux a été de bonne foi, le mariage, quoique nul, a toujours donné aux enfants la légitimité et la successibilité dans les deux lignes, sauf les cas également exceptés par une loi contraire;

Qu'aucune loi n'a fait exception pour le cas de la mort civile de l'un des époux, lorsque l'autre a contracté de bonne foi; qu'au contraire, en ce cas, la jurisprudence commune des arrêts a jugé que le mariage donne aux enfants la successibilité dans les deux lignes, et le droit de succéder, tant à l'époux mort civilement, qu'à ses ascendants et collatéraux ;

Que si quelques arrêts semblaient avoir décidé autrement, ils ont été déterminés par le défaut de preuve de la bonne foi, ou par d'autres circonstances particulières; et ils sont en si petit nombre, qu'ils ne peuvent prévaloir contre une règle établie par des textes précis des lois romaines et des Décrétales, qui tient à l'indivisibilité de l'état et à l'essence des choses, que l'usage général a maintenue, et que le Code civil rappelle et érige en loi positive;

Que, dans le fait, l'arrêt dénoncé n'avait osé méconnaître la bonne foi de la dame d'Orsay; que néanmoins il avait jugé que cette bonne foi, en la supposant existante, ne donnait point au mineur d'Orsay le droit de succéder à la dame de Trasignies, tante de son père; qu'en cela il violait formellement les lois citées; qu'il devait, par conséquent, être cassé.

Le sieur Duval et les acquéreurs répondaient que les lois romaines et canoniques, invoquées par le tuteur, n'ont jamais eu force de loi dans le lieu de la situation des biens dont il s'agit;

Que si, suivant ces lois, le mariage, quoique nul, donnait dans le cas de la bonne foi de l'un des époux, aux enfants, la légitimité et la successibilité dans les deux lignes, cette règle n'était pas généralement reçue, quant à la successibilité, à l'égard des mariages contractés en état de mort civile ;

Qu'en ce cas il y avait des arrêts qui avaient refusé aux enfants le droit de succéder à l'époux mort civilement et aux parents de sa ligne;

Que si ces arrêts étaient en moindre nombre

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Sur ces moyens respectifs, la cour a rendu l'arrêt suivant, sous la date du 15 janvier 1816: Ouï le rapport de M. le conseiller Cassaigne, les observations de Darrieux, avocat du mineur Grimod d'Orsay; celles de Barrot, avocat de Duval; et enfin celles de Gérardin, avocat des tiersacquéreurs; ensemble les conclusions conformes de M. le baron Mourre, procureur-général du roi; et après en avoir délibéré en la chambre du conseil, le tout aux audiences des 9 et 10, et à celle de cejourd'hui ;

« Vu l'art. 202 du Code civil;

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Considérant que la bonne foi de l'un des époux a de tout temps constitué la légitimité des enfants issus dans le mariage putatif, sur quelque motif qu'ait été fondée la nullité du mariage: d'où il suit que l'art. 202 du Code civil n'a fait que rappeler les principes de la matière;

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Considérant qu'il a toujours été également de principe que la légitimité de l'enfant est indivisible, et que la légitimité est la source de la successibilité, hors les cas exceptés par les lois contraires;

« Qu'il n'existe aucune loi qui ait séparé la successibilité de la légitimité dans le cas où, par la bonne foi de l'un des époux, le mariage contracté pendant la mort civile de l'autre rend légitimes les enfants qui en proviennent; qu'il y a, par conséquent, lieu d'appliquer à ce cas le principe de la successibilité, comme à tous les autres qu'aucune loi n'excepte;

«

Considérant que la bonne foi de la dame d'Orsay a été alléguée dans la cause; que l'existence de cette bonne foi présentait une question préjudicielle que la cour de Douay ne s'est pas dissimulée, et qu'elle n'a écartée que par une décision contraire aux principes ci-dessus rappelés ; que, par suite, son arrêt renferme une violation directe de ces principes et de l'art. 202 qui les consacre :

« La cour casse et annule l'arrêt de la cour royale de Douay, du 22 février 1812, etc. »

VIII. On voit par ce qui précède, combien il est important de ne pas confondre les lois personnelles et les lois réelles; on voit aussi que, par leurs effets, ces deux espèces de lois exercent une influence réciproque, mais secondaire, l'une sur l'autre, ce qui les rend quelquefois difficiles à distinguer.

Pour ne pas s'y méprendre, il faut examiner quel a été le but principal, direct et immédiat de la loi; si ce but a pour objet la personne, la loi est personnelle; elle est réelle s'il a les biens pour objet.

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