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tions le sol d'où les hommes tirent leurs moyens d'existence, peuvent être rangées en plusieurs classes. Quelques-unes sont fortement prononcées, et ne permettent aux peuples qu'elles séparent, que des communications difficiles, dispendieuses, et par conséquent peu nombreuses : de ce nombre sont les mers et les hautes chaînes de montagnes, telles que les Pyrénées et les Alpes. Les limites de cette espèce, quels que soient d'ailleurs les progrès de la civilisation, diviseront toujours genre humain en grandes masses; elles les partageront en nations.

le

Les limites naturelles qui viennent ensuite, sont les montagnes qui forment les bassins des fleuves, mais qui n'ont pas assez d'élévation pour empêcher qu'il n'y ait des communications nombreuses entre les populations qu'elles séparent. Nous pouvons mettre dans cette classe les montagnes de l'inté rieur de la France, qui forment les bassins de la Seine et de la Loire, et une partie des bassins de la Gironde, du Rhône et du Rhin. Nous devons mettre sur la même ligne la chaîne de montagnes. qui court d'un bout de l'Italie jusqu'à l'autre, même que celles de l'intérieur de l'Angleterre. Les limites de cette classe peuvent partager une grande nation en divers états confédérés, comme ceux de la Suisse ou de l'Amérique septentrionale, ou bien en grandes provinces ayant chacune ses assem

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blées particulières. Si la France, par exemple, avait une organisation politique analogue à celle des États-Unis ou de la Suisse, elle compterait cinq grands états et quatorze ou quinze petits. Il y aurait entre la population de chacun de ces divers états à peu près les mêmes différences que nous avons observées entre la population des divers cantons de la Suisse (1).

En observant la manière dont la population de quelques cantons suisses est subdivisée, nous avons remarqué qu'en général la chaîne de montagnes, qui sert de limites à plusieurs cantons, projette, dans l'intérieur de chaque bassin, plusieurs branches qui se dirigent plus ou moins vers le centre, en s'abaissant graduellement. Ces branches, qui séparent les vallées entre lesquelles les bassins se partagent, forment une troisième espèce de limites. Les populations qu'elles séparent, sont généralement fort homogènes, soit parce qu'elles ont une origine commune, soit parce qu'elles communiquent aisément entre elles.

La longueur et l'écartement de ces branches dépendent moins de l'élévation de la chaîne d'où elles partent, que de l'étendue du bassin dans lequel elles se projettent. Les branches qui divisent

(1) Je n'entends porter ici aucun jugement sur l'organisation politique de ces peuples; c'est un sujet que je traiterai plus tard, si j'en ai le temps.

en plusieurs vallées le canton des Grisons ou celui du Valais, par exemple, partent des montagnes les plus élevées de l'Europe; cependant elles sont trèscourtes, et s'abaissent par conséquent d'une manière très-rapide. Celles qui se projettent dans l'intérieur du bassin de la Seine, appartiennent au contraire à une chaîne peu élevée; mais elles sont fort étendues, et présentent des écartemens considérables. Souvent les longues branches qui se détachent d'une grande chaîne, et qui se dirigent dans l'intérieur d'un bassin, se divisent, et multiplient le nombre des limites; mais il est inutile de suivre plus loin ces divisions.

Nous avons vu que ce qui sépare surtout les nations les unes des autres, ce sont principalement les mers, ou les montagnes assez élevées pour rendre les communications longues, difficiles et dispendieuses. Il suit de là que la ligne qui sépare deux nations, se trouve naturellement dans la partie la plus élevée de la chaîne placée entre elles, au point où les eaux se partagent. Chacune d'elles a la propriété du versant qui se trouve de son côté; et aucune ne peut s'emparer du versant qui lui est opposé, sans usurpation et sans tyrannie. Ainsi, par exemple, le versant des Alpes sur lequel coulent les eaux du Var, de la Rotta et de l'Impéro, forme évidemment une partie de la France. Le traité qui

que

l'en a détaché pour en former le comté de Nice et le joindre au Piémont, n'a pas eu d'autre objet de ménager à quelques puissances une entrée sur le territoire français. Par la même raison, la partie du versant septentrional des Pyrénées, qui porte ses eaux dans la Bidassoa, ne forme pas une partie naturelle de l'Espagne. Les rivières, surtout quand elles sont d'une navigation facile, sont des moyens de communication, des causes d'association. On fait un contre-sens quand on les considère comme des barrières qu'il n'est pas permis de franchir.

On peut observer, dans la plupart des états de l'Europe, un grand nombre de divisions contraires à la nature des choses; mais il n'en est aucune qui soit plus frappante, et qui ait eu, pour les populations qui l'ont soufferte, de plus funestes effets que celle qui partage la Péninsule ibérique en deux états indépendans l'un de l'autre. Ce pays est admirablement disposé pour former plusieurs états provinciaux, unis par un lien commun; les populations renfermées dans les bassins des rivières sont séparées les unes des autres par de hautes montagnes. Mais, tant que les habitans de cette contrée verront une cause de séparation dans ce que la nature a fait pour les unir, et des causes d'union dans ce qui les sépare réellement, il est impossible

qu'ils ne soient pas continuellement dans un état de gêne, de misère et de désordre (1).

Les montagnes forment, disons-nous, les limites qui séparent les nations les unes des autres, et qui partagent le même peuple en fractions plus ou moins considérables; mais il ne faudrait pas s'imaginer qu'entre deux nations distinctes, on trouve, sur tous les points, une mer ou de hautes montagnes. Deux fleuves qui suivent à peu près la même direction, sont souvent séparés, pendant une grande partie de leur cours, par une chaîne de montagnes plus ou moins élevées; mais toutes les montagnes s'abaissent plus ou moins rapidement à mesure qu'elles avancent vers la mer. Il résulte de là que les populations situées entre l'embouchure de deux fleuves, ne sont souvent séparées par aucune limite très-prononcée, et qu'elles se confondent les unes avec les autres. Le même phénomène se fait remarquer d'une manière encore plus frappante dans les vallées parallèles qui portent leurs eaux dans le même fleuve. Les branches

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(1) On peut faire, sur les états du centre de l'Europe, les mêmes observations que sur la Péninsule ibérique : il n'est rien au monde de plus propre à retarder les progrès de la civilisation que ce monstre qu'on a créé en 1815, sous le nom de Confédération germanique, et qui tend constamment à placer sous un même régime les populations des bassins du Rhin, de l'Elbe et du Danube.

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