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taient incultes, quelques membres des assemblées nationales s'imaginèrent qu'ils rendraient un immense service aux classes les moins aisées, s'ils livraient ces terres à la culture, et s'ils rendaient propriétaires les hommes qui n'avaient que leurs bras pour exister; ils proposèrent, en conséquence, de partager, entre tous les habitans de chaque commune, les terres qui jusqu'alors étaient restées indivises; et leur proposition fut favorablement accueillie.

Une loi du 28 août 1792 avait mis les communes en possession de tous les biens qui leur avaient ou qu'on supposait leur avoir été ravis par la puissance féodale depuis 1669, et qui étaient ainsi tombés dans les mains des seigneurs. Une seconde loi, rendue le 10 juin de l'année suivante, décréta que tous les biens appartenant aux communes, de quelque nature qu'ils fussent, pourraient être partagés, s'ils étaient susceptibles de partage; il n'y avait d'exceptés que les bois, les places, promenades, voies publiques et édifices à l'usage des communes. L'exception établie à l'égard des bois cessait même d'exister, lorsqu'il était reconnu, d'après les visites et procès-verbaux des agens de l'administration forestière, que ces bois pas d'un produit suffisant pour être con

n'étaient

servés.

Le partage devait être fait par tête d'habitant do

micilié, de tout âge et de tout sexe, absent ou présent. Les propriétaires non habitans en étaient exclus; mais toute personne domiciliée dans la commune, depuis une année avant la promulgation de la loi, était comptée au nombre des habitans. Les fermiers, métayers, valets de fermes, domestiques, et généralement toutes les personnes ayant une année de résidence dans la commune, furent donc appelés à la distribution des biens communaux. La part des enfans âgés de moins de quatorze ans, devait être délivrée à leurs pères, qui en jouissaient jusqu'à ce que les propriétaires eussent acquis leur quatorzième année.

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Du moment que cette loi eut été promulguée, elle fut mise à exécution avec une incroyable activité; plus les populations étaient misérables, et plus elles se précipitaient avec ardeur sur des terres dont l'imagination avait décuplé la valeur. Les montagnes, qui jusqu'alors n'avaient paru propres qu'à servir de pâturages ou à fournir du bois à brûler, furent dépouillées de leur verdure; les arbres furent abattus, les souches furent arrachées, le gazon fut retourné et brûlé pour servir d'engrais (1).

Celles de ces terres qui se trouvaient situées sur

(1) « Un vandalisme déplorable a fait détruire, dans le cours de la révolution, la presque totalité des arbres champêtres qui ornaient nos coteaux, et une grande partie de ceux qui bor

des plateaux, donnèrent d'abord quelques récoltés; mais comme elles ne recevaient aucun engrais, et que les nouveaux propriétaires ignoraient l'art de varier la culture, elles ne tardèrent pas à être épuisées; la plus grande partie se trouva bientôt frappée d'une complète stérilité, ou ne donna qu'une chétive récolte d'orge ou d'avoine tous les dix ou douze ans (1).

Les terres qui se trouvaient situées sur les penchans escarpés des montagnes, furent moins profitables encore à ceux qui, après les avoir dépouillées d'arbres, les défrichèrent; les premières pluies d'orage qu'elles reçurent, les entraînèrent avec violence dans les vallées et les rivières, et ne laissèrent à la place que des roches nues.

J'ai vu, dans ces temps de grandeur et de folie, de ces torrens formés par des orages tombés sur des montagnes nouvellement défrichées, entraîner, avec un fracas horrible, non-seulement les terres, mais les arbres, les rochers, les maisons qui se trouvaient sur leur passage, et porter l'épouvante parmi les populations des vallées, qui, frappées par

daient les grands chemins.» Statistique générale de la France. Département de la Meurthe, p. 19.

(1) « Des récoltes qui dédommageaient à peine des frais d'exploitation, ont bientôt désabusé les malheureux, séduits par de fausses espérances, et déjà une grande partie de ces terrains reste inculte. » Ibid., p. 167.

ces désastres inouis, s'imaginaient que l'enfer avait été déchaîné pour punir les impiétés de la révolution (1).

Des réclamations vives et nombreuses s'élevèrent contre ces deux lois, Par une autre loi', du 21 prairial an IV (9 juin 1796), l'exécution en fut provisoirement suspendue: on lit dans les considérans de cette dernière loi, que « il est instant d'arrêter les funestes effets de l'exécution littérale de la loi du 10 juin 1793, dont plusieurs inconvéniens majeurs se sont déjà fait sentir. »

La suspension provisoire, ordonnée par cette seconde loi, fut rendue définitive par la loi des 9 et 19 ventôse an XII (29 février 1804), et par le

(1) Les propriétaires dont les biens étaient menacés par les défrichemens opérés sur les versans des montagnes, auraient certainement été fondés à s'opposer à ces défrichemens, en vertu des principes généraux du droit.

Si cui aqua pluviæ damnum dabit, dit la loi romaine, actione aquæ pluvia arcendæ avertetur aqua, L. 1, in princip. Dig. lib. XXXIX, tit. 3.

Hæc autem actio locum habet in damno nondum facto, opere tamen jam facto, hoc est, de eo opere ex quo damnum timetur, totiesque locum habet, quoties manufacto opere, agro aqua nocitura est; id est, cum quis manufecerit quo aliter flueret quàm naturá soleret: si fortè immitendo eam aut majorem fecerit, aut citatiorem, aut vehementiorem, aut si comprimendo redundare fecerit. Ibid, leg. 1, § I. Voyez les. $ 15 et 22.

décret du 9 brumaire suivant (31 octobre 1804). L'article 1er de la loi de ventôse ordonna l'exécution des partages déjà effectués, et dont il avait été dressé acte. Les partages dont aucun acte n'avait été dressé, ne furent translatifs de propriété, suivant l'article 3, que pour ceux qui avaient déjà défriché ou planté, ou clos de murs, de fossés ou de haies vives, le lot qui leur était échu, et qui, après avoir fait la déclaration du terrain qu'ils occupaient, se soumettaient à payer à la commune une redevance annuelle fixée par estimation. Il fut ordonné, par l'article 5, que tous les biens communaux possédés à l'époque de la promulgation de la loi, sans acte de partage, et dont les possesseurs n'auraient pas rempli les conditions prescrites par l'article 5, rentreraient entre les mains des communautés d'habitans.

Ces dispositions paraissaient faites pour arrêter les partages des biens communaux, mais elles n'en interdisaient pas le défrichement; elles n'arrêtaient pas la destruction des bois. Le décret du 9 brumaire pourvut à cette omission: il déclara que les communautés d'habitans qui, n'ayant pas profité de la loi du 10 juin 1793, relative au partage des biens communaux, avaient conservé, après la publication de cette loi, le mode de jouissance de leurs biens communaux, continueraient d'en jouir de la même manière, et que ce mode

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