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associations contraires à la nature des choses, il est toujours entendu que des circonstances accidentelles ne détruisent pas les avantages des unes et les inconvéniens des autres. Le génie des hommes abaisse quelquefois les barrières qui tenaient des peuples divisés; mais quelquefois aussi leurs erreurs et leurs vices transforment en obstacles les moyens de communication que la nature leur avait donnés (1).

Il résulte de ce qui précède, que les terres propres à fournir aux hommes des moyens d'existence, sont naturellement divisées en fractions plus ou moins considérables, par des mers, des des montagnes, des lacs, ou par des fleuves qui sont assez larges pour rendre les communications difficiles, dispendieuses et par conséquent peu nombreuses ; que les hautes chaînes de montagnes, qui forment les bassins des grands fleuves, limitent naturellement le territoire des nations qui en occupent les versans opposés ; que les chaînes moins élevées qui forment de

(1) Je me suis proposé dans ce chapitre d'exposer simplement quelles sont les limites naturelles du territoire de chaque nation et de celui de chacune des principales fractions dont elle se compose; je m'occuperai des effets qui résultent, soit des divisions contraires à la nature des choses, soit de la domination exercée par la population d'un grand sur une autre population, lorsque je traiterai de la division et de l'organisation politique de chaque peuple.

grands bassins, sans mettre de puissans obstacles aux communications, servent également de limites aux populations qui en occupent les versans contraires, mais ne les empêchent pas de s'associer pour leurs intérêts généraux; que les branches projetées par les chaînes de montagnes dans l'intérieur des bassins des fleuves, divisent le territoire, et par conséquent la population de chaque bassin, en diverses fractions, sans détruire l'homogénéité de cette population; enfin, que la grandeur des nations, et celle des diverses fractions dont elles se composent, est naturellement déterminée par la configuration du sol.

Ayant exposé comment se partage, entre les hommes, le sol qui leur fournit des moyens d'existence; ayant fait voir de plus que chaque peuple, vu en masse, se considère comme propriétaire du sol sur lequel il s'est développé et sans lequel il ne saurait vivre; enfin, ayant établi que cette propriété d'un territoire national n'est jamais contestée par les partisans les plus zélés de l'égalité, ni même par ceux qui mettent en question l'existence de la propriété privée, il reste à faire voir comment se forment, au milieu du territoire national, les propriétés des individus et des familles.

CHAPITRE IX.

De l'utilité et de la valeur primitives des fonds de terre (1). ·

IL y a trois manières principales d'acquérir des propriétés la première est de les créer par son travail; la seconde, de les recevoir de ceux qui les ont formées et qui consentent à nous les transmettre ; la troisième, de les ravir par force ou par adresse à ceux qui les possèdent.

(1) Il ne faut pas confondre la valeur avec l'utilité. On désigne, par ce dernier mot, les qualités qui rendent une chose propre à satisfaire certains besoins, à procurer certaines jouissances. On désigne, par le premier, les qualités qui sont dans une chose, et qui la rendent propre à obtenir, par un échange, d'autres choses dont on a besoin. L'utilité indique le rapport qui existe entre la chose et l'usage qu'on en doit faire. La valeur indique le degré d'estime qu'on a pour une chose, quand on la compare à une autre contre laquelle elle peut être échangée. Un verre d'eau, dans certaines circonstances, a une grande utilité, quoiqu'il ait peu de valeur; un diamant peut avoir une grande valeur, quoiqu'en lui-même il ne soit pas d'une grande utilité. Il s'agit ici de l'utilité et de la valeur de la terre dans les contrées où la civilisation n'a pas pénétré.

par

Il existe chez tous les peuples un certain nombre de fortunes privées, acquises par la violence ou la fraude; il en existe un nombre infiniment plus grand, que les possesseurs ont reçues de ceux qui les avaient créées ou usurpées: mais ce n'est pas des propriétés acquises par transmissions volontaires, ou par usurpation, que je me propose de traiter dans ce moment; ces moyens d'acquérir des propriétés n'en expliquent pas la formation.

Des familles ou des nations n'ont pu s'enrichir par la violence ou par la fraude, qu'autant que d'autres familles ou d'autres nations avaient acquis des richesses par d'autres moyens : la violence et la fraude déplacent les richesses, mais ne les créent pas. Il a fallu de même, pour s'enrichir par des transmissions volontaires, que des propriétés eussent été déjà formées par le travail; car il n'y aurait pas eu de transmission possible, s'il n'y avait pas eu de création.

Les choses auxquelles nous donnons le nom de propriétés, n'ayant de l'importance qu'en raison des services que nous en tirons, et des travaux auxquels nous sommes obligés de nous livrer pour les obtenir, il est aisé de comprendre de quelle manière se forment la plupart des propriétés mobilières; comme il s'en crée tous les jours sous nos il suffit d'observer les procédés de l'industrie et du commerce, pour savoir d'où leur viennent

yeux,

les qualités qui les rendent propres à satisfaire nos besoins.

On ne voit pas aussi clairement comment se forment les propriétés immobilières, et particulièrement celles qui consistent en fonds de terre. Dans les pays dont la civilisation est ancienne, les terres qui sont dans le patrimoine des familles, sont au rang des propriétés privées depuis des temps fort reculés. On n'a donc que rarement l'occasion d'observer comment les hommes parviennent à créer, par le travail et par des valeurs cumulées, des propriétés de ce genre, sans rien ravir à personne. Pour en observer la formation, il faudrait assister aux premiers développemens de la société, au moment où les hommes passent de la vie nomade à la vie agricole. Il faudrait observer de plus l'influence de l'accroissement des propriétés sur la population, et l'influence de l'accroissement de la population sur la valeur des propriétés.

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Mais, s'il nous est impossible d'observer parmi nous et parmi les nations qui sont depuis longtemps policées, comment se forment les propriétés individuelles qui consistent en fonds de terre, rien ne nous est plus facile que d'en observer la création, soit chez les peuples qui sortent de la barbarie, soit dans les contrées sauvages où des hommes civilisés vont former des établissemens. Nous verrons d'ailleurs, par les monumens de notre histoire,

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