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rivières, que se forment les grandes masses de population; c'est là que s'établissent et se développent tous les d'industrie et de commerce, genres l'agriculture, les manufactures, les usines, les arts, et en un mot tout ce qui multiplie les richesses d'un peuple; les rivières ou les fleuves qui parcourent ces bassins, et qui sont les agens les plus actifs de la civilisation, restent la propriété commune des populations qu'ils ont contribué à former, parce qu'ils sont nécessaires à l'existence de tous, et qu'ils n'ont été produits par aucun en particulier (1).

Les services que rendent à une population les fleuves, les rivières, en un mot tous les cours

quièmes des terres qui sont sans produit pour l'agriculture. Voyez la Statistique générale de la France, publiée par ordre du Gouvernement en l'an XII et en l'an XIII.

(1) Un décret du quatrième jour complémentaire an XIII (21 septembre 1805), rendu en exécution d'une loi (du 30 floréal an X) qui avait ordonné l'établissement d'un droit de navigation, reconnaît que les fleuves, rivières et canaux appartiennent aux bassins dans lesquels ils sont formés. « En exécution, dit-il, de l'art. 2 de la loi du 30 floréal an X, portant établissement du droit de navigation intérieure, les produits des droits perçus dans chaque bassin seront employés au profit des canaux, fleuves et rivières compris dans les arrondissemens de ce bassin, d'après la répartition qui en sera faite par notre ministre de l'intérieur pour chaque départe

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d'eau qui traversent son territoire, consistent principalement à recevoir et à faire écouler les eaux qui se déchargent, soit des propriétés publiques, soit des propriétés privées, à alimenter des aqueducs ou des canaux, à arroser les terres riveraines, à mettre des usines en mouvement, à transporter des denrées, des marchandises ou des objets nécessaires à la culture, à abreuver les hommes et les animaux, à préparer leurs alimens, et à une foule d'autres usages qu'il est inutile d'énumérer (1).

Il en est des rivières, relativement aux populations dont elles sont la propriété, comme des choses qui appartiennent à tous les peuples, telles que l'air, la lumière, les eaux des mers; chacun peut en faire usage pour ses besoins particuliers, mais c'est sous la condition de ne pas gêner l'usage des autres. Le soin que prend une administration de garantir à chacun la libre jouissance de ce genre de biens, et d'empêcher, par conséquent, qu'ils ne soient détériorés au préjudice du public, est ce qui distingue principalement une nation policée d'une

(1) En 1824, le nombre des usines mises en mouvement par des cours d'eau, dans le seul département de la Seine-Inférieure, était de plus de sept cents; à la même époque, un pouce de chute d'eau, situé aux environs de Rouen, valait mille francs, autant qu'un arpent et demi de terre. A Daviel, Pratique des cours d'eau, p. 11 et 12 des Observations préliminaires.

nation qui ne l'est pas. Dans les pays où aucune institution ne garantit les intérêts de tous, des attentats exécutés au profit de quelques-uns, comme étaient tous les états de l'Europe sous le régime féodal, et comme sont encore les pays soumis à la domination des Turcs, les propriétés publiques sont toujours les premières qui sont envahies ou qui périssent faute d'entretien. Les propriétés de ce genre sont, au contraire, aussi bien garanties que celles qui appartiennent à des particuliers, chez tous les peuples qui sont soumis à une bonne police administrative (1).

Il est des fleuves et des rivières dont les bassins appartiennent à différens états, indépendans les uns des autres: tels sont le Pô, le Rhin, le Mein, le Keckar, l'Ems, et quelques autres. Lorsque de pareilles divisions territoriales se rencontrent, on est tôt ou tard obligé, par la force des choses, de reconnaître que l'usage des fleuves est un droit commun à toutes les populations qui en occupent le bassin. Chacune d'elles a le droit de s'en servir, soit pour faire écouler les eaux qui tombent sur son territoire, soit pour faire descendre jusqu'à la mer, les produits de son agriculture ou de ses manufactures, soit pour faire arriver chez elles les produits du territoire et de l'industrie des autres

(1) Traité de législation, liv. III, ch. 27, t. 3, p. 127.

nations. C'est ainsi que, par le traité de Paris du 30 mai 1814 et par l'acte du congrès de Vienne du 9 juin 1815, les principales puissances de l'Europe ont proclamé le principe de la libre navigation des fleuves et des rivières qui traversent le territoire de plusieurs nations, depuis la mer jusqu'au point où elles cessent d'être navigables (1).

Du fait que les fleuves et les rivières appartiennent aux diverses populations qui se sont développées dans leurs bassins, il résulte qu'il ne peut être permis à personne d'en affaiblir, d'en ralentir ou d'en accélérer le cours, de manière à nuire à la navigation ou aux propriétés riveraines, d'y 'faire des ouvrages ou constructions, ou d'y déposer des matières qui en rendraient la navigation plus difficile, qui en corrompraient les eaux ou qui en feraient périr le poisson.

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(1) Voyez l'art. 5 du traité de Paris, et les art. 14, 30, 96, 108, 109 et 110 de l'acte du congrès de Vienne, et les réglemens qui en ont été la suite. Supplément au Recueil des Traités d'alliance, de paix et de trève, conclus par les puissances de l'Europe; par G. F. de Martens, t. 6, p. 434-449. — Un traité fait à Mayence le 31 mars 1831, entre le gouvernement français et plusieurs gouvernemens d'Allemagne, promulgué en France le 26 juillet 1833 (Moniteur du 3 septembre 1833), a réglé les droits de ces divers états sur le Rhin, qui est leur propriété commune. On voit avec surprise que la Suisse ne figure pas dans ce traité, quoiqu'on y stipule pour elle.

Les cours d'eau ont donné naissance à une multitude de questions d'intérêt privé; et les difficultés qui s'élèvent entre deux particuliers, peuvent s'élever entre deux communes, entre deux villes, entre deux nations. Suivant les principes du droit romain, si un propriétaire faisait sur son héritage un ouvrage par suite duquel les voisins recevaient ou étaient exposés à recevoir quelque dommage des eaux pluviales, il pouvait être condamné à rétablir les choses dans leur état primitif. Si, par exemple, il faisait refluer les eaux sur les terres voisines, s'il leur donnait un cours différent de leur cours naturel, s'il les rendait plus considérables, plus rapides, plus violentes, les propriétaires lésés avaient le droit de demander la réparation du dommage causé, et la destruction des ouvrages qui l'avaient produit. Il n'était même pas nécessaire que le mal fût consommé pour intenter une action: il suffisait que le danger fût devenu imminent (1).

Ces règles ne sont que des applications d'un principe plus général, de celui qui garantit à chacun le sien, et qui oblige toute personne à réparer le dommage qu'elle a causé. Si elles sont justes quand

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(1) Dig. lib. 39, tit. III, leg. 1, in princ. et § 1, 2, 6, 12, 13, 22; leg. 2, § 1, 2, 3 et 5; et leg. 3, § 2; et leg. 6,

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