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qu'on peut faire contre un tel système, c'est qu'il n'est fondé sur aucune bonne raison. On ne voit pas, en effet, pourquoi l'on prendrait pour règle la portée de la vue plutôt que la portée du son. Si l'une varie comme les vents, l'autre yarie comme les nuages.

Un savant jurisconsulte a cherché à faire reposer sur une base plus solide la domination que chaque peuple entend exercer sur les eaux qui baignent son territoire. Si la mer n'est pas susceptible d'être appropriée par occupation, comme la terre, cela tient principalement, suivant lui, à ce qu'on ne peut pas s'établir, sur des places déterminées, d'une manière fixe et durable. Il est, en effet, impossible d'établir une résidence permanente sur des points d'où l'on peut à tout moment être chassé par un coup de vent ou par la violence des vagues. Il ne serait presque pas plus facile à une peuplade de s'établir au milieu de l'Océan, et de s'en attribuer une partie, pour en tirer ses moyens d'existence, que de s'établir dans les airs, et de vivre au moyen des oiseaux qu'elle prendrait au passage. L'occupation exige donc une prise de possession de fait, et un établissement durable; elle ne saurait conférer aucun droit, si elle ne réunit pas ces conditions (1).

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(1) Corn. van Bynkershoec, De Dominio maris. Voyez aussi Vattel, le Droit des gens, liv. 1, chap. XXII.

Mais aussi toutes les fois qu'une chose susceptible de produire des subsistances ou d'assurer d'autres avantages à un peuple, peut être réellement et exclusivement occupée, elle devient la propriété de la population qui la soumet à son empire d'une manière permanente, quelle qu'en soit d'ailleurs la nature. Une rivière n'est pas moins susceptible d'occupation qu'un pâturage ou qu'une terre propre à la culture; un port de mer est pour une nation une propriété qui n'est pas moins incontestable que les terres dont il est environné.

Ainsi, pour déterminer jusqu'à quel point s'étend sur la mer le domaine des peuples qui en possèdent les bords, il faut savoir quelle est la partie sur laquelle ils peuvent établir leur empire d'une manière permanente et exclusive. Or, cette partie est déterminée par la portée de leurs armes; tout ce qui peut être protégé par l'artillerie de terre, doit donc être considéré comme appartenant à la nation maîtresse du rivage. La mer ne commence à être une chose commune à toutes les nations qu'au point où finit la domination des peuples qui en possèdent les bords (1).

(1)Quare omnino videtur rectius, eo potestatem terræ extendi quousque tormenta exploduntur eatenus quippe cum imperare tum possidere videmur. Loquor autem de his temporibus, quibus illis machinis utimur: alioquin generaliter dicendum esset, potestatem terræ finiri, ubi finitur armorum vis; et enim

A cette considération on en a joint une autre. Si certaines choses sont communes à toutes les nations, cela tient particulièrement à ce que chacune peut en faire usage, sans diminuer en rien la jouissance des autres. L'utilité qui s'y trouve étant inépuisable, il n'y a aucun motif pour que quelques-unes s'en attribuent la disposition exclusive ; ce serait faire un mal dont il ne résulterait aucun bien. Mais les avantages qu'une nation retire de la mer, près des côtes, et qui consistent dans les produits de la pêche du poisson, des coquillages, des perles, de l'ambre, sont loin d'être inépuisables; ils peuvent au contraire être aisément épuisés.

De cette circonstance et de la nécessité dans laquelle une nation se trouve de veiller à sa sûreté, Vattel conclut la domination d'un État sur la que mer qui baigne une partie de son territoire, va aussi loin qu'il est nécessaire pour sa sûreté, et qu'il peut la faire respecter; d'un côté, dit-il, il ne peut s'approprier une chose commune, telle que la mer, qu'autant qu'il en a besoin pour quelque fin légitime; et, d'un autre côté, ce serait une prétention vaine et ridicule de s'attribuer un droit que l'on ne serait nullement en état de faire valoir (1).

hæc, ut diximus, possessionem tenetur. Corn. van Bynkershoec, De Dominio maris, cap. II, tom. 1, p. 126-127.

(1) Du Droit des gens, liv. Ier, chap. XXIII, § 289.-Suivant Bodin, la domination d'un peuple sur la mer qui baigne

La question de savoir jusqu'où s'étend la domination d'un peuple, sur la mer qui baigne ses côtes, ne peut pas, dans tous les cas, être résolue par les mêmes principes. S'il s'agit de faits de police intérieure, on ne peut consulter que les lois et les usages du pays: on est obligé de se régler d'après les principes du droit civil. S'il s'agit, au contraire, de faits de politique extérieure, ce sont les principes ou les usages du droit international auxquels il faut s'en rapporter.

Pour décider, par exemple, si tel fait est ou n'est pas punissable suivant les lois françaises, il faut savoir s'il a eu lieu sous leur empire, ou s'il a été exécuté dans un lieu où elles n'étaient pas obligatoires; de même, pour décider si tel ou tel magistrat est compétent pour connaître de tel fait, ou pour faire exécuter tel acte, il faut savoir quelle est, suivant la loi française, l'étendue de la juridic tion de l'un ou de l'autre.

Mais s'il s'agissait de décider si des navigateurs ont le droit de stationner ou de pêcher sur tel ou tel point de la mer, la question ne pourrait plus être résolue que par les traités entre les nations, ou par les principes qui règlent leurs rapports mutuels.

son territoire s'étend jusqu'à trente lieues des côtes. De la République, liv. Ier, chap. X. Voy. Grotius, de jure belli ac pacis, lib. II, cap. III, § 8. Mare liberum.

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Les magistrats de tous les peuples maritimes peuvent être appelés, soit à juger des faits qui se sont passés sur la mer et près des côtes, soit à y faire exécuter certains actes; on n'a pas cependant cru convenable de fixer, par des lois, les points jusques aux quels s'étendrait leur juridiction; il semble que chez toutes les nations, le vague et l'élasticité de l'arbitraire ont paru plus sûrs que la précision et l'inflexibilité de la loi (1).

Mais quoique les lois soient muettes sur la partie de la mer que chaque peuple considère comme une dépendance de ses côtes, il est certain, en fait, qu'il y en a toujours, chez toutes les nations, une certaine étendue qui appartient au domaine public, comme les rivages; les sauvages euxmêmes se considèrent comme les maîtres des eaux qui leur fournissent des moyens d'existence, et sans lesquelles ils ne sauraient se conserver.

Les Anglais se sont quelquefois attribué l'empire de la mer qui environne leur territoire, jusque sur les côtes opposées. Suivant Selden, la plupart des nations maritimes de l'Europe admirent cette

(1) « Quand une nation s'empare de certaines parties de la mer, dit Vattel, elle y occupe l'empire, aussi bien que le domaine........ Ces parties de la mer sont de la juridiction du territoire de la nation; le souverain y commande, il donne des lois et peut réprimer ceux qui les violent; en un mot, il y a tous les mêmes droits qui lui appartiennent sur la terre, et en

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