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Romains; s'il en fournissait aujourd'hui à six millions, et si les hommes de notre temps étaient, en général, deux fois mieux pourvus que ne l'étaient les premiers, il serait évident que les propriétés territoriales seraient aujourd'hui vingt-quatre fois plus considérables en valeur qu'elles ne l'étaient alors. La différence de valeur entre les deux époques, serait le résultat de l'industrie humaine, secondée par les agens de la nature.

On entrevoit déjà, par cet exposé, comment le travail de l'homme donne, même aux fonds de terre, une partie considérable de la valeur qu'ils ont à nos yeux; mais on verra mieux encore comment les propriétés territoriales sont créées par l'industrie humaine, si l'on observe les secours que la terre fournit à l'homme dans l'état le plus barbare, et les travaux auxquels il a fallu se livrer pour en mettre une partie en état de culture. On se convaincra, par ces observations, que les individus qui les premiers se sont approprié des terres, en se livrant à la culture, non-seulement n'ont rien enlevé à leurs semblables, mais leur ont rendu d'immenses services (1).

(1) Montesquieu avait très-bien aperçu les vérités que j'expose ici: « Quand les nations ne cultivent pas les terres, dit-il, voici dans quelle proportion le nombre des hommes s'y trouve. Comme le produit d'un terroir inculte est au produit

Avant de rechercher quels sont les services qu'on peut tirer de la terre dans les contrées où l'industrie n'a fait aucun progrès, et où les hommes vivent de ce que leur présente la nature inculte et sauvage; avant d'examiner d'où lui vient l'utilité qu'elle a dans les pays où la civilisation a fait de grands progrès, il est bon de comparer quelle est l'étendue qu'il en faut, en divers pays, pour faire vivre un nombre d'hommes déterminé. On verra, par cette comparaison, comment, à mesure qu'on recule vers des temps ou des pays peu civilisés, la terre perd de plus en plus de sa valeur, ou comment, pour faire vivre un certain nombre d'hommes, il en faut une étendue de plus en plus considérable. Cela fera comprendre aussi comment, pour faire subsister une famille de sauvages, dans, un état presque habituel de détresse, il faut plus de terres qu'il n'en faut chez un peuple civilisé pour faire vivre à l'aise une ville de cinq ou six mille habitans.

En prenant un terme moyen, il faut, en France, pour faire exister une population d'environ douze

d'un terrain cultivé, de même le nombre des sauvages, dans le pays, est au nombre des laboureurs dans un autre; et quand le peuple qui cultive les terres cultive aussi les arts, cela suit des proportions qui demanderaient bien des détails. » Esprit des lois, liv. xvIII, chap. x.

cents individus, une lieue carrée de terrain; en Prusse, la même étendue de terre ne fournit des moyens d'existence qu'à huit cents personnes environ; en Danemarck, le même espace fait vivre un peu plus de six cents personnes; en Portugal, il en fait vivre près de quatre cent cinquante; en Turquie, un peu plus de trois cents; en Russie, il en fait vivre un peu moins de deux cents, et quatrevingt-deux seulement en Suède et en Norwège.

En admettant que, dans ces divers pays, on jouit à peu près de la même somme de bien-être, il s'ensuit qu'un hectare de terre, en France, est une propriété égale à un hectare et demi en Prusse, à deux hectares en Danemarck, à peu près de trois en Portugal, à quatre dans l'empire turc, à un peu plus de six dans l'empire russe, et à plus de douze en Norwège et en Suède (1).

L'ancien royaume du Mexique nous présente un exemple bien plus frappant encore des différences qui existent entre les diverses provinces de cette partie de l'Amérique, relativement au nombre d'hommes que fait vivre une étendue donnée de terre. Voici quelles étaient, en 1803, au rapport

(1) Le gouvernement d'Archangel, avec une superficie de 30,000 lieues carrées, n'a qu'une population de 170,000 habitans, c'est-à-dire six individus par lieue carrée. Un hectare de terre, en France, est une propriété plus considérable que deux cents hectares dans cette partie de l'empire russe.

de M. Alexandre de Humboldt, l'étendue et la population de chacune des intendances entre lesquelles ce royaume était divisé (1).

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On voit, par ce tableau, que le nombre de personnes auxquelles une lieue carrée de terrain fournit des moyens d'existence, s'élève graduellement de 6 à 586. En Amérique, comme dans tous les pays, le bien-être des habitans est généralement en raison des progrès de la civilisation. Je supposerai cependant, pour simplifier le calcul, que

(1) Essai politique sur la Nouvelle Espagne, tome 2, liv. 3, chap. 8.

dans les contrées du Mexique où la terre ne fournit des moyens d'existence qu'à six ou sept personnes par lieue carrée, on est aussi bien pourvu de tout que dans celles où l'industrie a déjà fait des progrès. Dans cette supposition, et en admettant toujours que l'importance d'une propriété se mesure par les ressources qu'elle présente aux hommes, et non par l'étendue ou par la quantité de matière dont elle est composée, nous trouverons que la valeur des terres s'accroît, d'une intendance à une autre, dans la progression suivante : 6, 7, 10, 12, 38, 65, 66, 81, 109, 120, 255, 301, 586. L'étendue de terre qui ne vaudrait que six francs dans l'ancienne intendance de la Sonora, en vaudrait deux cent cinquante-cinq dans celle de Mexico, et cinq cent quatre-vingt-six dans celle. de Guanaxuato. Elle en vaudrait près de douze cents en France, et plus de quatorze cents en Angleterre. Il suit de là qu'un hectare de terre, dans un pays tel que la France, est une propriété aussi considérable que deux cents hectares dans un pays que certains états du Mexique (1).

tel

Mais ne perdons pas de vue que, dans les vastes provinces où une lieue carrée de terrain ne four

(1) Il est bien entendu que ces calculs ne peuvent avoir de l'exactitude qu'en comparant entre elles de grandes masses, et en comprenant dans la valeur du sol tout ce que l'industrie humaine en a fait sortir,

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