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Le 21 décembre, le navire remonta la rivière jusqu'en rade de Morlaix, il y resta mouillé jusqu'au 12 janvier 1819, c'est-à-dire, pendant vingt-deux jours.

Le 11 janvier, le navire entra dans le port de Saint-Malo, et vint échouer sur la plage.

En conséquence de ce sinistre majeur, le sieur Kermel se dispose à faire le délaissement. Mais, non content de se faire rembourser le montant des sommes assurées, il prétend en CUMULER la demande avec le montant des avaries éprouvées pendant le voyage.

Par un premier exploit du 15 février 1819, il notifie le délaissement de la totalité de la marchandise et du navire, jusqu'à la concurrence de la somme couverte; et, par autre exploit du 4 mars suivant, en notifiant les pièces justificatives, il assigne la compagnie royale au tribunal de commerce de La Rochelle, pour voir réitérer et admettre ce délaissement, et s'entendre condamner à lui payer, 1o 20,640 fr. 87 c., pour la part des assureurs dans les avaries souffertes à F'île de France, à Darmouth et à Morlaix; 2o 50,000 fr., montant de l'assurance sur le navire; 3o 34,460 fr. 6 c., pour le prix, suivant factures, des marchandises chargées à bord du navire; 4° 1,246 fr. 96 c., pour ristorne ou retour de prime, sur ces marchandises; 5° le fret de marchandises sauvées; 6o enfin, les frais faits à Saint-Malo, à l'occasion du sinistre, et tous accessoires.

En défendant à cette demande, la compagnie royale en exerça une en garantie contre le capitaine Daniel, et elle concluait, devant le tribunal de commerce : « à ce que le demandeur fût déclaré mal fondé dans le chef de ses conclusions tendant à l'abandon du navire le Théophile et de sa cargaison. Quant à sa demande en paiement des avaries éprouvées à l'île Maurice, et aux frais de relâche à Darmouth et à Morlaix, à ce que la cause fût renvoyée devant des experts, pour, le réglement, être opéré dans la forme de droit. Et, dans le cas où, par impossible, le tribunal penserait qu'il y avait lieu de déclarer la validité de l'abandon, à ce que, en faisant droit de la demande en garantie, dirigée contre le capitaine Daniel, celui-ci fût condamné à bien et dûment garantir la Compagnie royale d'assurances des condamnations qui pourraient intervenir contre elle, tant en capitaux que frais; et à ce que ledit sieur Kermel, comme civilement responsable des faits de son capitaine, fût tenu desdites condamnations, jusqu'à concurrence de la valeur du navire et du fret. »

Le capitaine Daniel concluait à ce que la compagnie fût déclarée non-recevable et mal fondée dans son action en garantie.

Sur ces conclusions, intervint, le 17 avril 1819, un jugement ainsi conçu :

Questions de fait. -La Compagnie royale

d'assurances a-t-elle souscrit des risques, tant sur le corps que sur le chargement du navire le Théophile, capitaine Daniel, pour son séjour à l'île Maurice et son retour de l'île Maurice en France? - Ledit navire a-t-il éprouvé des avaries, à l'île Maurice, à la charge des assureurs? Le même navire a-t-il échoué, avec bris, à son entrée au port de Saint-Malo ?

« Questions de droit. La Compagnie d'assurances est-elle tenue envers M. Kermel du remboursement des avaries qu'a éprouvées le navire le Théophile à l'île Maurice, au prorata de ses risques? -L'abandon fait par le sieur Kermel, à la Compagnie royale d'assurances, par acte du 15 février dernier, de la portion du navire par elle assurée, et de la totalité du chargement également assuré, est-il fondé? - Dans la supposition que l'assuré ait droit à faire l'abandon, la Compagnie d'assurances, indépendamment du remboursement des risques, est-elle ENCORE obligée au PAIEMENT DES AVARIES QUI ONT EU LIEU A L'Ile MAURICE? Le capitaine Daniel, en restant sur la rade de Morlaix, n'ayant point remonté la rivière et étant entré dans ce port, pour y faire décharger et réparer son navire, avant de faire route pour sa destination de Saint-Malo, a-t-il commis une faute, qui le rende garant et responsable envers ses assureurs, de l'événement arrivé au navire, à son entrée au port de Saint-Malo ?

Un armateur est-il responsable de l'impéritie, ou des fautes du capitaine, lors même que les assureurs ont pris à leur charge la baratterie du patron!

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Le tribunal, après avoir entendu..... « Considérant que, par la police du 28 mai 1818, enregistrée... la Compagnie royale d'assurances a souscrit envers le sieur Kermel, demandeur, 50,000 fr. d'assurances sur le corps et dépendances du navire le Théophile, estimé 60,000 fr.; et, par autre police, du même jour, enregistrée...., la somme de 40,000 fr. sur la partie des marchandises appartenant à l'armateur, à la prime de trois et quart pour cent, pour le retour du navire de l'île Maurice en France;

« Considérant que, pendant la durée des ris ques, le navire le Théophile a reçu des avaries majeures à l'île Maurice, dans le coup de vent qui s'y est fait sentir le 28 février 1818, ainsi qu'il est constaté par la déclaration du capitaine Daniel, au greffe du tribunal de première instance de ladite île, en date du 2 mars, suivant le procès-verbal de visite, du 5 du même mois, et celui du devis estimatif des opérations, du 6 dudit mois lesdites pièces enregistrées....; << Considérant que la Compagnie royale d'assurances a bien reconnu que les avaries ci-dessus étaient à sa charge, mais qu'elle n'en devait le remboursement que d'après réglement d'experts: ce qui est conforme à la loi;

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« Considérant que le navire le Théophile a pris

fret à l'île Maurice pour Saint-Malo; que ce port était conséquemment celui de sa destination;

"

« Considérant que ce navire, dans sa traversée de l'île Maurice en France, a éprouvé des contrariétés qui l'ont fatigué, et prolongé son voyage; que le capitaine s'est trouvé obligé de restreindre la ration de son équipage, et enfin de relâcher à Darmouth, en Angleterre, pour faire de l'eau et des vivres ce qui est constaté par sa déclaration audit lieu, en date du 17 novembre dernier, enregistrée....;

Considérant que ledit navire ayant repris la mer, pour se rendre à Saint-Malo, a éprouvé de nouvelles contrariétés qui l'ont forcé de mouiller dans le canal de l'île de Batz, dans l'intention où était le capitaine d'entrer à Morlaix; son navire, par la voilure qu'il avait été obligé de lui faire porter, faisant trois pieds et demi d'eau à l'heure, ainsi qu'il est constaté par sa déclaration à SaintPol-de-Léon, en date du 17 décembre dernier, enregistrée....; que le 21 dudit mois, ayant un pilote à bord, le navire fut dirigé sur la rade de Morlaix, suivant déclaration du capitaine, en ladite ville, le 22 décembre dernier, enregistrée...; que le capitaine, ayant, sur cette rade, reconnu son état, il s'était convaincu que l'eau qu'avait faite son navire, provenait de ses hauts, que, par un calme, il en faisait peu, il se détermina à rester sur cette rade, à attendre un vent favorable, pour se rendre à Saint-Malo;

« Considérant que les déclarations faites par le capitaine Daniel, tant à Saint-Pol-de-Léon qu'à Morlaix, ne l'obligeaient point SÉVÈREMENT à entrer dans le port de Morlaix, POUR Y RÉPARER; qu'il lui était toujours réservé de juger s'il convenait à la sûreté du navire, aux intérêts des chargeurs, dont il faisait partie, de faire, ou non, cette relache;

de commander la manoeuvre, de faire toutes les dispositions nécessaires pour entrer le navire, le mettre à quai, et assurer l'amarrage; qu'il suit de ce que dessus, qu'il n'y a, dans la conduite du capitaine Daniel, ni impéritie, ni faute;

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« Considérant que, dans la supposition que la perte du navire fùt l'effet de fautes commises par le capitaine, les assureurs n'en seraient pas moins responsables envers l'assuré armateur, puisque, par la police, ils se sont chargés de la baratterie de patron; que, d'après le sentiment de Valin, sur l'art. 28, liv. 11, chap. vi, de l'ordonnance de 1681; de Pothier, n° 65; d'Émérigon, en son Traité des Assurances, sect. III, chap. xII, ces termes, baratterie de patron, comprennent toutes les espèces, tant de dol que de simple impru dence, défaut de soin et impéritie, tant du patron que des gens de l'équipage; — que l'art. 335 du Code de commerce comprend aussi dans la baratterie de patron les prévarications et fautes du capitaine;

que,

«Considérant qu'il est des cas, comme celui dont il s'agit, où, par suite de plusieurs sinistres les assureurs se trouvent exposés à rembourser à l'assuré AU-DELA DE LA SOMMe assurée; dans cette circonstance, il est aisé de concevoir que les réparations faites au bâtiment, à l'île Maurice, des avaries qu'il y avait éprouvées : avaries dont la compagnie royale d'assurances a été instruite, le 18 juin 1818, ainsi qu'il est constaté au pied de la police, n'ont fait que remettre le navire dans son état de navigation, sans ajouter à sa valeur; que ces frais n'ayant point tourné à l'avan. tage de l'assuré, et n'ayant rien changé à l'estimation du navire, ni à la suite des risques des assureurs, en déduction de la perte et de l'abandon du bâtiment, il s'ensuivrait que l'assuré ne serait remboursé que d'une partie de la somme assurée; qu'il pourrait même y avoir des circonstances où, dans la perte totale d'un navire, un assuré ne pourrait rien réclamer de ses assureurs ; qu'en supposant, par exemple, un bâtiment assuré en prime liée, pour un voyage d'aller et de retour, qui, dans le voyage d'aller, aurait éprouvé plusieurs sinistres qui auraient consommé le montant de la valeur assurée, ce bâtiment se perdant au retour, il est clair que, si la compensation des avaries qui auraient précédé la perte, était admise, l'assuré n'aurait rien à toucher, et qu'il se trouverait perdre la totalité de son assurance; - que cette doctrine ne serait certainement pas juste, et s'écarterait de l'esprit de la loi, qui entend que l'assuré soit garanti par l'assureur, de toutes pertes et dommages qui arrivent, par cas fortuit ou fortune de mer, au navire ou au chargement, durant le temps des risques;

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« Considérant qu'on ne peut se dissimuler les dangers qui se présentaient pour le navire, d'entrer et de monter la rivière pour gagner le port; qu'il y avait, en outre, incertitude d'y trouver les moyens d'y réparer le navire; que, dans tous les cas, ce parti aurait occassioné des pertes considérables; que la résolution qu'a prise le capitaine Daniel, de rester sur la rade, pour attendre le moment favorable de se rendre à Saint-Malo, se trouve justifiée par son heureuse navigation jusqu'au port; que le pilote et le capitaine-pratique, que la prudence lui avait fait prendre, en se chargeant de la direction du bâtiment, et partageant volontairement le sort de l'équipage, prouve encore que cette navigation pouvait se faire sans danger evident; que l'accident arrivé au navire, dans le port de Saint-Malo, ne peut être considéré que comme cas fORTUIT, qui aurait pu arriver à un navire DANS LE MEILLEUR ÉTAT; qu'on ne peut Considérant que, suivant Émérigon, l'assujustement imputer cet accident au capitaine Da-rance n'est point un titre lucratif pour l'assuré ; niel, puisque, ayant à son bord un pilote, c'était qu'elle ne peut avoir d'autre objet que celui de le ce dernier qui avait, seul, le droit d'ordonner et mettre à couvert de la perte intrinsèque, réelle

et dérivant directement de la chose; -que, d'après ce principe, l'assureur, payant les avaries éprouvées par un navire, remboursant ENSUITE, en cas de naufrage, la perte entière, à la déduction de la prime, il résulte évidemment que l'assuré ne profite que de la valeur intrinsèque et réelle de l'objet assuré, moins la prime; que, par conséquent, son titre ne lui est point lucratif, et ne le met qu'à couvert de la perte :

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la Compagnie royale d'assurances mal fondée dans sa demande en garantie; décharge le sieur Daniel de cette demande, et condamne ladite Compagnie royale aux dépens; ce qui sera, pour toutes les condamnations comprises au présent jugement, exécuté par provision, nonobstant appel, attendu que la demande est fondée en titre. »

La Compagnie royale interjeta appel de ce jugement, après l'avoir forcément exécuté, et elle signifia, devant la cour royale de Poitiers, le 7 février 1820, des conclusions motivées, dans lesquelles, en offrant la preuve des faits articulés, et en se fondant sur les textes les plus formels de la loi, elle établissait que le délaissement était inadmissible; qu'en le supposant admissible, il n'était pas permis de le cumuler avec l'action d'avaries.

Les intimés concluaient au rejet de la preuve offerte, et à la confirmation du jugement.

Ce fut dans cet état que la cour royale de Poitiers rendit, le 8 février 1820, l'arrêt dénoncé, ainsi conçu :

« Ce qui a présenté à décider les questions de savoir, 1 si la Compagnie d'assurances doit être condamnée à payer et rembourser au sieur Kermel, les avaries et dépenses faites par le navire le Théophile, tant à l'île Maurice, que dans ses relâches à Darmouth et à Morlaix;

« 2° Si le délaissement fait par M. Kermel, à la Compagnie d'assurances, le 15 février 1819, doit être déclaré bon et valable;

« Par tous ces motifs, le tribunal, jugeant en premier ressort faisant droit sur la demande principale, condamne la Compagnie royale d'assurances, par saisie de biens et par corps, à payer et rembourser audit sieur Kermel, demandeur, la somme de 25,540 fr. 37 cent., pour sa contribution au compte des avaries qu'a éprouvées le navire le Théophile, tant à l'île Maurice, que dans ses relâches à Darmouth et à Morlaix; si mieux elle n'aime que le réglement en soit fait par experts choisis à l'amiable, par les parties, ou nommés d'office par le tribunal; ce qu'elle sera tenue d'opter dans la quinzaine de la signification . du présent jugement, sinon déchue, pour, en cas de réglement, payer la contribution qui lui sera imputée. En second lieu, le tribunal, admettant valable, l'abandon fait par le demandeur, de son navire le Théophile, à ladite Compagnie d'assurances, ainsi que du chargement assuré, condamne ladite Compagnie à payer audit sieur Kermel, la somme de 50,000 fr. pour son assurance sur ledit navire, et celle de 6,210 piastres deux centièmes, montant du chargement assuré, soit en nature de piastres, soit en argent de France, au change de la place, à l'époque de l'abandon le tout, à la déduction de la prime d'assurance revenant à ladite Compagnie, et le demi pour cent sur le moins-risque du chargement assuré; aux intérêts desdites deux dernières sommes, à compter du jour de la demande. Le tribunal, n'ayant aucun égard à la réclamation de la somme de 1,246 fr. pour un prétendu bon de prime, dont il a été fait mention dans les écritures signifiées, attendu que ce prétendu bon de prime n'existait pas; condamne la Compagnie aux dépens.... Tous les droits dudit sieur Kermel, lui demeurant réservés, pour le réglement du fret du chargement abandonné à ladite Compa- 6° Si les faits soutenus par la Compagnie d'asgnie; ledit fret lui étant réservé par la police d'assurances, et dont elle demande à faire preuve, surance; et toutes réserves aussi à toutes parties, sont pertinents et admissibles. de leurs droits et actions, pour raison des avaries grosses, auxquelles le subordement du navire, ou tous autres motifs, peuvent donner lieu..

« Faisant droit sur la demande en garantie, formée par la Compagnie royale d'assurances, contre le sieur Daniel, capitaine du navire le Théophile: d'après les motifs établis à la demande principale, le tribunal n'ayant reconnu, dans la conduite dudit capitaine, aucune faute qui puisse le rendre garant et responsable de l'événement arrivé au navire le Théophile, déclare

« 3o Si, en cas d'affirmative, la Compagnie d'assurances peut, en payant le montant total de la somme assurée, tant sur ledit navire, que sur les marchandises, se soustraire au paiement des avaries qui ont eu lieu à l'île Maurice;

« 4° Si le capitaine Daniel a commis des fautes qui le rendent garant envers la Compagnie d'assurances, de l'événement arrivé au navire, rentrée au port de Saint-Malo;

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à sa

5o Si, dans le cas même où cette question serait décidée affirmativement, le sieur Kermel pourrait être responsable des fautes du capitaine, lorsque la Compagnie d'assurances a pris à ses risques la baratterie du patron;

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« Sur quoi.... considérant que, par police du 28 mai 1818, la Compagnie royale d'assurances avait assuré audit Kermel, propriétaire dudit navire, 50,000 francs sur les corps et quille, agrès, apparaux, et généralement toutes appartenances et dépendances de ce navire, qui était alors à l'île Bourbon, et qui devait se rendre, de cetté île, à l'île Maurice, de là dans un port de France, où les risques devaient finir, après que le navire y aurait été amarré à bon sauvement;

« Considérant que, par autre police du même

jour, la même Compagnie avait assuré audit Ker- | la nuit du 28 février au 1er mars 1818, étant à | mel 40,000 fr. sur diverses marchandises connues l'île Maurice, il souffrit considérablement par les et inconnues, chargées et à charger sur ledit na- effets d'un ouragan, qui jeta sur lui d'autres navire, aux îles de Bourbon et Maurice, pour être vires qui étaient amarrés dans le port, et dont les transportées, de là, dans un des ports de France, câbles s'étaient rompus; et qu'en retournant en après leur mise à bon sauvement; France, il a éprouvé encore d'autres avaries, par l'effet des mauvais temps, ce qui l'obligea de relâcher à Darmouth, en Angleterre, pour se faire

« Considérant que l'échouement et bris dudit navire ayant eu lieu dans le port de Saint-Malo, ledit Kermel s'est déterminé à en faire le délais-réparer. De tout quoi, ledit sieur Kermel ayant sement à ladite Compagnie, et à réclamer d'elle le montant des sommes assurées, à raison du navire et des marchandises;

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Considérant qu'en cas de délaissement pour échouement ou autre cause, l'article 378 du Code de commerce oblige l'assureur de rembourser à l'assuré les sommes totales de l'assurance, soit du navire, soit des marchandises à son bord, conformément à l'évaluation établie au contrat d'assurance; qu'ainsi, et dans l'espèce, l'estimation du navire le Théophile étant portée à 60,000 fr., et les assureurs l'ayant assuré pour les cinq sixièmes, c'est-à-dire pour 50,000 francs, ils devaient, pour ce premier objet, 50,000 fr.; et quant aux marchandises évaluées 40,000 fr., comme ils les ont assurées pour la totalité, ils devaient, pour ce second objet, 40,000 fr.: total 90,000 fr.;

« Considérant que, pour faire déclarer l'assuré non-recevable dans sa demande en délaissement, les assureurs, par leurs conclusions signifiées au procès, le 7 février 1820, ont posé, en fait, avec offre de le prouver, 1° que le navire, à son départ de Morlaix, était dans un état de dégradation qui ne permettait pas que l'on pût raisonnablement lui faire tenir la mer; 2° que si le navire est parti de Morlaix, c'est par suite des ordres donnés, par écrit, par ledit Kermel, audit capitaine, avec déclaration qu'il prenait toute responsabilité des événements à son compte, et en garantissait formellement le capitaine;

été informé, il en donna, de suite, connaissance aux préposés de la Compagnie, qui le reconnurent par un advenant à la police;

« Considérant que le capitaine du navire prit, sur la cargaison, des valeurs pour payer les réparations nécessitées par les avaries, et que ledit Kermel n'ayant reçu les pièces justificatives des dépenses, et des paiements y relatifs, que par le retour du navire en France, il a demandé qu'en outre du paiement des sommes assurées, à cause de la perte entière du navire et des marchandises, on lui payât, de plus, le montant des avaries antérieures;

« Considérant que si l'article 332 dudit Code, exige que le contrat d'assurances contienne expressément l'application des objets assurés, les articles 335 et 409 laissent aux assureurs la liberté de n'assurer que pour le corps des objets, francs et quittes d'avaries, et qu'ils ne l'ont pas fait;

« Considérant qu'au lieu de contracter franc et quitte d'avaries, ils ont, au contraire, détaillé dans la police toutes les avaries et risques de mer qu'ils entendaient garantir; que même, à l'article 2 des conditions, ils ont expressément excepté cinq cas particuliers, dont ils n'entendaient pas être garants, et qui ne sont nullement relatifs aux avaries; que cette exception, de leur part, confirme la règle générale de leurs observations. De tout quoi il résulte qu'indépendamment des corps et des objets assurés, ils doivent les avaries;

«< Considérant que le premier fait d'innavigabi- Considérant que l'article 409 vient encore lité et de ne pouvoir tenir la mer, est démenti par confirmer, contre eux, cette double obligation; le fait même, puisque le navire a navigué et s'est car, s'ils avaient stipulé franc et quitte d'avaries, rendu, sans nul encombre, de Morlaix à Saint-ils ne devraient, en cas de délaissement, que l'éMalo; que le second fait, relatif à l'ordre de mettre en mer, quand on en passerait la preuve, n'a aucun trait à l'événement qui a occasioné la perte du navire; qu'ainsi, ces deux faits n'étant nullement destructifs des circonstances relatives à cet événement, telles qu'elles sont constatées par le rapport du capitaine et les procès-verbaux de visite qui ont eu lieu à Saint-Malo, ils ne pourraient porter coup, en définitive, ce qui les rend sans objet et inadmissibles;

valuatiou des corps assurés par la police, et rien pour les avaries. Mais les assureurs refusant de payer, outre le prix de l'assurance, le montant des avaries, ils demandent qu'on les traite comme s'ils avaient stipulé franc et quitte d'avaries : ce qui est improposable;

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« Considérant que les articles 381 et 393 dudit Code, invoqués par les assureurs, ne sont applicables qu'au cas de recouvrement d'objets naufragés, ou de déchargement ou rechargement sur d'autres navires : ce qui est absolument étranger l'espèce dont il s'agit;

« Considérant, en ce qui touche la garantie réclamée contre le capitaine Daniel, que, d'après les pièces produites au procès, sa conduite, depuis l'époque du contrat d'assurance, jusqu'à son entrée dans la rade de Saint-Malo, ne présente,

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de sarpart, aucune négligence, ni aucun moyen de garantie, et que, quant à l'échouement du navire, dans le port de Saint-Malo, cet événement ne peut le concerner, mais seulement le pilote lamaneur, à qui, conformément à la loi, il avait | remis toute autorité sur le navire;

« La cour, sans s'arrêter aux faits articulés par la Compagnie, lesquels sont déclarés inadmissibles, faisant droit, met l'appelation au néant; ordonne que ce dont est appel, sera exécuté suivant sa forme et teneur. Condamne l'appelant à l'amende et aux dépens.

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Les assureurs se sont pourvus en cassation contre cet arrêt. Devant la cour suprême, ils ont proposé deux moyens. Ils ont dit 1° qu'il n'y avait lieu au délaissement; 2o que, dans le cas où le délaissement serait admissible, il ne pourrait pas être cumulé avec l'action d'avarie.

pas

Le premier moyen se rattachant à une appréciation de faits dont la cour de cassation n'a pas eu à s'occuper, il suffit d'analyser le second. Les demandeurs ayant, à cet égard, puisé leur développement dans une consultation de M. Pardessus, publiée pendant l'instance sur l'appel, nous ne pouvons rien faire de mieux que de rappeler les principaux passages de cette consultation, remarquable par sa lucidité. Voici comment l'auteur s'exprime :

«Nous disons d'abord, que le jugement est contraire à la convention des parties. Il ne s'agit que de lire ce que porte la police, pour être convaincu que la Compagnie royale n'a assuré que deux sommes déterminées : l'une sur le corps, l'autre sur le chargement. Voici ce qu'on lit dans la police du 28 mai 1818, signifiée par le sieur Kermel luimême :

La Compagnie royale d'assurances assure à « M. Kermel, négociant à La Rochelle, 50,000 fr. sur corps, quille, agrès, etc.; ledit navire es« timé, de gré à gré, 60,000 fr.

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Ce que la Compagnie a promis, n'est donc qu'une somme déterminée, payable en tout ou partie, en cas d'événements prévus, et jusqu'à la concurrence fixée.

« Des contractants sont maîtres de faire les conventions qu'ils jugent à propos, pourvu qu'elles ne blessent ni l'ordre public, ni l'essence des choses. Si cette liberté existe, en général, elle est plus grande et plus fréquente dans le commerce que dans les autres négociations; et si, parmi les contrats commerciaux, il en est où cette liberté soit, en quelque sorte, illimitée, mais aussi où tout ce qui est convenu doive être littéralement exécuté,

c'est dans les contrats aléatoires.

• Tout ce qui peut offrir la garantie des dangers ou des pertes éventuelles, fait, comme on sait, l'objet du contrat d'assurances; mais les assurances sont de toute espèce. Ainsi, un assureur peut, moyennant une prime stipulée, s'obliger de réparer toutes les pertes qu'éprouvera une personne,

dans des temps et des circonstances données. Il peut s'obliger de ne réparer ces pertes, que jusqu'à la concurrence d'une certaine somme. Ainsi', une compagnie peut assurer contre la grêle et la gelée, et déclarer qu'elle payera l'estimation de tout ce que l'assuré aura éprouvé de pertes, par des accidents; elle peut ne s'obliger à réparer le dommage, que jusqu'à la concurrence de tant par arpent; de telle manière que, si le dommage est au-dessous de la somme indiquée, elle ne paie que la perte éprouvée, et que, s'il est plus considérable, elle paie seulement la somme promise.

« Il faudrait être bien étranger aux principes du droit, pour nier que des conventions de cette sorte soient notablement différentes, et pour croire que les effets puissent en être confondus.

Dans le premier cas, l'assurance est ce que les auteurs appellent indéfinie; dans le second cas, elle est limitée. Dans le premier cas, quelque grand que soit le mal, l'assureur doit le réparer: c'était à lui de prévoir cette chance, et de stipuler une prime capable d'équivaloir à ce qu'il courait le risque de perdre. Dans le second, l'assureur n'est pas tenu au-delà d'une certaine somme fixe, quelque grande que soit la perte de l'assuré.

«

« L'assurance maritime présente rarement des exemples de la première espèce. Le Code qui, comme toutes les lois en général, ne prévoit que les cas les plus communs, jura constituuntur ex eo quod plerumque fit, ne s'en est point occupé. L'art. 332 ne paraît pas supposer qu'il puisse exister d'assurance indéfinie, puisqu'il veut que la police énonce la somme assurée; puisque les art. 378, 382, 383, 384, 385, qui règlent comment et dans quel délai l'assureur doit exécuter son obligation, répètent unanimement ces mots, somme assurée.

« L'assurance indéfinie doit donc être stipulée expressément. Ajoutons que s'il pouvait y avoir quelque incertitude sur ce que les parties ont voulu, et sur l'étendue des obligations des assureurs, ce serait en leur faveur et à leur décharge qu'il faudrait faire l'interprétation, conformément à l'art. 1162 du Code civil, puisqu'ils sont débiteurs; et même, de l'aveu des auteurs qui ont traité ces matières, la seule considération de la prime stipulée, leverait la difficulté. Si, en effet, la prime était d'une somme fixe, comme Pothier, n° 81, et Emérigon, page 68, reconnaissent qu'on peut la stipuler, l'incertitude ne serait pas impossible; mais, dès que la prime est à tant pour cent de la somme promise, par cela seul il est bien évident que l'assureur n'a pas voulu s'obliger à plus qu'à la somme dont il aurait prime. C'est ce qui résulte clairement de l'opinion de Santerna, dans son Traité des Assurances, partie 3, no 33 et 34.

« Nous avons dit, en second lieu, qu'aucun des auteurs qui ont écrit sur le droit maritime, n'est

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