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avant la déclaration d'indépendance, ou par un État particulier, ou par le gouvernement fédéral depuis leur révolution. Ils ne reconnaîtraient pas la validité d'une concession faite par les indigènes à des particuliers, leur gouvernement s'étant réservé privilège d'obtenir des concessions de cette nature, dans la vue, ou d'empêcher les puissances étrangères de former des établissemens au centre de leur territoire, ou de mettre les Indiens à l'abri des fraudes que des particuliers pourraient pratiquer contre eux.

Le principe admis relativement à la propriété foncière, a fait admettre le même principe relativement aux rivières et aux fleuves. Suivant le droit commun des État-Unis, les rivières navigables sont donc les seules qui fassent partie du domaine public, et dans lesquelles tous les citoyens aient le droit de pêcher; mais on ne considère comme navigables, dans le sens de la loi, que les parties sur lesquelles le flux et reflux de la mer se font sentir. Quant aux autres, elles sont considérées comme appartenant aux propriétaires riverains, sous les conditions admises en Angleterre. Si le droit d'y naviguer existe en faveur du public, ce n'est qu'à titre de servitude; c'est un simple droit de passage, auquel les propriétaires riverains ne peuvent porter atteinte.

Il est cependant plusieurs États particuliers qui

n'ont pas admis ce principe, et qui considèrent quelques-unes de leurs rivières comme navigables et publiques, quoique le flux et reflux de la mer ne s'y fassent pas sentir. Dans la Pensylvanie et la Caroline du sud, par exemple, on a considéré la doctrine anglaise comme inadmissible au moins à l'égard des rivières dans lesquelles la navigation est réellement praticable. Dans d'autres états, le principe anglais a été modifié par des lois particulières (1).

On n'est pas étonné qu'une nation telle que l'Angleterre, chez laquelle le système féodal a jeté les plus profondes racines, et où les grands possesseurs de terres ont toujours été maîtres du pouvoir, considère comme propriétés privées les fleuves et les rivières. On a plus de peine à comprendre que des peuples aussi avancés dans la civilisation que ceux des États-Unis, aient adopté les mêmes principes. Cependant, quand on connaît l'origine de ces peuples, et l'influence qu'exercent sur l'homme des habitudes invétérées et le langage au moyen duquel il est obligé de représenter ses idées; quand on voit surtout combien la division territoriale des divers états dont se forme la fédération américaine, est éloignée de

(1) James Kent, Comment. on american law, vol. III, lect. 50 and 51.

la division naturelle, on n'est plus surpris de trouver au-delà de l'Atlantique les doctrines qui gouvernent encore la Grande-Bretagne.

Les doctrines admises en Angleterre et aux États-Unis d'Amérique, relativement aux fleuves et aux rivières, sont diamétralement opposées aux principes que j'ai établis dans le chapitre XII; mais, quelque puissante qu'ait été l'influence du système féodal en France, en Angleterre, dans les autres états de l'Europe, et même aux ÉtatsUnis d'Amérique, la nature des choses a été plus forte, dans tous les pays, ainsi qu'on le verra dans le chapitre suivant, que les usurpations et que les doctrines qui en sont nées.

CHAPITRE XVIII.

Des modifications que la nature des choses a fait subir aux lois relatives à la propriété et à la jouissance des cours d'eau.

EN observant comment se forment les divers genres de propriétés qui existent chez les peuples, nous avons vu que chaque nation a un territoire qui lui est propre, et dont on ne saurait la dépouiller sans la détruire; que ce territoire, tant qu'il reste inculte et commun à tous les hommes qui le possèdent, n'offre que de faibles ressources à une population peu nombreuse et misérable; qu'il n'acquiert une grande valeur qu'après avoir été divisé entre les individus ou les familles; que cette valeur est le produit médiat ou immédiat de l'industrie humaine; et qu'ainsi les fortunes privées, mobilières ou immobilières, sont généralement le résultat du travail de l'homme, secondé par la puissance de la nature (1).

(1) Si l'on m'objectait qu'il y a beaucoup de grandes fortunes illégitimement acquises, je répondrais que cela même est une preuve que toute richesse est née du travail. Chez les indigènes de la Nouvelle-Hollande, personne ne s'enrichit par des monopoles, par des concussions ou par des confiscations, quoique les terres n'y manquent pas.

Mais quoique le travail donne généralement aux choses la valeur qu'elles ont, en les rendant propres à satisfaire nos besoins, il en est plusieurs qui sont utiles à des populations entières, dont l'utilité est même inépuisable, et auxquelles cependant l'industrie humaine ne peut presque rien ajouter; de ce nombre sont les fleuves et les rivières, les ports de mer, les rades, les hâvres, et autres choses analogues que les Romains mettaient au rang des choses publiques, parce que chez eux chacun avait le droit d'en faire usage, en respectant, dans les autres, un droit pareil au

sien.

Si, par la nature des choses, les rivières et les fleuves font partie du domaine public, ne peuvent-ils pas tomber dans le domaine privé, soit par suite d'une longue possession, soit par l'effet de lois ou de coutumes particulières? Les doctrines professées en France, relativement aux fleuves et rivières non navigables, et en Angleterre et aux États-Unis, relativement aux rivières dans lesquelles le flux et le reflux de la mer ne se font pas sentir, ne sont-elles pas une preuve que tous les cours d'eau, quelle qu'en soit la grandeur, peuvent être convertis en propriétés privées comme les fonds de terre?

En disant que, par la nature des choses, les rivières font partie du domaine public, je n'ai pas en

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