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Lorsque l'assuré ne fait pas le délaissement en même temps qu'il notifie la nouvelle du sinistre, les délais dans lesquels il a la faculté de le faire, sont déterminés par l'art. 373 du Code de commerce, lequel porte: Le délaissement doit être fait aux assureurs dans le terme de six mois, partir du jour de la réception de la nouvelle de la perte arrivée aux ports ou côtes de l'Europe, ou sur celles d'Asie et d'Afrique, dans la Méditerrannée, ou bien en cas de prise, de la réception de celle de la conduite du navire dans l'un des ports ou lieux situés aux côtes ci-dessus mention

nées;

« Dans le délai d'un an après la réception de la nouvelle ou de la perte arrivée, ou de la prise conduite, aux colonies des Indes occidentales, aux îles Açores, Canaries, Madère et autres îles et côtes occidentales d'Afrique et orientales d'Amérique ;

« Dans le délai de deux ans, après la nouvelle des pertes arrivées ou des prises conduites dans toutes les autres parties du monde. »

Ces délais sont de rigueur, ils emportent déchéance, prescription de l'action en délaissement; c'est ce que disent textuellement le dernier alinéa de l'article précité, et l'art. 431.

Ils courent, d'après les termes de la loi, du jour de la réception de la nouvelle de la perte, ou, pour le cas de prise, du jour de la réception de la nouvelle, non pas de la capture, mais de la conduite de la prise dans tel ou tel port. Par qui faut-il que la nouvelle soit reçue pour faire commencer le cours de la prescription? Faut-il que ce soit par l'assuré lui-même? Si l'on rapproche de l'art. 373 qui fixe les délais, l'art. 374, qui ordonne la signification, dans trois jours, de l'avis que l'assuré a reçu, d'un sinistre quelconque, on conclura de ce rapprochement qu'il n'y a que Ja réception de la nouvelle par l'assuré, qui puisse faire commencer la prescription, et que la prescription ne courrait pas, quand même la nouvelle serait parvenue à l'armateur, ou à toute autre personne intéressée au navire, ou même qu'elle aurait eu une publicité quelconque, si l'assuré n'en a pas été personnellement informé, et si la notoriété n'a pas été telle qu'il a dû nécessairement le savoir. C'est ce qu'a jugé la cour suprême, dans l'espèce que nous allons rapporter, par un arrêt de cassation qui, bien que rendu en conformité de l'ordonnance de 1681, n'en est pas moins une règle pour l'application du Code de commerce.

En 1807, les frères Despêchers firent assurer à Saint-Malo, pour le compte de qui il appartiendrait, un chargement de planches et de résine qui devait être transporté de Bayonne à Nantes, sur le navire Les Quatre amis.

Il fut stipulé dans la police d'assurance, que les sieurs Biarotte et autres, assureurs, payeraient à l'assuré 95 pour cent de la somme assurée, en

cas de perte de la cargaison, et que cette perte ne serait exigible que deux mois après qu'elle aurait été constatée par pièces probantes, ou réputées telles par communes notoriétés.

Le 21 février 1807, le navire, mit à la voile. Le 24 du même mois, il fit naufrage à l'embouchure de la rivière de Bordeaux, près Cordouen, et la cargaison fut entièrement perdue.

Parvenu à se sauver, le capitaine écrivit le même jour aux armateurs du vaisseau, à Nantes, pour leur annoncer le sinistre; et le 5 mars suivant, la feuille nantaise publia cette nouvelle.

Aucune notification ne fut faite aux frères Despêchers, à Saint-Malo; cependant le 2 mai, agissant au nom du sieur Canneyre, propriétaire de la cargaison, ils firent signifier un acte aux assureurs, par lequel ils déclarèrent qu'ils leur faisaient abandon et délaissement pur et simple des résines et planches, qui, chargées sur le navire les Quatre amis, faisaient l'objet de la police d'assurance, sous les offres, au surplus, de leur communiquer les rapport, facture, connaissement, et toutes pièces quelconques, relatives à l'assurance et à la perte de la cargaison. Par le même acte, les assureurs furent sommés de payer aux assurés, aux termes et de la manière convenus les sommes assurées.

Le 6 juin, les frères Despêchers traduisirent les assureurs devant le tribunal de commerce de Saint-Malo, pour les faire condamner au paiement des sommes assurées.

Les assureurs ont opposé à cette action une fin de non-recevoir prise de ce que la demande n'avait pas été formée dans le délai de trois mois, à compter du jour où ils avaient eu connaissance du naufrage, ainsi qu'ils l'auraient dû, aux termes de l'art. 48 du titre des assureurs, de l'ordonnance de 1681.

Le 22 janvier 1810, jugement qui déboute les assureurs de leur fin de non-recevoir, et les condamne au paiement des sommes assurées.

Appel, et le 19 novembre, arrêt de la cour de Rennes, qui infirme la décision des premiers juges, et déboute les assurés de leur demande.

« Attendu que la gabarre les Quatre amis était partie de Nantes; que l'armateur était de cette ville, et que le retour et le chargement de la cargaison de ce bâtiment devaient s'effectuer à Nantes; que le sinistre arrivé à cette embarcation a été connu à Nantes le 2 mars 1807, par une lettre du capitaine, écrite à l'armateur le 24 février précédent; sinistre dont l'annonce fut insérée dans la feuille nantaise du 5 du même mois; que suivant l'art. 48, titre des assurances, de l'ordonnance de 1681, les assurés devaient, dans les trois mois de la connaissance de ce sinistre, non-seulement notifier aux assureurs le délaissement qu'ils entendaient faire, comme ils l'ont exécuté le 2 mai 1807, mais mème former dans le même délai, toutes demandes résultantes

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« dans trois mois..... »

Il résulte de ces deux articles, disaient les demandeurs, que pour déterminer le délai dans lequel l'assuré doit former sa demande, il ne faut avoir égard qu'à trois circonstances; au lieu où la perte est arrivée, à celui où le contrat d'assurance a été passé, et à la connaissance que l'assuré (et non l'assureur) a eue de la perte de la cargaison. Or, dans l'espèce, la perte est arrivée sur la côte de la Gironde, et le contrat d'assurance avait été passé à Saint-Malo, ville de Bretagne; l'assuré avait donc trois mois pour faire le délaissement, à compter du jour où la nouvelle de la perte était parvenue à Saint-Malo.

Il importait donc fort peu que le navire fût parti de Nantes; que l'armateur, à qui le contrat d'assurance était étranger, fût de Nantes, et que le déchargement du navire dût s'effectuer dans cette ville; il importait encore fort peu que l'armateur eût reçu avis du naufrage le 2 mars 1807, et que la nouvelle en eût été insérée dans la feuille nantaise le 5 du même mois; la seule chose à considérer pour faire courir le délai, était le moment où l'assuré avait reçu la nouvelle du naufrage.

La nouvelle qui fait courir ce délai de six semaines et tout autre, dit Valin, ne peut s'entendre que d'une nouvelle, non-seulemeut certaine, mais encore publique et notoire, à moins que l'assuré n'ait fait usage de la nouvelle particulière qu'il aura reçue en la dénonçant aux assureurs. »

Emérigon, enseigne également que les délais dont il est parlé dans l'art. 48 ne courant que depuis la nouvelle de la perte, c'est-à-dire depuis que la nouvelle certaine du sinistre est devenue publique et notoire dans le lieu où l'assurancé avait été faite, ou depuis que, par la signification, l'assuré a publié lui même la connaissance qu'il en avait en son particulier. (Traité des assurances, chap. 19, sect. 14.)

Enfin, Pothier, professe aussi que le temps de la nouvelle, dont l'article 48 fait courir le délai, doit s'entendre du temps auquel la nouvelle a commencé d'être publique et notoire dans le lieu où l'assurance a été faite. (Traité du contrat d'assurance, chap. III, sect. I art. 1o, § vi.)

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Or, la cour d'appel de Rennes a fait courir le délai, non du jour où l'assuré avait eu connaissance du naufrage, mais du jour où la nouvelle était parvenue à l'armateur, et comme cet armateur n'avait pas fait assurer son navire, et qu'il n'était pas tenu de dénoncer la perte de la cargaison au propriétaire, il est évident que l'article précité a été violé. Les défendeurs répondaient que les assurés avaient une maison à Nantes; que l'armateur, leur mandataire, résidait dans cette ville, et qu'ainsi le délai avait commencé à courir le même jour où le naufrage y avait été connu.

D'ailleurs, ajoutaient-ils, la loi n'a pas déterminé la manière dont la connaissance du naufrage devrait parvenir à l'assuré; elle s'en est rapportée, à cet égard, â la conscience des juges; ainsi, toute décision sur une pareille matière, ne peut être qu'une décision de fait, et dès lors elle échappe à la censure de la cour de cassation. (Voyez l'Esprit du Code de commerce, liv. II, tit. x, sect. III, tom. 111, page 242.)

Cette observation des défendeurs aurait été sans doute d'un grand poids, si la cour de Rennes avait induit des faits reconnus constans, que les assurés avaient eu connaissance du sinistre depuis plus de trois mois avant leur action; mais elle n'en avait pas tiré cette conséquence, et dès lors l'objection des défendeurs était sans aucune force.

Sur ces débats, arrêt de la section civile, du 6 janvier 1813, qui, sur les conclusions de M. Lecoutour, avocat-général, prononce en ces termes:

«Vu les articles 42 et 48, titre des assurances de l'ordonnance de la marine de 1681;— considérant qu'il est statué par l'article 42, que lorsque l'assuré aura eu avis de la perte des marchandises assurées, il sera tenu de faire incontinent signifier aux assureurs, ou à ceux qui ont signé pour eux, l'assurance avec protestation de faire son délaissement, qu'ensuite il est dit dans l'art. 48, que les délaissements et toutes demandes en exécution de la police, doivent être faites aux assureurs dans six semaines, après la nouvelle des pertes arrivées aux côtes de la même province où l'assurance aura été faite, et pour celles qui arriveront en un autre province, dans trois mois;-considérant qu'il résulte bien clairement du rapport qui existe entre ces deux articles, que les délais de six semaines et de trois mois, ci-dessus énoncés, ne commencent à courir que du jour que l'assuré même aura reçu l'avis ou la nouvelle de la perte des marchandises; considérant que, dans l'espèce, l'assurance a été faite à Saint-Malo, que le sinistre a eu lieu au bas de la rivière de Bordeaux, par conséquent aux côtes d'une autre province que celle où l'assurance a été

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raient périssables, les délais ci-dessus mentionnés sont réduits à un mois et demi pour le premier cas, et à trois mois pour le second cas. »

Ces délais, pendant lesquels le délaissement est interdit à l'assuré, sont établis en faveur des assureurs, et motivés sur l'espérance de voir cesser l'embargo. Comme l'assuré ne peut point agir pendant leur durée, et que contra non valentem agere non currit prescriptio, ce n'est que du jour de leur expiration, que ceux de l'art. 373, commencent à courir.

L'art. 49 de l'ordonnance de la marine, d'où est tiré l'art. 387 du Code, le disait textuellement: et ne courra en ce cas la fin de non-recevoir, portée par l'article précédent contre les assurés, que du jour qu'ils auront pu agir. Quoique le Code de commerce n'ait point retracé cette disposition, il faut la considérer comme sous-entendue, et admettre la règle qu'elle établit comme conséquence de ce principe général du droit, que la prescription ne court pas contre ceux qui n'ont point la puissance d'agir.

souscrite; qu'ainsi le délai accordé par la loi a été de trois mois, à compter du jour où les assurés auraient reçu l'avis ou la nouvelle des pertes arrivées; considérant que l'arrêt dénoncé, pour établir que ces trois mois auraient été échus avant le 6 juin 1807, jour de la demande formée par les sieurs Despêchers, devant le tribunal de commerce de Saint-Malo, s'est fondé uniquement sur ce que le sinistre avait été connu à Nantes le 22 mars 1807, par la lettre du capitaine, écrite à l'armateur le 24 février précédent, et que l'annonce en fut inserée dans la feuille nantaise du 5 du même mois; considérant que les sieur Despêchers demeurant à Saint-Malo, il ne résultait nullement des faits posés dans l'arrêt, que même il n'en a pas été induit par la cour de Rennes que lesdits sieurs Despêchers auraient reçu l'avis ou la nouvelle de la perte, plus de trois mois avant le 6 juin 1807; --considérant que toutes les autres circonstances insérées dans l'arrêt, notamment celles que la gabarre était partie de Nantes, que l'armateur était de cette ville, et que le retour et le déchargement du dit bâtiment devaient s'y effectuer, sont absoluNous avons dit que les délais fixés par l'art. 387, ment inutiles, puisque la loi n'a eu aucun égard à sont fondés sur l'espoir de la cessation de l'emdes circonstances de cette nature pour fixer autre-bargo. C'est par une conséquence de cette vérité ment le délai; d'où il suit que l'arrêt de la cour de Rennes, en faisant courir le délai de trois mois, non pas du jour où les assurés auraient reçu l'avis de la nouvelle de la perte des marchandises, mais du jour ou le sinistre a été connu à Nantes, lieu où l'assurance n'est pas faite et où les assurés ne demeurent pas, a meconnu le sens de l'article 48 précité, titre des assurances, de l'ordonnance de la marine de 1681; la cour casse, etc. »

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que le législateur a dit dans l'art. 388: « Pendant les délais portés par l'article précédent, les assurés sont tenus de faire toutes diligences qui peuvent dépendre d'eux, à l'effet d'obtenir la main-levée des effets arrêtés. Pourront de leur côté, les assureurs, ou de concert avec les assurés, ou séparément, faire toutes démarches à même fin. »

La même exception que nous venons d'expliquer pour le cas d'arrêt de prince, s'applique aussi à l'innavigabilité. C'est ce qui résulte de l'art. 393 qui, dans ce dernier cas, n'autorise l'assuré à faire le délaissement, que lorsque, après le. délai prescrit par l'art. 387, le capitaine n'a pu trouver de navire pour recharger les marchandises et les conduire à leur destination. Il est bien entendu toutefois, que l'exception ne peut

Nous avons vu, dans le paragraphe précédent, que le délaissement était autorisé, lorsqu'il s'était écoulé un an pour les voyages ordinaires, et deux ans pour les voyages de long cours, sans que l'assuré eut reçu de nouvelles du navire. Dans ce les délais dont nous venons de parler, courent de l'expiration de l'année ou des deux années; c'est ce que décide le dernier alinéa de l'ar-être invoquée qu'autant qu'il s'agit d'une assuticle 375.

cas,

III. D'après l'art. 373, les délais accordés pour faire l'abandon, partent de la réception de la nouvelle du sinistre. L'art. 387 établit une exception principe, pour le cas d'arrêt de puissance. « En cas d'arrêt de la part d'une puissance, y est-il dit, l'assuré est tenu de faire la signification à l'assureur, dans les trois jours de la réception

de la nouvelle.

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« Le délaissement des objets arrêtés ne peut être fait qu'après un délai de six mois, de la signification,si l'arrêt a eu lieu dans les mers d'Europe, dans la Méditerrannée, ou dans la Baltique; « Qu'après le délai d'un an, si l'arrêt a eu lieu en pays plus éloigné.

Ces délais ne courent que du jour de la signification de l'arrêt.

« Dans le cas où les marchandises arrêtées se

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rance sur facultés : car, si c'est le navire qui a été assuré, il n'y a aucune raison d'attendre l'expiration du délai dont parle l'art. 387, et l'art. 373 reprend toute sa force.

IV. Le délaissement ne peut comprendre en aucune manière les objets qui n'ont point fait la matière de l'assurance et du risque; mais il doit embrasser tout ce qui a été assuré, et il ne saurait être ni partiel, ni conditionnel. Ainsi dispose l'art. 372. Il ne peut être partiel, car, comme le dit Valin, sur l'art. 47 de l'ordonnance de 1681, « le contrat d'assurance étant individuel, ne peut souffrir aucune division. L'assureur n'a pas assuré par parties, mais indistinctement les effets assurés dans la police: ainsi il faut lui en faire le délaissement en entier, ou se borner à lui demander simplement le paiement de l'avarie. » Le délaissement ne peut être conditionnel, parce que,

comme nous le verrons ci-après, l'assureur acquiert immédiatement, la propriété des effets abandonnés.

V. En faisant le délaissement, l'assuré est tenu, ainsi que lui prescrit l'art. 379, de déclarer toutes les assurances qu'il a faites ou fait faire, même celles qu'il a ordonnées, et l'argent qu'il a pris à la grosse, soit sur le navire, soit sur les marchandises; faute de quoi, ajoute l'article, le délai du paiement qui doit commencer à courir du jour du délaissement, sera suspendu jusqu'au jour où il fera notifier ladite déclaration, sans qu'il en résulte aucune prorogation du délai établi pour former l'action en délaissement.

L'art. 380, prévoyant la fraude qui pourrait se rencontrer dans cette déclaration, prononce une peine contre celui qui l'a commise. « En cas de déclaration frauduleuse, porte-t-il, l'assuré est privé des effets de l'assurance; il est tenu de payer les sommes empruntées, nonobstant la perte ou la prise du navire. »

L'ordonnance de la marine, art. 54, n'appliquait cette peine qu'au cas où le montant des assurances et des sommes empruntées excédait la valeur des objets qu'on voulait délaisser, et, dans la première rédaction du Code, on avait adopté la même restriction: mais elle fut retranchée par le conseil-d'état ; et, comme le remarque très-bien M. Locré, il résulte de ce retranchement que l'art. 380 devient applicable, soit que les assurances ou les emprunts non déclarés excèdent, soit qu'ils n'excèdent pas la valeur des objets as

surés.

La punition infligée à la déclaration frauduleuse ne consiste que dans la privation des effets de l'assurance. Le contrat n'est pas rompu; seulement l'assuré perd les droits et les actions qu'il aurait eus sans la circonstance de la fraude, et les assureurs sont déliés envers lui de leurs engagements. Mais ceux-ci conservent tous leurs droits contre l'assuré, qui demeure soumis à la convention dont il ne peut plus réclamer le bénéfice. VI. L'assuré qui veut user de la voie de délaissement, est toujours obligé, comme demandeur, de fournir la justification de sa demande. Lorsque l'assurance porte sur le corps du vaisseau, il n'a qu'une seule justification à faire, celle du sinistre sur lequel il fonde ses prétentions. Mais quand elle s'applique aux facultés, il est tenu de justifier non-seulement du sinistre, mais encore du chargement effectif des objets assurés; double preuve qui s'administre suivant les principes expliqués sous les mots Capitaine de navire, Charte-partic, Connaissement. C'est ce qu'exprime en ces termes, l'art. 383 du Code de commerce : « Les actes justificatifs du chargement et de la perte, sont signifiés à l'assureur avant qu'il puisse être poursuivi pour le paiement des sommes assurées. »

Si l'assuré est tenu de fournir ces preuves, l'assureur a l'intérêt et le droit de les combattre.

Tome II.

L'art. 384 l'admet textuellement à la preuve des faits contraires à ceux qui sont consignés dans les attestations signifiées par l'assuré. Toutefois, et le même article le dit encore formellement, l'admission à cette preuve ne suspend point les condamnations de l'assureur au paiement provisoire de la somme assurée, à la charge par l'assuré de donner caution. L'engagement de la caution est éteint après quatre années révolues, s'il n'y a pas eu de poursuite; c'est ce que décide le dernier alinéa de l'article cité.

On voit, par cette disposition, que l'assureur peut être condamné, avant le jugement, sur la validité de l'abandon, à payer provisoirement la somme assurée, à la charge d'une caution de la part de l'assuré. Cela est fondé sur l'intérêt de ce dernier, sur la faveur due au contrat d'assurance, et sur l'avantage d'ôter aux assureurs la possibilité de retarder l'exécution de leur engagement, en prolongeant la procédure. Mais, d'après le texte de la loi, le juge est-il toujours obligé d'ordonner le paiement provisoire sous caution? Ne peut-il pas, au contraire, l'accorder ou le recuser, selon les circonstances?

L'admission de la preuve offerte par les assureurs, ne doit pas retarder le paiement, par provision, du montant de l'assurance; voilà tout ce que dit sur ce point l'article précité du Code de commerce. Par là il autorise les tribunaux à prononcer cette condamnation anticipée, mais il ne les y oblige pas. L'art. 61, liv. III, tit. vr de l'ordonnance de la marine s'exprimait là-dessus en termes impératifs. L'assureur, y est-il dit, sera condamné par provision, et cependant on voit, dans le commentaire de Valin, que cette disposition était entendue en ce sens que la condamnation n'était point obligée, mais seulement facultative pour les tribunaux. Si telle était l'interprétation donnée à l'ancienne ordonnance, comment pourrait-on en admettre une différente pour le nouveau Code, dont les expressions ne sont point impératives, et qui ne paraît, en aucune manière, avoir voulu changer ce point de législation?

S III.

Des effets du délaissement.

I. Le premier effet que produit le délaissement, soit que les assureurs l'aient volontairement accepté, soit qu'il ait été jugé valable contre eux, est de les rendre propriétaires des effets assurés, à compter du jour où l'abandon a été signifié. C'est ce que porte l'art. 385 du Code de commerce; et comme, aux termes de l'art. 372, le délaissement ne peut être ni partiel, ni conditionnel, ils deviennent propriétaires incommutables de tous les objets assurés. Les assureurs, ainsi devenus propriétaires des effets assurés, sont subrogés aux droits de l'assuré, quant à ces objets, dont ils peuvent poursuivre la restitution contre

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tout détenteur. Le fret des marchandises sauvées, quand même il aurait été payé d'avance, fait partie du délaissement du navire, et appartient également à l'assureur, sans préjudice des droits des prêteurs à la grosse, de ceux des matelots, pour leurs loyers, et des frais et dépenses pendant le voyage; ainsi dispose l'art. 386.

II. Un autre effet du délaissement, c'est d'obliger les assureurs à payer le montant des sommes assurées; et, comme le décide l'art. 385, ils ne peuvent se dispenser de ce remboursement, même sous prétexte du retour du navire. Le délaissement étant pur et simple de sa nature, et les assureurs devenant irrévocablement propriétaires des objets assurés, il est d'une nécessité absolue que l'obligation d'en payer le prix ait le même caractère. III. Les assureurs doivent effectuer ce paiement, aux termes et dans les délais fixés par la police d'assurance, et s'il n'y a pas eu de délais fixés par le contrat, trois mois après la signification du délaissement, l'art. 382 règle ainsi le mode de libération des assureurs. Voyez cependant ce que nous avons dit dans le paragraphe précédent.

IV. Les assureurs sont-ils tenus de payer nonseulement la somme assurée, mais encore le montant des avaries éprouvées avant le sinistre majeur qui a donné lieu au délaissement ?

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Nous avons examiné rapidement cette question, sous le mot Assurance, § iv, no 1o, et nous avons pensé que le remboursement des avaries ne pouvait pas être cumulé avec le paiement de la somme assurée; la seule obligation de l'assureur nous a paru être de solder cette dernière somme. La question s'étant présentée depuis, à la section civile de la cour de cassation, elle y a été décidée en ce sens. Comme elle est d'un intérêt capital pour le commerce maritime, nous allons en rapporter l'espèce, avec quelque étendue, et nous la puiserons dans les mémoires imprimés par les parties.

Le 9 septembre 1817, le sieur Kermel, armateur du navire le Théophile, capitaine Daniel, expédie ce navire de La Rochelle pour l'île de Bourbon.

Le vaisseau arrive à l'île de France le 3 janvier 1818, et le 9 à l'île de Bourbon, où il laissa la partie de son chargement non-admissible à l'île de France; il repartit, le 1er février, pour cette dernière colonie, où il mouilla le 9, en rade de

le sieur Kermel, armateur, s'occupait, en France, de se garantir des risques de l'expédition.

Par une première police, signée à La Rochelle, par les agents de la compagnie royale d'assurances, le 28 mai 1818, il fit assurer 50,000 fr. sur le corps du navire et accessoires, évalués 60,000 fr., à la prime de trois et un quart pour cent. Le navire fut déclaré être alors à l'île Bourbou, pour se rendre à l'île de France, et de là revenir dans un port de France; et il fut dit la prime serait augmentée de demi pour cent, si, en revenant en France, le navire faisait escale à l'île Bourbon.

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Par une autre police du même jour, le sieur Kermel fit assurer 40,000 fr. sur marchandises inconnues, chargées ou à charger, en retour pour France, à la même prime de trois et un quart pour cent, avec même stipulation d'une augmentation de demi pour cent, dans le cas où le navire ferait, à son retour, escale à l'île Bourbon.

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Le 18 juin 1818, on eut connaissance, à La Rochelle, du sinistre arrivé à l'île de France le 28 février; la dénonciation aux assureurs en fut constatée, en ces termes, au pied de la première des polices, dont nous venons de parler. Aujourd'hui, 18 juin 1818, M. Kermel nous a communiqué nne lettre de M. Auguste Blaise, datée du 10 mars, de l'île Maurice (ancien nom hollandais que les Anglais ont trouvé bon de rendre à l'île de France), annonçant, comme correspondant et consignataire du navire le Théophile, capitaine. Daniel, assuré par la présente police, que ledit navire a éprouvé de fortes avaries, pendant l'ouragan qui avait eu lieu, à l'île Maurice, quelques jours auparavant. De laquelle déclaration nous avons fait mention à la présente police, pour y avoir égard, lorsqu'il y aura lieu. »

Le 11 juillet 1818, le navire partit de l'île Bourbon, pour faire son retour à Saint-Malo.

Parvenu dans la Manche, les gros temps et le manque de provisions le forcèrent de relâcher à Darmouth, le 2 novembre suivant.

Après s'être ravitaillé, et avoir réparé ses avaries, il remit à la voile le 12 décembre; mais - le vent lui devint bientôt contraire; dans la nuit, il éprouva une violente tourmente, la mer. horriblement grosse; ce qui occassiona nne fatigue extraordinaire au navire, au point de faire trois à quatre pieds d'eau, à l'heure, par ses hauts; d'un autre côté, la cargaison répandait, par les Il était encore dans ce port, le 28 du même pompes, une odeur, qui portait le capitaine à mois, lorsqu'il éprouva un ouragan qui lui occas- craindre des avaries; son mât de misaine menasiona des avaries considérables, dont la consta-çait de rompre entièrement, étant déja craqué. Le tation et la réparation eurent lieu, avec les formalités d'usage.

Port-Louis.

Après avoir pris, à l'île de France, une partie de son chargement de retour, le Théophile en repartit le 21 juin 1818, pour aller le compléter à l'île Bourbon.

Pendant que ces choses se passaient dans l'Inde,

14, ne voyant aucune apparence de changement de temps, le capitaine se décida, pour éviter de plus fortes avaries, A RELACHER A MORLAIX. »> (Rapport fait à Saint-Malo, le 14 janvier 1819.)

Le navire fut encore contrarié dans ce projet, et forcé de mouiller dans le chenal de l'île de Batz.

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